1 La complémentarité des différentes approches entre stratégie et environnement

1 La complémentarité des différentes approches entre stratégie et environnement : illustration par le cas des patent trolls 1384 RESUME Cet article vise à montrer la complémentarité entre les différentes approches théoriques qui traitent du lien entre la stratégie de l'entreprise et son environnement. Nous nous concentrerons dans cette contribution sur trois principales approches théoriques : les approches du positionnement stratégique (Porter, 1982), les approches de la dépendance des ressources (Pfeffer et Salancik, 1978) et les approches de l'intention stratégique (Hamel et Prahalad, 1994). Cette complémentarité est illustrée à travers l'étude d'un cas, relatif à l'émergence aux Etats-Unis au début des années 2000 des entreprises dites "patent trolls". Ces entreprises se sont développées sur un modèle d'affaires qualifié de prédateur, consistant à racheter des portefeuilles de brevets et à attaquer en justice - ou menacer de le faire - les entreprises potentiellement contrefactrices. Ce modèle d'affaires opportuniste a bouleversé les stratégies juridiques notamment des grandes entreprises des secteurs de l'informatique et des télécommunications, principales victimes des "patent trolls". Nous analysons ainsi dans cet article les stratégies adoptées par les différents types d'acteurs ainsi que leurs évolutions. L'analyse montre effectivement que les trois modèles théoriques mobilisées permettent d'interpréter de façon complémentaire les stratégies des acteurs. Les stratégies développées relèvent ainsi simultanément de logiques adaptatives, réactives et pro-actives. Le cas des "patent trolls" illustre ainsi l’intérêt qu’il y a à raisonner en termes de combinaison de possibilités et non d’options nécessairement incompatibles, de « both/and » et non de « either/or » selon l'expression de Brown et Duguid (1998). MOTS-CLES Stratégie – Environnement – Brevets – Lobbying 2 INTRODUCTION La question des relations entre les organisations et leur environnement occupe une place centrale dans les théories des organisations et en stratégie d’entreprise depuis les années 1960 et les travaux pionniers des théoriciens de la contingence (notamment Burns et Stalker, 1961), qui établissent une relation entre environnement et structure organisationnelle, et l’approche historique de Chandler qui relie environnement, stratégie et structure (Chandler, 1962). Depuis, l’étude de ces liens a été approfondie et a donné naissance à plusieurs approches qui se différencient en fonction du degré de déterminisme de l’environnement sur la stratégie et de l’appréhension de la capacité des organisations à influencer ce dernier. Or, il est une tendance assez naturelle en recherche : mettre en avant les différences avec les approches existantes. L’impact potentiel d’une recherche n’est-il pas directement lié à l’apport au regard à la littérature existante, partie qu’il est d’ailleurs en général nécessaire d’expliciter dans une publication scientifique (Cossette, 2009) ? La thèse défendue dans ce papier est que, dans le cas des relations entre une organisation et son environnement, cette tendance à la différenciation par rapport aux approches précédentes a conduit à un clivage excessif entre les différentes approches. Lorsqu’elles sont appliquées à l’examen d’un cas particulier, ces dernières s’avèrent en effet davantage complémentaires que concurrentes. Le cas étudié ici est celui d’un type d’entreprises apparues au début des années 2000 aux Etats-Unis, et couramment surnommées "patent trolls", "patent sharks" ou encore "patent pirats". Il s’agit d’entreprises financières accumulant des portefeuilles de droits de la propriété industrielle (essentiellement des brevets) et les utilisant pour obtenir de la part des entreprises industrielles contrefactrices des revenus sous forme de royalties ou de dommages et intérêts. Elles ont donc été créées pour tirer parti d’un environnement juridique favorable aux détenteurs de brevets, notamment aux Etats-Unis. Les grandes entreprises des secteurs de l’informatique et des télécommunications, principales "victimes" de ces "trolls" ont alors cherché, avec un certain succès, à modifier ce même environnement juridique. Les interactions stratégiques entre patent trolls et grandes entreprises des technologies de l’information illustrent comment les entreprises s’adaptent à leur environnement tout en 3 essayant de l’influencer, en utilisant à la fois une approche adaptative, une approche réactive et une approche pro-active. Nous commençons par présenter les différentes approches stratégiques des relations stratégie - environnement en montrant comment leurs auteurs ont insisté sur les différences d’une approche à l’autre (quand ils ne les ont pas ignorées). Nous présentons ensuite le cas des interactions entre patent trolls et grandes entreprises du secteur des TI, avant d’essayer d’en tirer un certain nombre d’implications. 