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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Mathieu Marion Philosophiques, vol. 38, n° 1, 2011, p. 137-156. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/1005720ar DOI: 10.7202/1005720ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 25 juin 2014 06:42 « Wittgenstein et la preuve mathématique comme vérifacteur » PHILOSOPHIQUES 38/1 — Printemps 2011, p. 137-156 Wittgenstein et la preuve mathématique comme vérifacteur1 MATHIEU MARION Université du Québec à Montréal RÉSUMÉ. — Dans ce texte, je pars de l’analyse intuitionniste de la vérité mathé- matique, « A est vrai si et seulement s’il existe une preuve de A » comme cas particulier de l’analyse de la vérité en termes de « vérifacteur », et je montre pourquoi Wittgenstein partageait celle-ci avec les intuitionnistes. Cependant, la notion de preuve à l’œuvre dans cette analyse est, selon l’intuitionnisme, celle de la « preuve-comme-objet », et je montre par la suite, en interprétant son argument sur le caractère « synoptique » des preuves, que Wittgenstein avait plutôt en tête une conception de la « preuve-comme-trace ». ABSTRACT. — In this paper, I start with the intutionist analysis of mathematical truth, « A is true if and only if there exists a proof of A », as a particular case of the analysis of truth in terms of « truth-makers », and I show why Wittgenstein shared it with the intuitionists. However, the notion of proof at work in this analysis is, according to intuitionism, that of « proof-as-object », and I then show, with an interpretation of his argument on the « surveyability » of proofs, that, instead, Wittgenstein had in mind a notion of « proof-as-trace ». 1. La preuve intuitionniste comme « vérifacteur » : acte, trace ou objet ? Dans « Truth-Makers », Kevin Mulligan, Peter Simons et Barry Smith ont pro- posé une analyse générale de la notion de vérité en termes de « truth-makers » ou « vérifacteurs », devenue depuis centrale en philosophie analytique2 : (1) A est vrai si et seulement s’il existe un vérifacteur pour A3. Göran Sundholm a proposé dans « Existence, Proof and Truth- Making : A Perspective on the Intuitionistic Conception of Truth » d’inclure 1. Dans ce texte, les références au Tractatus logico-philosophicus sont au numéro de paragraphe et non au numéro de page de la traduction de Gilles-Gaston Granger (Wittgenstein, 1993). Dans ce cas comme dans celui des autres traductions françaises de Wittgenstein, je me permets de les modifi er silencieusement au besoin. 2. Mulligan, Simons & Smith, 1984. Pour des discussions récentes, voir Beebee & Dodd, (2005), Lowe & Rami (2009) ou Monnoyer (2007). Bien sûr, l’analyse de la vérité en termes de vérifacteurs est bien plus ancienne, plusieurs sources étant déjà répertoriées dans Mulligan, Simons & Smith (1984), à commencer par le Tractatus logico-philosophicus de Wit- tgenstein ; tout récemment, Mulligan a montré qu’en 1921, l’année de la publication du Trac- tatus, des philosophes aussi distants que J. E. M. McTaggart et Alexander Pfänder ont aussi proposé des analyses en termes de « vérifaction » (truth-making) (Mulligan, 2009). 3. Une version plus exacte de ce principe serait : « Pour tout x, x est vrai si et seulement s’il existe un y tel que y rend x vrai ». 138 • Philosophiques / Printemps 2011 comme cas particulier de cette analyse générale l’analyse intuitionniste de la vérité mathématique4 : (2) A est vrai si et seulement s’il existe une preuve de A. Les éléments de cette suggestion étaient déjà présents dans les écrits de Sir Michael Dummett, bien connu pour avoir défendu la thèse (2)5, tandis qu’il admet par ailleurs dans « What is a Theory of Meaning ? II » un « prin- cipe C » proche de (1), qu’on pourrait formuler comme suit : (3) Si A est vrai, alors il doit y avoir quelque chose qui rend A vrai6. Cependant, Dummett n’a jamais développé une analyse de la notion intuitionniste de intuitionniste en termes de vérifacteurs. Dans ce texte, mon but sera, modestement, celui d’un historien de la philosophie, pour qui un développement contemporain comme celui-ci peut aider à mieux com- prendre les philosophes du passé. Cela va déjà de soi dans le cas de (1) et de (2), puisque ces analyses ont des sources historiques évidentes, mais j’aime- rais