LE CONTRÔLE DES ARMES À FEU, LES HOMICIDES ET LES VIOLENCES ARMÉES Étienne Blai

LE CONTRÔLE DES ARMES À FEU, LES HOMICIDES ET LES VIOLENCES ARMÉES Étienne Blais, PhD1, Isabelle Linteau, MSc2 et Marie-Pier Gagné, MSc2 1. Professeur agrégé, École de criminologie – Université de Montréal 2. Étudiantes aux études supérieures, École de criminologie – Université de Montréal Adresser toute correspondance à : Étienne Blais École de criminologie Université de Montréal C.P. 6128, succursale Centre-ville Montréal QC H3C 3J7 Canada Téléphone : ++ 514 343 73 28 Courriel : etienne.blais@umontreal.ca 1 INTRODUCTION Bien que plusieurs lois et programmes policiers aient été implantés afin de prévenir les violences liées aux armes à feu (AAF), le débat entourant le contrôle des AAF fait rage dans plusieurs pays et juridictions. Certains clament qu’il faut resserrer le contrôle des AAF afin de prévenir les violences criminelles alors que d’autres s’y opposent alléguant que de telles mesures sont inefficaces. Des auteurs vont même jusqu’à affirmer que les contrôles actuels devraient être allégés, ce qui permettrait aux victimes potentielles de se munir plus facilement d’une AAF et de se protéger contre les agressions et braquages à domicile (Kates et Mauser, 2007). Ce chapitre s’intéresse à un aspect important entourant le contrôle des AAF, soit la capacité d’un tel contrôle à prévenir les violences criminelles. Afin d’aborder cette question, nous débutons par une présentation des concepts permettant de comprendre le potentiel préventif du contrôle des AAF, pour ensuite examiner l’efficacité des lois visant à restreindre la disponibilité et l’accessibilité des AAF, de même qu’à dissuader et neutraliser les délinquants. Enfin, nous traitons des effets des programmes policiers, pour ensuite interpréter nos principaux résultats et conclure. CADRES CONCEPTUELS Deux principaux concepts permettent de comprendre comment les lois et programmes policiers sont susceptibles d’influer sur les violences par arme à feu (AAF). Le premier concept est celui de la disponibilité et fait référence au nombre d’AAF en circulation sur un territoire donné (Gabor, 1994). Le deuxième concept est celui de l’accessibilité et correspond à « la facilité avec laquelle un individu peut se procurer une AAF et des munitions à un endroit et à un moment donnés » (Cukier, 1998 : 30). Les chercheurs ne s’entendent pas toutefois sur les façons de conceptualiser le lien entre l’accessibilité, la disponibilité et les violences criminelles. D’un côté, plusieurs chercheurs conçoivent l’AAF comme le « facilitateur » idéal pour commettre un homicide ou un vol qualifié (Cook, 1981; Hemenway, 2004). En plus de représenter une menace crédible dans le cas d’un vol, l’AAF permet de tuer avec facilité, sans effort et de manière impersonnelle comparativement à tout autre moyen. Comme le souligne Hemenway (2004 : 45), (u)ne arme à feu n’est pas nécessaire pour tuer une autre personne, mais à 50 verges, une AAF le moyen le plus efficace et le plus efficient. L’AAF est utile à une distance de cinq verges, cinq pieds ou cinq pouces (Traduction libre). De plus, l’AAF affecte le rapport de force en ce sens où des assaillants relativement faibles peuvent s’attaquer à des victimes auparavant invulnérables (Cook, 1981). 2 Selon les tenants de cette position, plus il y aurait d’AAF en circulation (disponibilité), plus il y aurait de crimes y étant associés et de crimes violents en général (Cook, 1981; Killias, 1993; Hemenway, 2004). C’est donc dans cette optique que les lois ont prohibé certains types d’AAF et que des programmes de rachat d’AAF ont été mis en place par les policiers; le but étant de retirer un certain nombre d’armes à feu de la circulation. Similairement, plus les AAF sont faciles d’accès, plus la proportion de crimes associés aux AAF serait importante. Par conséquent, les lois en matière de contrôle des AAF renferment généralement des dispositions visant à restreindre l’accessibilité des AAF. Par exemple, la législation canadienne prévoit des normes d’entreposage sécuritaire (l’arme doit être tenue sous clé, déchargée, et les munitions doivent se trouver à un endroit différent de l’arme) (Lavoie et coll., 2001). De plus, les actuels et futurs propriétaires sont soumis à des vérifications afin d’en limiter l’accès aux individus susceptibles d’en faire un usage inadéquat. En contrepartie, certains affirment que de restreindre l’accessibilité et la disponibilité des AAF n’aurait aucun effet sur les crimes violents et pourrait même avoir des effets pervers (Kleck, 1997; Kates et Mauser, 2007). Deux principales réserves sont avancées. Premièrement, selon l’hypothèse du déplacement tactique, les délinquants utiliseraient d’autres méthodes pour commettre leurs crimes en l’absence d’AAF. Deuxièmement, l’AAF permettrait aux victimes de se défendre dans les cas d’agression ou de braquage à domicile (Kates et Mauser, 2007). Par ailleurs, les résultats d’études récentes suggèrent que ce ne sont pas les AAF qui influent sur la