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Conférence pluridisciplinaire « Le Populaire » NGUYEN Phuong-Thao The Artist Is

Conférence pluridisciplinaire « Le Populaire » NGUYEN Phuong-Thao The Artist Is Present de Marina Abramović : l’art performance peut-il être populaire ? UE 1003 Mention Culture et Communication Parcours Médiation et études visuelles Année 2017-2018 « I can explain my work to the cleaner and the president, it’s all the same to me. I am very communist in this way. » – Marina Abramović1 Marina Abramović est une artiste performance originaire de l’ex-Yougolasvie. Elle est une des rares artistes performeur-ses de sa génération à être encore actives aujourd’hui, reconnue internationalement comme « la grande mère de l’art performance ». Utilisant son corps comme le médium, ses œuvres repoussent des limites corporelles et interrogent la relation entre l’artiste et le public. En 2010, le Musée d’Art Moderne de New York (MoMA) lui a dédiée une rétrospective intitulée « Marina Abramović: The Artist Is Present » qui s’est tenue du 14 mars au 31 mai. Il s’agissait d’une première exposition « à grande échelle » portant sur une artiste performeuse2 et ayant lieu dans un cadre muséal. Décrite comme une exposition « historique » retraçant quatre décennies de la carrière de Abramović à travers les reprises de ses anciennces performances réalisées par des jeunes artistes et la présentation d’entregistrements de l’original de ces œuvres, la rétrospective positionne clairement Abramović comme une artiste célèbre et établie. Elle traduit également sa volonté de diffuser largement et d’institutionnaliser l’art performance. L’élément central de cette exposition est sans doute la nouvelle performance portant le même titre : The Artist Is Present. Dans l’atrium du musée, au milieu d’un espace vide délimité par les bandes plastiques collées au sol, sont installées deux chaises face à face. L’une d’elle est occupée par Marina Abramović, qui reste assise quotidiennement durant les horaires d’ouverture du musée pour la durée totale de l’exposition, soit plus de 700 heures. Le visiteur est invité à s’asseoir sur la chaise en face d’elle, en silence, l’un après l’autre, pour une durée de son choix. Le communiqué de presse de l’exposition annonce ainsi explicitement la participation du public comme composant de la performance, tout en mettant l’accent sur la dimension personnelle de cette expérience3. La rétrospective au MoMA, et plus spécifiquement la performance The Artist Is Present, a connu un succès public de grande ampleur, attirant plus de 800 000 visiteurs dont 1565 ont pu s’asseoir avec Abramović – une situation relativement inhabituelle pour l’art performance. La performance peut alors être considérée comme relevant de plusieurs catégories du populaire, sur le plan à la fois générique et thématique. Nous voudrions interroger son caractère « populaire » selon trois aspects : tout d’abord, son institutionnalisation qui permet sans doute l’élargissement des publics ; ensuite, son accessibilité et la manière dont elle conçoit le public ; enfin, la célébrité dont se réjouit l’artiste et qu’elle revendique. La performance a notamment fait l’objet d’un documentaire du même titre réalisé par Matthew Akers et distribué par HBO, qui retrace à la fois la carrière artistique de Marina Abramović et le processus de création de la performance, puis offrant une restitution de celle-ci. En effet, c’est sous cette forme que l’objet (la performance) a été porté à notre connaissance. Nous allons appuyer notre observation sur des éléments tirés de ce documentaire, notamment de la séquence portant sur le dernier jour de la performance. Institutionnalisation comme popularisation 1 HATTENSTONE Simon, « ‘I face so much jealousy’ : Marina Abramović talks friends, enemies and fear », The Guardian [En ligne] 22 octobre 2016. URL : https://www.theguardian.com/artanddesign/2016/oct/22/marina- abramovic-artist-face-jealousy-simon-hattenstone, consulté le 03 avril 2018. 2 Marina Abramović : The Artist is Present [Communiqué de presse]. MoMA, Exhibitions and events, 2010. https://www.moma.org/calendar/exhibitions/964, consulté le 03 avril 2018. 3 Ibid. Selon Péquignot (2013), la dimension contestataire se trouve au cœur de la pratique de l’art performance. D’une part, le caractère éphémère de la performance, ne laissant aucune trace et donc aucun objet qui puisse s’échanger, exprime une critique de la marchandisation de l’art. D’autre part, la performance interroge l’espace en sortant des lieux habituels d’exposition, dans l’objectif de rapprocher l’art et la vie et de mettre en cause des cadres conventionnels de production, de diffusion et de réception de l’art – même si elle ne cherche pas l’adhésion du grand public. La démarche de Marina Abramović dans The Artist Is Present est alors profondément contradictoire avec ces principes. L’institutionnalisation, effectuée par l’entrée de l’art performance au musée mais également par la mise en valeurs des « traces » de la performance, risque d’être vécue par des artistes