Revue française de pédagogie Recherches en éducation 192 | juillet-août-septemb

Revue française de pédagogie Recherches en éducation 192 | juillet-août-septembre 2015 Face aux mutations des marchés de l’emploi, quelles politiques de formation ? L’efficacité d’une politique de formation professionnelle se mesure-t-elle à la réussite de l’insertion professionnelle ? Can the effectiveness of a professional training policy be measured in terms of success in entering the job market? Catherine Béduwé Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/rfp/4827 DOI : 10.4000/rfp.4827 ISSN : 2105-2913 Éditeur ENS Éditions Édition imprimée Date de publication : 30 septembre 2015 Pagination : 37-48 ISSN : 0556-7807 Référence électronique Catherine Béduwé, « L’efficacité d’une politique de formation professionnelle se mesure-t-elle à la réussite de l’insertion professionnelle ? », Revue française de pédagogie [En ligne], 192 | juillet-août- septembre 2015, mis en ligne le 30 septembre 2018, consulté le 03 janvier 2020. URL : http:// journals.openedition.org/rfp/4827 ; DOI : 10.4000/rfp.4827 © tous droits réservés 37-48 d o s s i e r L’efficacité d’une politique de formation professionnelle se mesure-­ t-elle à la réussite de l’insertion professionnelle ? Catherine Béduwé La mesure de l’efficacité d’une formation, notamment professionnelle, à travers la réussite professionnelle de ses diplômés est au cœur de l’évaluation d’une politique de formation. Elle ne peut se faire sans prendre deux décisions : la première concerne les indicateurs à retenir pour évaluer la réussite des formés et la deuxième la part de responsabilité de la formation dans les résultats observés par ces indicateurs. On montre que ces décisions reposent sur des choix à la fois théoriques, méthodologiques et souvent extrêmement techniques de représentation des relations formations-­ emplois qui sont lourds d’enjeux et de valeurs. Mots-­ clés (TESE) : efficacité, évaluation, politique en matière d’éducation, mesure, insertion professionnelle. Un objectif explicite des politiques de formation pro- fessionnelle est de pourvoir aux besoins en qualifica- tions et compétences que nécessitent déjà ou vont nécessiter dans l’avenir les mutations de l’emploi et des marchés du travail. Elles visent donc à développer aussi bien la formation initiale des jeunes que la formation tout au long de la vie des adultes et des salariés. Ces politiques reposent sur un large consensus entre tous les acteurs de la formation, l’État, les individus et les employeurs (Béduwé & Espinasse, 1995 ; OCDE, 2014), qui voient dans la formation, notamment celle des jeunes, le meilleur moyen de donner aux individus des compétences professionnelles durables qui, au-­ delà d’une insertion professionnelle réussie, leur permet- tront d’évoluer et de s’adapter aux évolutions du travail et des organisations. On attend donc des politiques de formation professionnelle qu’elles aient des effets de court, de moyen et de long terme sur la production des qualifications (Askenazy, 2009 ; Lemistre, 2009). Se don- ner les moyens d’élever le niveau d’éducation général des populations, développer la formation profession- nelle, réduire l’échec scolaire et les sorties sans quali- fications de nos systèmes éducatifs sont autant de manifestations de ces politiques de formation volon- taristes, portées par l’ensemble des pays européens (OCDE, 2013). En dépit de succès incontestables et Revue française de pédagogie | 192 | juillet-août-septembre 2015 38 mesurables en termes de progression du nombre d’in- dividus diplômés ou dotés de certifications profession- nelles, force est de constater les échecs en matière d’accès à l’emploi de tous les jeunes : les écarts socio-­ économiques se creusent entre les moins instruits et les plus instruits (OCDE, 2014), les inégalités sociales demeurent pour l’accès aux filières les plus valorisées (Calmand & Epiphane, 2012), le chômage s’accroît, y compris parmi les jeunes les plus diplômés (Ménard, 2014), et, enfin, la question de la qualité des emplois occupés – contenu du travail, stabilité, salaires, satis- faction… – se pose pour tous les diplômés (Moncel, 2012). Ainsi, il semble que le paradoxe perdure voire s’amplifie : les nouvelles générations, pourtant de mieux en mieux formées, c’est-­ à-dire formées à la fois plus longtemps et de manière plus professionnalisée, s’insèrent de plus en plus difficilement (Giret, Lopez & Rose, 2005 ; Barret, Ryk & Volle, 2014). Ces constats apparaissent comme des dysfonc- tionnements des politiques de formation profession- nelle. Ils interrogent les chercheurs engagés dans l’ana- lyse des relations entre formation et emploi (Gautié & Gurgand, 2006) ou entre éducation et mobilité sociale (Peugny, 2007). Le débat n’est pas tranché entre ceux qui comme Marie Duru-Bellat (2006) voient dans la poursuite de l’élévation des niveaux de formation une inflation des diplômes qui contribue, via le déclas- sement des jeunes diplômés, à leur dévalorisation sur le marché du travail et ceux qui au contraire, comme Éric Maurin (2007), voient dans le