1. STRATEGIE ET ENVIRONNEMENT : LES PRINCIPALES APPROCHES Si, en théorie des organisations, l’accent a historiquement été mis sur l’étude de leur fonctionnement interne plus que sur leur manière de gérer les relations avec leur environnement (Pfeffer et Salancik, 1978), ce dernier a toujours été présent dans la littérature stratégique, avec toutefois des variations d’une approche à l’autre. Il est ainsi possible de représenter plusieurs des grandes approches de la stratégie d’entreprise sous la forme d’un continuum entre la prédominance de l’environnement et celle des initiatives stratégiques (figure 1). Figure 1 : Approches de la stratégie et relations entreprise - environnement Nous détaillons dans ce qui suit ces différentes approches pour montrer comment elles se différencient les unes des autres. 4 1.1. L’ECOLOGIE DES POPULATIONS D’ORGANISATIONS L’écologie des populations d’organisation a été proposée par Hannan et Freeman à la fin des années 1970 (Hannan et Freeman, 1977). Leur approche donne une très forte prédominance à l’environnement. Les organisations y sont décrites comme des unités tirant parti de la richesse de leur environnement. Lorsque ce dernier se modifie, notamment sous l’effet de l’entrée de nouveaux acteurs, ces dernières se heurtent à une série de contraintes qui gênent leur adaptation (Hannan et Freeman, 1977) : - au niveau interne : transférabilité limitée des actifs, manque d’information des décideurs sur les activités au sein de l’organisation et sur les contingences environnementales pesant sur les différentes unités, contraintes politiques et contraintes générées par l’histoire de l’entreprise ; - au niveau externe : obstacles légaux et fiscaux, limites de disponibilité de l’information, contraintes de légitimité et problème de rationalité collective1. Dès lors, cette approche s’est notamment concentrée sur la classification des organisations en populations relativement homogènes et leur suivi dans le temps avec une focalisation particulière sur leur taux de mortalité. La prédominance quasi-absolue qu’elle donne à l’environnement explique sans doute qu’elle a été largement exclue de la réflexion stratégique. Une fois montrée l’importance de l’environnement, on a quelque peine à en retirer des enseignements en termes d’actions stratégiques. Celles-ci se trouvent en effet réduites à leur plus simple expression (en particulier, plus ou moins grande spécialisation des organisations) du fait du caractère très macroscopique de cette approche2. Cela conduit d’ailleurs certains auteurs à l’exclure purement et simplement du management stratégique : « Les auteurs de cette école tendent par conséquent à considérer l’entreprise comme quelque chose de passif, passant son temps à réagir à l’environnement, qui lui dicte ses tâches. Cela réduit l’élaboration de la stratégie à une sorte de processus réflexe, qui, en réalité, devrait exclure cette école du domaine du management stratégique. » (Mintzberg et al., 2005, p.290). 1 Une décision rationnelle en tant que choix d’un décideur donné peut ne pas être rationnelle si elle est adoptée par un grand nombre de décideurs. 2 Ainsi, selon Mintzberg et al. (2005, p.297) : « Il se pourrait bien que les écologistes des populations regardent le monde par le gros bout de la lorgnette. Ce qui est proche semble très lointain, et les détails se fondent en tâches amorphes. » 5 Nous ferons nôtre cette conclusion et nous laisserons de côté cette approche pour la suite de notre papier. 1.2. L’APPROCHE DU POSITIONNEMENT Si ses racines sont plus anciennes et puisent notamment dans le paradigme S – C – P (Structure, Comportement, Performance) (Durand, 2000)3, l’approche du positionnement peut être largement assimilée aux travaux de Porter. Dans un ouvrage fortement influencé par l’économie industrielle, celui-ci propose un ensemble d’outils destinés à aider les dirigeants et consultants à mieux analyser l’environnement (Porter, 1982). Dès lors, l’entreprise peut adopter une stratégie adaptée à cet environnement, Porter proposant une réflexion en termes de stratégies génériques puis de chaîne de valeur (Porter, 1986). Le raisonnement est donc celui de la recherche d’une adéquation entre la stratégie et l’environnement. Le stratège y joue un rôle actif mais il s’agit avant tout d’un rôle d’analyste, les caractéristiques de l’environnement étant traitées comme une donnée qui conditionne en grande partie les choix stratégiques. Ainsi, selon Mintzberg et al. (2005, p.290-291) : « En vérité, nous pensons que l’école du positionnement aboutit à une position similaire [à celle de l’école environnementale] en ce qui concerne le choix stratégique, revêtant des idées plutôt déterministes du manteau du libre arbitre : le manager assez macho que décrit cette école a intérêt à faire ce que lui dicte la concurrence. » On peut donc qualifier ce type d’approche du lien stratégie – environnement d’adaptatif. L’environnement est prédominant mais l’entreprise ne se contente pas de le subir passivement : elle tente d’en analyser les grandes tendances et adapte sa stratégie en fonction de cette analyse. Contrairement à ceux de l’écologie des populations d’organisations, l’influence des travaux de Porter sur la stratégie a été (et reste) considérable (Déry, 2001). Celui-ci met en effet au service de son approche une série d’outils d’analyse à la uploads/Management/aims-03.pdf

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  • Publié le Sep 27, 2022
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