SUR LE STATUT LINGUISTIQUE DU TANWíN Contribution à l’étude du système détermin
SUR LE STATUT LINGUISTIQUE DU TANWíN Contribution à l’étude du système déterminatif de l’arabe1 par D.E. KOULOUGHLI (CELLMA, CNRS/ENS Fontenay St-Cloud) Nous dédions ce travail à la mémoire de notre ami Jacques BOULLE, qui nous a toujours enseigné à ne pas séparer l’aspect systémique des faits de langue de leur dimension historique. 0. Introduction I l peut sembler surprenant qu’après plusieurs décennies d’analyse lin- guistique de l’arabe on puisse encore se poser la question du statut exact d’un marqueur aussi fréquent et aussi banal que le tanw“n. Pourtant, force est de constater, à la lecture de travaux consacrés, en tout ou en partie, à ce petit appendice nasal suYxé à des nominaux arabes, qu’il n’existe aucune forme de consensus sur son identité linguistique et sa fonction exacte dans l’état de langue reété par l’arabe écrit. Nous nous proposons dans le présent travail d’établir, à partir d’une relecture cri- tique des principales descriptions faites de ce marqueur, un bilan des incertitudes qu’il semble avoir suscitées chez les spécialistes qui s’y sont intéressé. Nous essayerons, dans le même mouvement, de montrer que la vue « traditionnelle » selon laquelle le tanw“n est un déterminant indéni est en fait parfaitement justiée et que les objections qui ont été opposées à cette conception ne résistent pas à un examen systé- matique et rigoureux des faits. En passant nous serons amené à pré- ciser les limites exactes du domaine du tanw“n et à le diVérencier de certaines marques morphologiques auxquelles il a été parfois abusive- ment assimilé. 1 Nous tenons à remercier G. Bohas et M. Chairet pour les critiques et les sugges- tions qu’ils nous ont faites sur une version préliminaire de ce travail. © Koninklijke Brill NV, Leiden, 2001 Arabica, tome XLVIII TANWíN 21 2 Sur les divers types de tanw“n on consultera surtout les ouvrages didactiques comme la "Ë[urrmiyya ou la "Alyya (et leurs commentaires) souvent caractérisés par leur souci de classications nettes. Le tanw“n y étant traité comme un indice identicatoire du nom, c’est à la présentation des parties du discours que cette question est généralement traitée en tant que telle, mais elle fait retour en divers autres points de la grammaire, partout où elle peut avoir des eVets sur la morphologie casuelle. 3 Sur la portée du concept de tamakkun cf. Chairet (2000). Sur la genèse et l’évolu- tion de ce concept cf. Kouloughli (à paraître). 1. Critique de quelques points de vue sur le statut du tanw“n 1.1. Le tanw“n dans la Tradition arabe Si, partant d’une croyance naïve en la simplicité fondamentale des ori- gines, on se tourne vers la tradition grammaticale arabe en espérant y trouver une conception claire et simple du tanw“n, on est bien vite édié sur l’étendue de son erreur. En eVet, la lecture des vieux maîtres révèle que pour eux il n’y a pas un tanw“n, mais bien plusieurs, comme l’at- testent les très nombreuses qualications attachées à ce mot et qui fonc- tionnent comme autant de sous-catégories : d’abord il y a une première partition entre tanw“n « authentique » (a§“l ), et « non-authentique » ( ©ayr a§“l ). Ensuite, au sein de la première classe, qui concerne spécique- ment le marqueur nominal qui nous intéresse, on distingue au moins qua- tre sous-catégories de tanw“n, tous « authentiques » mais tous diVérents2 : le tanw“n « d’aVermissement » (tanw“n al-tamakkun), supposé marquer qu’un nom qui en est doté assume pleinement le statut nominal, à savoir, dans la conception des grammairiens anciens, la possibilité d’exhiber un inventaire complet de exions casuelles3. le tanw“n « d’indénition » (tanw“n al-tank“r) qui, ajouté à un nom propre (et donc en principe déni) qui n’en est normalement pas aVec- té, donne à ce nom une valeur d’indéni. C’est le cas de l’exemple classique : marartu bi-S“bawayhi wa-S“bawayhi "ˆ¢ara j’ai croisé Sibawayhi et un autre Sibawayhi le tanw“n « de compensation » (tanw“n al-’iwa¶) qui apparaît dans des mots comme qˆ¶in ou ’a§an et qui est supposé compenser la perte de matériel phonétique subie par ce type de mots. Il est également pos- tulé dans des mots à valeur diaphorique comme kullun où il est censé compenser l’élision mise en évidence dans la glose kullu l-nˆs. 22 d.e. kouloughli enn le tanw“n « de correspondance » (tanw“n al-muqˆbala) qui marque les noms au féminin pluriel régulier « externe », la « correspondance » visée concernant, curieusement, la terminaison [na] du pluriel mas- culin externe. La deuxième classe, celle du tanw“n « inauthentique », comporte