Cahiers du CREAD n°11, 3ème trimestre 1987, pages 31-42. DJILLALI LIABES[*] Qu'
Cahiers du CREAD n°11, 3ème trimestre 1987, pages 31-42. DJILLALI LIABES[*] Qu'est-ce qu'entreprendre ? Éléments pour une sociologie des espaces productifs[**] Propos préliminaires L'entreprise – qu'elle soit publique ou privée [1] – est l'objet d'attention plurielles. Pour un sociologue, cela ajoute aux preuves, déjà nombreuses, qu'elle est d'une certaine façon, devenue l'enjeu des enjeux. «L'absentéisme et la mobilité», «les réseaux informels», «l'espace social de l'entreprise», «le malaise des cadres du secteur public» ou «le problème de la communication dans l'entreprise», tels sont les intitulés des études actuellement menées (ou à l'état de projets), et leur cadre institutionnel nous importe beaucoup. Ainsi, après avoir suscité l'intérêt des seuls universitaires, voici que les «opérateurs», «les gestionnaires», se préoccupent de l'entreprise considérée cette fois comme «espace de socialisation», et lieu où semblent se mettre en place et fonctionner de nouveaux modes de sociabilité, i-e, de nouvelles façons d'être «ensemble» (ensemble comme adverbe et comme substantif), et de coopérer à un travail commun, ou au contraire, d'entrer en conflit (selon une mécanique qu'il importera de connaître). • Il s'agira pour nous de questionner cet intérêt relativement nouveau[2], de le dialectiser en quelque sorte, parce qu'il est important en soi et qu'il est à soi son propre signe. 1. Le premier jalon de cette dialectisation consistera dans la mise en rapport de cet intérêt avec ce qui se dit à propos de l'entreprise[3], de l'Economique au sens large, et de sa nécessaire réforme. Cette mise en relation débouche sur un paradoxe apparent (peut-être réel) : alors que l'on met l'accent sur une indispensable privatisation de l'entreprise, c'est à dire sur sa transformation en sujet marchand, en centre de pouvoir économique qui n'entre en relation avec les autres sujets économiques (y compris ses propres travailleurs) que par l'intermédiation marchande, on s'intéresse d'un autre côté à tout ce complexe de relations non-économiques, interpersonnelles, bref, on se penche sur l'aspect sociétal pur de l'entreprise. 2. Toutes les analyses semblent s'accorder sur le fait qu'il faille désormais réfléchir sur un espace économique auto-régulé et dont l'entreprise constituerait le noyau moteur. Dès lors se posent les problèmes de la «régulation»[4], de la société (de sa structuration au sens large) et de l'Etat. Ainsi, annoncer dès le début de cette communication que l'entreprise est devenue l'enjeu des enjeux n'était pas une expression surajoutée ou surfaite. Il me paraît évident que cet espace social où les «hommes» et les «femmes» produisent/fabriquent/vendent des «choses», de la matière et de «l'immatière» sous forme de «services», est à d'intersection de rapports que l'on voudrait le plus économiques possibles, et de rapports de pouvoir social, politiques et symbolique-culturel qui opposent une certaine «résistance»[5]. 3. En reprenant des résultats d'analyses menées depuis 1980, à propos du contexte qui est le nôtre, je donnerai les deux lignes de force autour desquelles s'organiserait la réflexion sociologique nationale. La première ligne, que je qualifierai de «classique», s'intéresse aux effets du procès d'accumulation (dans l'industrie principalement) sur la formation des couches sociales ; elle est classique en ce qu'elle considère ce procès de formation analogue aux procès qu'ont connus d'autres formations sociales de la périphérie. Elle est classique en ce qu'elle fait jouer «la détermination par l'économique», ce dernier matérialisé dans le système productif installé depuis la première période de planification (1967-1978). En relisant ces analyses, l'on ne peut s'empêcher de critiquer leur «platitude» (au sens littéral du terme : ce sont des analyses sans profondeur : l'on n'y sent pas le travail de la «taupe»[6]. La seconde ligne, qui est venue se «surimposer» sur la première, à l'origine, s'en détache de plus en plus, pour aller défricher ailleurs. Partie de la catégorie de «rente» – économie rentière, accumulation à base rentière etc... – elle essaie actuellement de mettre en relation gestion politico-sociale de la rente, accumulation et formes de sociolisation ; après donc un long détour par l'économi (sm) e, la sociologie s'intéresse à son objet, la Société et à ses unités constitutives. I. L'entreprise algérienne ; économie, politique et société Je poserais comme hypothèse (largement partagée par ailleurs) que l'entreprise industrielle n'est pas seulement un espace ou un agent économiques. Espace «effet de démonstration» du politique, espace également de socialisation, l'entreprise est investie de fonctions multiples, et l'on s'interroge actuellement sur celle qui doit prédominer. Cette hypothèse permettrait d'expliquer les impasses de l'analyse économique. Ces impasses étaient dues essentiellement à son évacuation (par l'analyse économique) aussi bien du politique que de la