violence, mais plutôt l’inverse. Les citoyens auraient tendance à s’armer en période de hausse de la criminalité violente (Southwick, 1997; Moody et Marvell, 2005; Kleck et Kovandzic, 2009). Enfin, deux derniers concepts permettent de comprendre le potentiel préventif des lois et des programmes policiers. Il s’agit de la dissuasion et de la neutralisation. Par exemple, plusieurs lois prévoient des peines minimales plus sévères pour les crimes commis par AAF, et ce, dans le but de dissuader les délinquants et de les neutraliser pour de plus longues périodes (McDowall et coll., 1992; Marvell et Moody, 1995). Malgré le débat en présence, les études épidémiologiques semblent appuyer la position de ceux qui conceptualisent l’AAF comme un facilitateur. Les résultats d’études de type cas- témoin suggèrent généralement que le risque de décès par balle et de décès en général est accru dans les domiciles où il y a une AAF (voir Shenassa et coll. 2004 pour une synthèse). Par exemple, une étude réalisée aux États-Unis révèle que les individus habitant dans une résidence où il y a une AAF sont 2,7 fois plus à risque d’homicide que les individus vivant dans une résidence sans AAF (Kellerman et coll., 1993). Une autre 3 étude établit que le risque de décès par AAF est significativement plus élevé lorsque les conditions d’entreposage sécuritaire ne sont pas respectées (Grossman et coll., 2005). EFFETS DES LOIS ET PROGRAMMES POLICIERS SUR LES VIOLENCES CRIMINELLES COMMISES PAR ARME À FEU Bien que les lois et programmes policiers visent à limiter l’accessibilité et la disponibilité des armes à feu (AAF) et prévoient des mesures plus sévères pour dissuader et neutraliser les délinquants, il n’existe actuellement aucun consensus quant à leur efficacité (Blais, 2010). Les résultats de recherche varient énormément d’une étude à l’autre et les coalitions, tout comme plusieurs chercheurs, ont tendance à faire référence aux résultats qui appuient leur position plutôt que de considérer la littérature globalement. Afin de se prononcer sur la relation entre un type de programme et un résultat, plusieurs chercheurs ont réalisé des synthèses systématiques (Blais et Cusson, 2007). Ces synthèses emploient une stratégie qui permet notamment de repérer l’ensemble des études pertinentes sur un sujet donné, de poser un regard épidémiologique sur l’ensemble des sections de la méthodologie des études repérées et de conclure à l’aide des résultats de l’ensemble des études (Johnson et coll., 2000). C’est donc à partir des résultats de synthèses systématiques que nous allons nous prononcer sur le potentiel des lois et programmes policiers, en matière de contrôle des AAF, à prévenir les violences criminelles. En interrogeant plusieurs bases de données et références d’articles, nous avons trouvé sept synthèses qui traitent de l’effet des lois en matière de contrôle des AAF et deux synthèses qui recensent les résultats de programmes policiers. Ces synthèses rapportent parfois les évaluations de lois identiques et d’autres fois de lois similaires, implantées dans des juridictions différentes. Dans tous les cas, il est non seulement primordial de présenter les conclusions des synthèses, mais également, de porter une attention particulière aux résultats des études les plus robustes méthodologiquement. Effet des lois en matière de contrôle des armes à feu Le tableau 1 résume les principales caractéristiques des synthèses identifiées. Kleck (1997) est le premier auteur à rapporter de manière systématique et critique les résultats des évaluations des lois américaines en matière de contrôle des AAF. Ces lois prévoient, entre autres, la prohibition de certaines AAF et munitions jugées trop létales et inutiles pour la chasse (armes automatiques ou semi-automatiques de gros calibres), des restrictions relatives à l’acquisition d’AAF (ex. : interdiction de possession pour les demandeurs avec des antécédents criminels ou des troubles mentaux), des périodes d’attente entre l’achat et l’acquisition (spécialement pour procéder aux vérifications sur 4 les restrictions), l’enregistrement et la délivrance de permis (afin de permettre un suivi des AAF et de leurs propriétaires), l’interdiction du port d’AAF, des peines minimales pour les crimes commis par AAF et enfin, la combinaison de plusieurs de ces mesures. Deux principaux constats ressortent des 39 évaluations identifiées. D’une part, les études comportent de nombreuses limites méthodologiques, minant leur crédibilité. D’autre part, seulement cinq d’entre elles présentent des baisses significatives de différents taux de crime violent (ex. : homicides, voies de fait armées, vols qualifiés), suite à l’introduction des lois. La majorité des évaluations indiquent que les lois n’ont produit aucun effet. (Insérer Tableau 1 ici) L’étude la plus robuste de cette synthèse fut uploads/Management/blaisetalviolencesetarmesafeu-3-nov-2011.pdf

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  • Publié le Oct 19, 2021
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