égale- ment de nombreuses sous-catégories, mais ne nous retiendra pas ici, dans la mesure où elle concerne des usages marginaux et/ou qui ne sont pas spéciquement nominaux. Cette classication montre d’emblée que ce n’est pas dans la tradi- tion grammaticale arabe qu’il faut chercher une conception uniée et synthétique du tanw“n. En outre, et sans vouloir nous attarder à en comprendre la logique profonde, ce qui demanderait une étude en soi, la conception sous-jacente à cette classication soulève à chaque pas des questions diYciles qu’il nous faut, au minimum, indiquer en pas- sant car nous les retrouverons en fait sur notre chemin. Ainsi, concernant le tanw“n al-tamakkun, qui couvre, au fond, l’essen- tiel des occurrences de ce marqueur dans la langue, il convient d’ob- server que, c’est essentiellement le fait que le nom « aVermi » (muta- makkin) exhibe une exion casuelle ("i’rˆb) qui intéresse la tradition grammaticale. Mais on est fondé, du point de vue de la linguistique moderne, à se demander s’il n’y a pas là une confusion manifeste de niveaux : la détermination est conceptuellement une chose distincte du marquage casuel, même s’il peut y avoir, dans la morphologie des lan- gues, des amalgames de marques. La question mérite d’autant plus d’être posée que, comme on le montrera plus loin, cet amalgame n’existe même pas en arabe! Le même soupçon de confusion des niveaux apparaît en ce qui con- cerne le second type de tanw“n « authentique » : le tanw“n de qˆ¶“n ou de ’a§an est très clairement segmentable en tant que tel, au même titre que celui de kitˆbun. C’est la marque casuelle qui, dans de tels mots, est amalgamée à du matériel radical. Mais il est aisé de comprendre que, pour une analyse qui, déjà dans kitˆbun, ne sépare pas clairement marque casuelle et marque de détermination, le cas de qˆ¶in et ’a§an apparaisse a fortiori comme « irrégulier » et nécessitant une catégorie à part du point de vue du tanw“n. Quant au tanw“n al-’iwa¶ de formes comme kullun ou ú“na"iÅin, on peut y voir un autre cas de confusion des niveaux : cette fois entre la morphologie et la syntaxe (voire la sémantique). Enn, l’attribution d’une catégorie spéciale au tanw“n des pluriels TANWíN 23 4 Il faut exclure de ce « cas général » au moins un théoricien de stature exception- nelle, Rˆ¶“ l-D“n Al-"AstarˆbˆÅ“ (m. 1287) qui a bien vu les insuYsances de la con- ception « classique » sur le tanw“n. Sur son analyse, cf. Kouloughli (à paraître). Voir aussi plus loin les conjectures formulées par Silvestre De Sacy . . . féminins externes (tanw“n al-muqˆbala) conrme le soupçon de confusion des niveaux casuel et déterminatif : en eVet, le tanw“n de cette classe de mots a un comportement morphologique parfaitement régulier si on le rapporte à celui du tanw“n normal : il est en stricte distribution com- plémentaire avec l’article déni (lˆm al-ta’r“f ) d’une part, l’état d’an- nexion ("i¶ˆfa) d’autre part. Ce qui n’est pas tout-à-fait régulier, dans ces mots, c’est le système des marques casuelles : ils ont une déclinaison à deux cas et non à trois. Le fait que les grammairiens arabes leur assignent une « classe de tanw“n » particulière nous paraît une preuve supplémentaire de la confusion du niveau casuel et du niveau déter- minatif. Cette impression est renforcée par le fait que la muqˆbala met en relation les noms féminins pluriels externes avec les noms masculins pluriels externes dont le suYxe [na] nal ne fonctionne pas exactement comme un tanw“n, mais qui ont, eux aussi, une déclinaison à deux cas. Nous verrons plus loin que ce problème aussi fait retour dans certaines analyses modernes du tanw“n. Soulignons un dernier point, concernant le traitement du tanw“n dans la tradition arabe : il serait erroné de concevoir les diverses catégories de tanw“n que nous avons signalées ci-dessus comme eVectuant une par- tition, au sens ensembliste, sur l’ensemble des occurrences de tanw“n : ainsi, le tanw“n que l’on a dans un mot comme kullun est à la fois un tanw“n ’iwa¶, en tant qu’il « remplace » un élément élidé, et un tanw“n tamakkun en tant que le nom kull est un nom de « plein exercice ». Cette double assignation marque clairement, si l’on avait encore des doutes à ce sujet, le caractère complexe et la confusion catégorielle qui carac- térisent l’analyse arabe traditionnelle du tanw“n. S’il fallait synthétiser la position des grammairiens arabes sur le tan- w“n, on pourrait dire que, dans le uploads/Marketing/ kouloughli-tanwin2.pdf
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- Publié le Mar 19, 2021
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