Société. Cette évacuation prenait la double forme de la mise à la périphérie du politique (même si l'on signalait au passage le caractère «volontariste» de la stratégie de développement), et de la subordination de la Société. Le politique était considéré comme le Deus ex machina cartésien, initiateur du premier mouvement ; la Société un réceptacle passif d'actions de développement parce qu'on avait postulé, au départ, son arriération et sa labilité. Il est donc nécessaire de prendre en charge les aspects théoriques et méthodologiques soulevés par le dépassement de ces impasses, en posant des questions à des catégories qui allaient de soi. Ces catégories – qu'elles soient marxiennes ou libérales – constituaient la norme, rendant possibles les comparaisons (par une opération de superposition terme à terme) et les explications. L'explication elle- même prenait l'allure d'une mise en évidence de l'écart entre modèle et copie. La réflexion proposée ici adopterait une toute autre mise en perspective. Il ne s'agira pas donc de faire coïncider Norme et Réel, l'Idéel et l'Effectif parce qu'il est d'usage de faire appel au Réel pour contester le Modèle, mais, en travaillant «en» usine, en travaillant cet espace, en lui posant des questions sur les types de relations qui s'y instituent (du fait même que l'entreprise ressortit à la Loi) et qui l'instituent en espace social d'une certaine nature-i-e, dans lequel ces relations ont un certain contenu économico-social, parviendra-t- on, peut-être, à rendre intelligibles les caractéristiques de ce réel, d'en explorer les contours, bref, d'en produire l'analyse. 1. Questions principielles et problèmes de méthode Je reviens donc à l'hypothèse énoncée plus avant, pour lui donner corps et chair en la spécifiant. En premier, une restriction : l'entreprise algérienne – qu'elle soit publique ou privée – n'est pas seulement un sujet économique qui «combine les prix des divers facteurs de production en vue de vendre sur le marché un bien ou un service et pour (en) obtenir un revenu monétaire résultant de la différence entre deux séries de prix»[7]. Pour qui a quelque expérience de l'entreprise publique, algérienne, elle est loin d'être ce sujet parce que lui manquent Ies attributs essentiels de la «souveraineté». Propriété de l'Etat, elle est également le point de cristallisation de sa politique économique, et le lieu de réfraction de stratégies – ou de logiques – des appareils étatiques (banques/fiscalité/système des prix) et des groupes sociaux qui ont la maîtrise des leviers essentiels de la vie économique nationale. Ainsi, la restriction devient une quasi-négation ; et, dans ce cas, comment peut exister l'entreprise publique ? • A cette première question principielle, la réponse se fera par touches successives, par approximations graduées. Je commencerai tout d'abord par rappeler que l'existence de l'entreprise publique signifie (au sens «ontologique» du terme : elle est le signe, le signifiant) un projet que je qualifierais, par commodité, de développementaliste. Ce terme renvoie à la stratégie de développement à l'algérienne ; cet aspect est assez connu pour qu'on y revienne. J'insisterai plutôt sur deux dimensions (ou caractéristiques) de ce projet : il est lutte pour l'hégémonie ; il est le vecteur «rationnel» de la domination. • J'examinerai tour à tour ces deux propositions : 1.1. Le procès d'industrialisation (dont l'entreprise publique est le «fer de lance», ou l'agent) est un procès contradictoire. Il porte les contradictions de la Société et de l'Etat ; la stratégie, pensée en 66- 67, est la fille de cette période ; en bref, elle est la résultante des rapports de forces, dont elle développera/congèlera «les virtualités». A cet égard, il apparaîtra évident que «neutraliser» l'histoire de l'entreprise publique et périodiser cette histoire sur l'unique base des décisions qui la concernent en propre serait tout à fait incorrect au plan scientifique. Je pense, en disant cela, aux analyses sur la restructuration organique et financière de l'entreprise publique, ou sur l'application du nouveau système de rémunération du travail (SGT, ITS et retraite ainsi que le régime de la sécurité sociale) qui se limitent aux bilans chiffrés, méconnaissant à la fois le contexte national et mondial de sa mise en oeuvre (et pas seulement en terme de crise), son articulation avec la question du secteur privé national et bien d'autres aspects encore, comme le code de la famille, les lois relatives au contrat et aux différends de travail, la généralisation de l'école fondamentale ou la carte de l'enseignement supérieur et enfin, la GSE. Il s'agit bien là d'une problématique de redéploiement qui n'est pas limitée au seul système productif... Et les virtualités développées/congelées auxquelles je faisais allusion se trouvent, encore une fois, actualisées et reportées, en fonction évidemment du rapport de forces du moment. 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- Publié le Aoû 31, 2022
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