Collection Chemins de Pensée Collection dirigée par Laurence Vanin « Aucun mond
Collection Chemins de Pensée Collection dirigée par Laurence Vanin « Aucun monde n’est donné tout fait à l’homme. Seules lui sont offertes les peines et les joies de la vie. C’est sous leur conduite qu’il doit inventer le monde. La majeure partie de ce dernier, il l’a héritée de ses aî- nés et c’est elle qui a git sur la vie comme un système de croyances solidement établies. Mais chacun doit s’expliquer pour son propre compte avec tout ce qui est douteux, tout ce qui est en question. C’est à cette fin qu’il essaye des figures imaginaires de mondes et s’enquiert de sa conduite possible en eux. Parmi elles, l’une lui semble idéalement plus consistante et c’est ce qu’il appelle la vérité. Mais il n’en demeure pas moins que le vrai, et même ce qui est scientifiquement vérifié n’est qu’un cas particulier du fantastique. Il est des fantaisies exactes. Qui plus est : seul ce qui est fantastique peut être exact. Il n’y a pas moyen de bien comprendre l’homme si l’on ne remarque pas que la mathématique jaillit de la même source que la poésie, le don d’imaginer. » Ortega y Gasset Penser l’individuation du dedans. Ortega et Simondon Préface au livre de Nicolas Dittmar La profondeur de la philosophie de José Ortega y Gasset aura souvent été survolée par nombre de ses lecteurs, en partie à cause du talent pédagogique et littéraire avec lequel son auteur l’exposait. Elle est d’une fausse facilité, parse- mée de doubles fonds. Cette facilité fut pourtant voulue, en un sens, par Ortega lui-même. À charge pour le lecteur de prendre au sérieux les indications qui, du chef d’Ortega lui- même, lui enjoignent de regarder toujours plus loin, de ne pas croire avoir déjà compris. Cependant, il reste indéniable que ce talent pédagogique fut mis au service d’une respon- sabilité politique à laquelle la circonstance espagnole de l’époque l’obligeait. Circonstance dont Ortega cherche à s’approprier, comme il appartient à toute vie – dira-t-il tant et plus – de le faire. Il prit sur lui la responsabilité pédago- gique – et, partant, politique et citoyenne – de rendre la phi- losophie accessible, si bien que nombre de ses livres furent publiés chapitre par chapitre dans les pages culturelles de certains quotidiens espagnols (ou hispanophones) de l’époque. Or, cette facilité d’accès ne peut être un gain du- rable que si le lecteur pense par lui-même ce qu’Ortega nous donne à penser. Que nous donne-t-il donc à penser à proprement parler ? Rien de moins que ce qui nous est le plus familier, le plus évident ou transparent et, en même temps, le plus ca- ché : la vie, notre vie, comme réalité radicale. Radicale, car c’est en elle « qu’ont lieu » les autres réalités. Elle n’est pas la réalité la plus « importante ». Elle est tout simplement l’en deçà de tout le reste, ce par rapport à quoi tout le reste est relativement autre et transcendant (i.e., et générique- ment parlant, les deux termes de l’a priori de corrélation, le moi et monde ou « circonstance »). Ses cours universitaires d’avant la guerre civile et d’avant son exil, publiés à titre posthume, gardent eux aussi cette limpidité pédagogique unie à un grand talent littéraire. Mais on y sent, plus claire- ment, à quel point ce double versant d’une évidence qui s’occulte dans sa profondeur ultime appartient, somme toute, à la chose même, à cette « chose » qu’il faut penser ou plutôt, depuis laquelle il faudrait tout repenser : la vie comme réalité radicale. En avoir stabilisé l’accès et en avoir dégagé les structures principales (celles qu’Ortega appelait les « catégories de la vie ») revêt déjà un grand mérite, et pourtant, l’on retombe très vite dans de vieux paradigmes qu’Ortega dénonce avec une inlassable vigueur, indiquant par là ce qu’il entendait comme un nouveau point de départ. Autant Ortega nous donne d’y accéder, autant la tâche d’y rester, de penser depuis cet en deçà de la vie comme réalité radicale, constitue un formidable tour de force, jamais ac- quis, et que chaque lecteur doit, tour à tour, s’efforcer de te- nir. L’un des mérites de cet ouvrage de Nicolas Dittmar est justement d’avoir pris au sérieux la nouveauté de ce point de départ et de s’en enquérir concrètement. Comment ? En pensant, avec Ortega, depuis ce nouveau terrain. Autrement dit, ce livre met en lumière dans quel sens le « dépasse- ment » de certains concepts de la tradition ne revient nulle- ment