développement de la formation le moyen déterminant pour lutter contre le chômage, l’obsolescence des qualifications et les inégalités sociales. De nombreuses études et recher­ ches sur les relations entre formations et emplois (RFE désormais), en particulier celles qui utilisent les don- nées du dispositif d’observation de l’insertion profes- sionnelle des jeunes du Céreq (Centre d’études et de recherches sur les qualifications), s’inscrivent dans ce débat et tentent d’y apporter leur pierre. Toutes s’ac- cordent pour dire que l’offre de formation est extrê- mement diversifiée – y compris la formation profes- sionnelle initiale – et que l’évaluation de l’efficacité d’une politique doit en tenir compte. L’évaluation devient alors relative et nombre d’études s’attachent à montrer que certaines formations atteignent mieux leurs objectifs d’insertion et de réussite profession- nelle que d’autres (OCDE, 2013 ou par exemple Cal- mand, Giret & Guégnard, 2014, pour les formations professionnelles et Ilardi & Sulzer, 2014, pour les for- mations par apprentissage). C’est ainsi que les enquêtes d’insertion professionnelle, conçues à l’origine pour analyser et comprendre la complexité des relations qui s’établissent entre une formation (ou diplôme ou encore cursus) et le système d’emploi, sont de plus en plus souvent sollicitées pour mesurer la performance de cette formation à l’aune des réussites profession- nelles de ceux qui l’on suivie. Ceci dans le but de com- parer les formations entre elles, voire de les classer (Epiphane & Jugnot, 2011). Ce processus d’évaluation de l’efficacité des forma- tions par leurs résultats d’insertion professionnelle ne va pourtant pas de soi (Béduwé & Fourcade, 2014). Nous allons montrer qu’il repose sur des choix à la fois théo- riques, méthodologiques et techniques de représenta- tion des relations formations-­ emplois qui sont lourds d’enjeux et de valeurs. La question est donc moins de savoir si l’efficacité d’une formation peut se mesurer à l’aune de ses résultats d’emploi, que de mettre en évi- dence les hypothèses et les choix sur lesquels ces mesures reposent (Plassard & Tran, 2011 ; Vincens, 2014 ; Lemistre, 2014). Dans un premier temps, on regardera les choix qu’implique la mesure de la réussite profes- sionnelle à l’issue d’une formation. On montrera ensuite que la relation de causalité entre qualité d’une forma- tion et résultats observés sur le marché de l’emploi est difficile à mettre en évidence. On conclura que répondre à la question posée ne peut se faire sans référence à un système de valeurs propre au travail d’« évaluation ». Faute d’explicitation claire de ces valeurs, l’évaluation tend à faire prendre pour vérité scientifique objective1 ce qui n’est que le fruit d’une expertise, parfois savante et technique, mais forcément arbitraire. Peut-­ on mesurer la réussite professionnelle ? L’évaluation d’une formation à travers les résultats d’in- sertion professionnelle de ceux qui l’ont suivie est une évaluation externe au système éducatif faisant appel au fonctionnement du marché du travail. Cette évalua- tion repose essentiellement sur la théorie du capital humain qui voit la formation comme un investissement que l’individu (avec l’aide de sa famille et de la société) 1 Dans une recension de l’ouvrage posthume d’Alain Desrosières paru en 2014, Prouver et gouverner, Benbouzid (2014) rappelle que « le postulat de base de la sociologie d’Alain Desrosières est fasci- nant : la statistique n’est pas une simple opération de mesure réa- liste, un reflet de la réalité, mais une adaptation provisoire à des “nouvelles manières de penser la société et d’agir sur elle” ». 39 L’efficacité d’une politique de formation professionnelle se mesure-­ t-elle à la réussite de l’insertion professionnelle ? DOSSIER consent à faire dans le but d’accroître les revenus de son travail futur. En modifiant et développant ses com- pétences, l’individu devient capable d’accomplir effi- cacement certaines tâches pour lesquelles il accroît sa productivité et donc le salaire reçu et donc le rende- ment de son investissement. Ainsi, l’efficacité d’une formation se mesure aux rendements privés que les individus vont tirer des compétences acquises en for- mation. Mais d’une part la relation de causalité éducation-­ salaire s’avère plus difficile qu’il n’y paraît à vérifier (Gurgand, 2005) et d’autre part le salaire n’est pas le seul critère pour évaluer une formation à travers ses résultats sur le marché du travail (Vincens, 2014). Se demander si les résultats d’insertion profession- nelle observés sur le marché du travail peuvent servir à l’évaluation d’une formation nécessite de traiter simul- tanément trois dysfonctionnements majeurs que sont le chômage, la suréducation ou le déclassement et l’ina- déquation entre spécialités de formations et spécialités professionnelles. L’explication de ces dysfonctionne- ments dépend du cadre théorique que uploads/Management/ rfp-4827.pdf

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  • Publié le Dec 13, 2022
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