illustrer la valeur de cette analyse en l’appliquant à un domaine plutôt inusité, la philosophie des mathématiques de Wittgenstein. Dans une analyse du type de (1) ou de (2), il faut bien sûr préciser la nature des « truth-bearers » ou « porteurs de vérité », c’est-à-dire la nature de A, et il faut expliquer ce que peut bien être un vérifacteur de A. Il faut aussi mettre au clair la notion d’existence propre à cette catégorie. Il reste en outre à préciser dans (2) ce qu’on y entend par « preuve ». Dans son texte, Sund- holm fait appel, en plus de Dummett, à Ludwig Wittgenstein, Arend Hey- ting — dont il pointe du doigt les sources chez Brouwer, Husserl et Oskar Becker —, A. N. Kolmogorov, Hermann Weyl et Per Martin-Löf. Mais le cœur de son analyse fait essentiellement appel à un article célèbre de Heyting, où celui-ci propose que les porteurs de vérité A dans (2) soient les « propo- sitions » mathématiques7. Utilisant un vocabulaire emprunté de la phénomé- nologie, Heyting distingue entre une « proposition » (Aussage) et son « assertion » (Satz) : une proposition mathématique telle que « La constante d’Euler est rationnelle » exprime une « attente » (Erwartung), qui est de trouver deux entiers a, b tels que C = a/b, tandis que l’assertion (Satz) cor- respond à « l’affi rmation de la proposition », c’est-à-dire à la « réalisation » (Erfüllung) de cette « attente » par la « détermination empirique d’un fait » (die Feststellung einer empirischen Tatsache), à savoir l’existence d’une 4. Sundholm (1994a) ; voir aussi Sundholm (1993, 59), et (1994b, 294). 5. Énoncée, par exemple, dans Dummett (2000, 4). 6. Il ne s’agit pas de la formulation exacte de Dummett : « Si un énoncé est vrai, il doit y avoir quelque chose en vertu de quoi celui-ci est vrai » (Dummett, 1993, 52). 7. Heyting, 1931, 113. Sundholm revient souvent sur son analyse des textes de Heyting, par exemple dans Sundholm (1983, 156-161) (1993, 55 et 59-60), et (1994b, 298-299). Wittgenstein et la preuve mathématique comme vérifacteur • 139 preuve qui fournit, pour la constante d’Euler C, les deux entiers a, b tels que C = a/b8. Cette assertion (le théorème démontré) est de la forme : (4) La proposition « La constante d’Euler est rationnelle » est vraie. Une analyse du même type a été proposée en 1932 par Kolmogorov pour qui une proposition mathématique a pose un « problème » (Aufgabe) et correspond à sa « solution » (Lösung)9. Ces analyses sont en accord avec l’intuitionnisme de Brouwer10, et elles sont à la base de ce qu’on appelle aujourd’hui la sémantique « BHK », pour « Brouwer-Heyting-Kolmogorov ». Comme le remarque Sundholm, à la suite cette fois-ci d’une suggestion de Martin-Löf11, une preuve est, dans ce contexte, à la fois subjective et objective12. En effet, en tant que démonstration, la preuve peut être vue comme l’acte ou les actes par lesquels le mathématicien réussit à connaître la vérité d’une proposition mathématique p. Une telle démonstration a pour objet le théorème prouvé selon lequel la proposition p est vraie. Une fois effectués, ces actes n’existent plus, mais le mathématicien peut laisser des traces, objectives cette fois-ci, qu’on retrouve dans les livres de mathéma- tique et dont les autres mathématiciens se servent pour effectuer pour eux- mêmes les mêmes actes subjectifs, c’est-à-dire pour refaire la preuve du théorème selon lequel la proposition p est vraie. On doit donc distinguer entre deux notions : (i) La preuve-comme-acte ou démonstration, (ii) La preuve-comme-trace. Sundholm montre cependant que la notion de preuve appelée à jouer le rôle de vérifacteur dans l’analyse intuitionniste de la vérité n’est ni l’une, ni l’autre, mais une notion de preuve comme objet mathématique, pour laquelle Brouwer avait introduit l’expression « Beweisführung », dans sa preuve du théorème de la barre de 192413. Pour Brouwer, comme pour Heyting à sa suite : 8. Heyting 1931, 113. La même analyse était déjà présentée dans un texte moins bien connu de 1930, en français : « L’affi rmation. Une proposition p, comme, par exemple, « la constante d’Euler est rationnelle », uploads/Management/ witt-et-la-preuve-math-comme-verifacteur.pdf
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- Publié le Jan 02, 2023
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