comme une menace du projet politique de la pratique. Toutefois, elle fait sortir la performance de sa position marginale et permet de toucher un plus grand public, objectifs que Marina Abramović se fixent depuis longtemps. Ainsi, elle déplore l’incompréhension et le mépris exprimés par certains artistes face au succès grand public de The Artist Is Present, se réjouit du fait qu’elle ait réussi à élargir ses publics au-delà d’une poignée d’initiés, « how from 10 visitors to my performance originally, it is now hundreds of thousands »4. Elle affirme être « heureuse d’avoir contribué à faire de la performance un art mainstream »5. Le terme « mainstream » renvoie explicitement à la hiérachie au sein de la création artistique, qui oppose les arts populaires (et donc accessibles au plus grand nombre) aux arts savants. La performance, du point de vue de l’artiste, prétendre alors à relever d’un genre populaire. Le public : participation individuelle et collective La structure de la performance et ses modalités de réalisation nous permettent d’interroger le populaire au niveau thématique, en tant que « ce qui vient du peuple », et d’aborder la question de présenter la foule sur scène. Du côté de la création, la performance est conçue dans un rapport de dépendance au public, sans lequel il n’y aura pas de performance. Elle adopte une structure symétrique entre l’artiste et le public, non seulement par la disposition des corps (deux personnes assies face à face) mais également par des interactions entre les deux. Ainsi, lorsqu’une visiteuse pose sa main sur le cœur, Abramović répète le même geste. Lorsque des visiteurs s’effondrent en larmes, Abramović ne retient pas les siennes. Selon l’artiste, la performane est envsisagée « comme un mirroir offert aux spectateurs »6, qui réflète leurs propres émotions et douleurs. De plus, des spectateurs (et potentiellement participants), en faisant la queue pour s’asseoir avec elle ou simplement en observant, partagent la même réalité temporelle et corporelle que l’artiste. Cette structure symétrique instaure un rapport d’égalitarisme entre l’artiste et le public, aussi vulnérable et impliqué-e l’un-e que l’autre. Concernant le traitement du groupe, Abramović choisit une approche personnelle. Elle établit un lien intime et individualisé avec chaque membre du public durant le temps de l’assise. Elle résume ainsi sa relation au public : « we always perceive the audience as a group, but a group consists of many individuals. In this piece I deal with individuals of that group and it’s just a one-to-one relationship. »7 4 HATTENSTONE Simon, op. cit. 5 AZIMI Roxana, « Marina Abramović : ‘Je ne pense plus que l’art doive être dérangeant’ », Le Monde [En ligne] 06 octobre 2017. URL : http://www.lemonde.fr/arts/article/2017/10/06/marina-abramovic-je-ne-pense-plus-que-l-art- doit-etre-derangeant_5196913_1655012.html, consulté le 03 avril 2018. 6 YOUSSI Yasmine, « Marina Abramović, la grand-mère kamikaze de l'art contemporain », Télérama [En ligne] 07 décembre 2012, mis à jour le 14 décembre 2012. URL : http://www.telerama.fr/scenes/marina-abramovic-la-grand- mere-kamikaze-de-l-art-contemporain,90368.php, consulté le 03 avril 2018. 7 The Artist is Present. MoMA Learning. https://www.moma.org/learn/moma_learning/marina-abramovic-marina- abramovic-the-artist-is-present-2010, consulté le 03 avril 2018. Mais l’intérêt d’une perfomance réside avant tout dans des effets réels qu’elle provoque sur le public. Dans le cas de The Artist Is Present, la participation du public prend pleinement son sens dans la communauté qui se crée autour de la performance et dans des dynamiques entre des membres du public. Lors des derniers jours de la performance, des visiteurs forment de longs fils d’attente qui débordent l’espace du musée. Ils se rassemblent tôt le matin ou encore depuis la veille, en campant à l’extérieur du musée pendant la nuit, comme en témoigne la séquence du documentaire : on les voit en train de se discuter, prendre un café, ou encore faire de l’exercice matinale. À l’ouverture du musée, une foule massive se précipite pour s’assurer d’avoir une bonne place dans la queue. Des visiteurs sont accueillis par des agents de sécurité qui leur expliquent les protocoles de la performance et les règles à respecter. Il est facile de noter la présence considérable des agents de sécurité du musée qui veillent au bon fonctionnement de la performance, en organisant la participation du public mais aussi en intervenant lors des événements pertubateurs. L’espace d’attente se transforme alors en un vrai lieu de vie, que l’artiste elle-même reconnaît comme une partie importante et complémentaire de la performance. Marina Abramović, artiste-célébrité ? Malgré l’accessibilité offerte par la simplicité du concept et la possibilité de participer à la performance, un certain égalitarisme entre l’artiste et le public et l’intimité de l’expérience, la performeuse présente indéniablement uploads/Management/ the-artist-is-present-de-marina-abramovic-l-x27-art-performance-peut-il-etre-populaire.pdf