à des synthèses, mais bien plus à des pas en retrait, c’est-à-dire, à des incursions dans l’en deçà qu’est la vie comme terreau originaire de la pensée, du faire, et de l’être. La philosophie ortéguienne ne cherche donc pas, comme Nicolas Dittmar le montre avec acuité, une synthèse entre réalisme ou idéalisme, ou entre rationalisme ou vitalisme. La synthèse est déjà faite, dès lors que l’on pense depuis la vie comme réalité radicale. Toute la difficulté – inhérente, encore une fois, à la chose même, ce qui rend parfois la pensée d’Ortega faussement simple – est de penser cette réalité radicale par elle-même. Qu’est-ce à dire ? C’est sur ce point que la mise en regard des philosophies d’Ortega y Gasset et de Gilbert Simondon peut s’avérer comme une vraie percée interprétative et phé- noménologique, tant ce livre indique des chemins encore à parcourir, traversés d’une tension que nous considérons fort féconde, et qui ne fait que renforcer l’intérêt du présent ou- vrage. En effet, penser depuis la réalité radicale est, pour le moins, ardu, car trop accessible. C’est un milieu transparent et centrifuge : nous faisons toujours déjà corps avec ce qu’est que vivre, avec notre vie ; et nous glissons vers ce que l’on y rencontre. Tout radicale qu’elle soit, la vie arbore d’emblée une structure complexe, fort éloignée de la struc- ture monolithique de la chose et de nos expériences « cho- sales » avec toute « base ». La vie est, en effet, d’emblée ré- flexive. Elle se sait et assiste à elle-même. Elle est donnée comme absolue, comme l’absolu où se donne le reste des choses. Et pourtant, elle est pure détresse. Elle m’est don- née comme « à faire ». Elle m’est lancée, je suis lancé en elle, mais comme ce que moi seul je suis à même de re- prendre. S’il est une chose difficile à saisir, c’est ce caractère sau- vage et contraignant (mais aussi possibilitant) de la vie, au- trement dit : toute la difficulté est de penser, chez Ortega, la différence ou la non-coïncidence entre le moi et la vie. Mais à ceci près que « la vie » est nécessairement et inéluctable- ment « ma vie ». Elle a un titulaire irremplaçable et unique : moi-même. Or le moi et ce qui n’est pas moi (ce qu’Ortega appelle « circonstance ») apparaissent « dans » la/ma vie. La vie comme structure réflexive (la vie se sait elle-même) est nécessairement individuelle : la vie l’est toujours d’un moi. Et pourtant, elle précède ce moi. Le moi s’y retrouve et s’y trouve lancé, tout en la recevant comme tâche. La vie m’adresse en exclusivité l’injonction de la faire. Ortega est donc très loin de tout biologisme et de tout vitalisme imper- sonnel ; et c’est en cela qu’il reste profondément fidèle à la phénoménologie. Venons-y pas à pas. Il y a donc un décalage entre la vie (comme potentielle- ment appropriable) et les deux termes de l’a priori de corré- lation : le moi et le monde (ou la circonstance), sans que la vie ait pour autant une indépendance (comme en biologie), étant une sorte de substance anonyme d’où « émergeraient » les deux autres termes (le moi et la circonstance). La vie est toujours « ma » vie ou celle de quelqu’un. Le moi se dé- couvre dans sa propre vie ; or cette vie, en tant que vie, im- pose au moi certaines structures. Ce décalage ne se colmate jamais (ni en un subjectivisme absolu, ni en un vitalisme anonyme), et c’est ce qui fait toute la dynamicité de la pen- sée ortéguienne. Or c’est précisément cette dynamicité qu’il faut penser de près. Nous la situons stratégiquement dans cet interstice entre la vie et le moi (comme exposition de ce dernier à la circonstance). En tout cas, il faut comprendre que la vie a toujours déjà déployé son entière richesse struc- turale. Loin d’attendre le placet du moi, elle l’y entraîne. Mais elle le fait tout en lui remettant entièrement et en ex- clusivité la tâche de l’accomplir : la vie se donne à moi comme à faire (par moi seul). La vie est donc une structure réflexive d’appropriation potentielle qui n’est rien si elle n’est pas épousée du dedans par un moi qui prend sitôt en charge la tâche de l’accomplir (tout en s’accomplissant). Quel est donc ce chemin du (se) faire de la vie, lové dans l’interstice entre le moi et la vie ? Ortega nous dit, uploads/Philosophie/ 0548leo-nicolas-dittmar-simondon-et-ortega-y-gasset-int-22-09-2022 1 .pdf
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- Publié le Mar 14, 2021
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