Métaphore et analogie dans les théories scientifiques (des objectifs et des str
Métaphore et analogie dans les théories scientifiques (des objectifs et des structures des théories scientifiques) Pierre-Yves Raccah, CNRS CeReS, Université de Limoges RESUME L'analyse que je propose ici vise d'une part à caractériser les objectifs des théories scientifiques et, d'autre part, à déterminer les moyens structuraux dont ces théories disposent pour satisfaire ces objectifs. En ce qui concerne le premier point, je critique la conception naïve selon laquelle le rôle des théories est d'"expliquer" les phénomènes relatifs à un domaine, et lui substitue une conception selon laquelle les théories engendrent des descriptions des phénomènes en vertu de règles formelles. Au cours de cette discussion, j'examine la notion intuitive de "loi naturelle", le concept d'adéquation explicative et je décris ce que l'on entend par "rendre compte d'un phénomène"; les concepts d'hypothèses externes et internes sont précisés et comparés à ceux de mesure et de calcul; un modèle formel des théories empiriques est alors décrit. J'examine ensuite les moyens dont une théorie dispose pour délimiter son objet d'étude; deux stratégies de découpage de l'observable sont décrites et discutées dans leur application aux sciences du langage: l'approche épistémique et l'approche procédurale. ABSTRACT The present work intends, on the one hand, to characterise the aims of scientific theories and, on the other hand, to determine the structural means by which these theories achieve these aims. I criticise the naive approach according to which the rôle of theories is to "explain" the phenomena of some domain and propose an approach according to which theories generate descriptions of phenomena by virtue of formal rules. Within this discussion, I examine the intuitive notion of "Natural Law", the concept of explanatory adequacy and describe what is understood by "accounting for a phenomenon"; the concepts of external and internal hypotheses are made precise and compared to those of measure and calculus; a formal model of empirical theories is then described. I then examine the means which a theory can use for the delimitation of its object; two strategies are described and discussed in their application to the sciences of language: the epistemic approach and the procedural approach. Table Ronde de Nice 2006. Texte très provisoire pour démarrer les discussions 2 1 Description et explication 1.0 Explication et signe Pour que l'on puisse parler d’« expliquer », certaines conditions doivent être réunies, qui contraignent fortement la notion étudiée: 1. Il doit d'abord y avoir quelque chose à propos de laquelle une explication peut être fournie (un comportement, un texte, un schéma ou autre représentation perceptible, bref, un phénomène1). 2. Cette chose à propos de laquelle une explication peut être fournie doit être perçue ou imaginée par un destinataire; cette perception peut être plus ou moins complète. 3. Cette chose, à propos de laquelle une explication peut être fournie, est susceptible d'être comprise ou de ne pas être comprise; le destinataire pouvant la percevoir sans la comprendre. 4. Enfin, que cette chose soit présentée au destinataire par un agent, ou qu'elle soit donnée à lui par la nature (auquel cas, peut-être faudrait-il considérer que le destinataire se la présente à lui-même et joue, de ce fait, également le rôle de premier agent), l'explication, si elle a lieu d'être, est émise par un agent2. Comprendre et expliquer Dans une situation d'explication, nous sommes donc en présence d'un phénomène Φ, perçu ou imaginé par un agent α, phénomène pouvant être compris ou non par α (indépendamment du fait qu'il soit perçu). On dira, alors, qu'un agent β (différent de α) explique Φ à α si (i) à un temps t1, α perçoit Φ mais ne le comprend pas (ou pas entièrement); (ii) à un temps t2 > t1, β émet quelque chose en direction de α, qui est perçu par ce dernier; et (iii) à cause de l'action de β, à un temps t3 ≥ t2, α comprend Φ3. Malgré le caractère apparemment formel du paragraphe précédent, la caractérisation qu'il fournit de l'explication reste très vague: Que signifie comprendre Φ ? Quelle est la nature de ce qui est émis par β (qu'est-ce donc qu'une explication ? On voit que nous sommes encore loin d'avoir répondu à la question initiale...). De quelle manière l'action de β cause la compréhension de Φ chez α ? Cette formulation nous permet néanmoins de risquer une analogie intéressante. 1 On s'aperçoit déjà que, en fonction de cette entité à propos de laquelle une explication peut être fournie, les notions d'expliquer et d'explication varient. 2 Bien que cela ne soit pas nécessaire pour la suite de cette réflexion, il me semble utile d'ajouter ici que cet agent -explicateur- doit probablement être différent du destinataire (ce qui n'est pas le cas, comme on l'a vu, pour l'agent qui présente la chose à propos de laquelle l'explication pourrait être fournie). 3 Pour être rigoureux, il faudrait ajouter que c'est en mettant en œuvre les intentions de l'action de β que α comprend Φ, et non pas seulement à cause de l'action de β... 3 Tout se passe comme si Φ constituait un signe d'un système sémiologique4, signe que α est censé percevoir, mais peut ne pas être en mesure d'interpréter; l'action de β vise alors à donner à α les moyens d'interpréter Φ. Si l'on adopte cette analogie, les questions philosophiques qui viennent d'être posées ne sont plus qu'une spécialisation des questions que l'on peut poser à propos de tout système de signe : on sait que, même s'il n'est pas pensable d'y apporter de réponses générales, cela n'empêche pas l'étude des systèmes de signes. L'utilisation de cette analogie impose cependant des contraintes sur la nature des explications (ce qui est émis par β pour amener α à comprendre Φ). En effet, s'il s'agit d'une aide à l'interprétation d'un signe, ce que β émet, c'est à dire l'explication proprement dite, doit lui-même relever d'un système sémiologique. Nous affinerons ici l'analogie dans la direction de la linguistique et nous intéresserons aux énoncés explicatifs. Ce choix n'implique pas que l’on doive considérer toute explication comme relevant nécessairement de la linguistique; néanmoins, si, en accord avec l'analogie décrite plus haut, on conçoit l'explication comme relevant d'un système sémiologique, on est amené à penser que le point de vue linguistique n'est pas seulement la spécification d'un contexte explicatif possible, mais une sorte de paradigme duquel il est possible de s'inspirer pour étudier tout type d'explication. Comprendre et comprendre La chose à propos de laquelle une explication peut être fournie, et qui doit donc, selon la perspective choisie, être considérée comme un signe, est ce que l'agent explicateur vise à faire comprendre au destinataire. D'autre part, l'agent explicateur produit, pour faire comprendre cette chose, une explication (dans la perspective choisie, un segment linguistique), qui est elle-même censée être comprise par le destinataire, et qui plus est, comprise comme une explication. Il y a donc en jeu deux notions de compréhension, qui n'ont pas de raisons de se confondre: celle qui concerne le phénomène à expliquer et celle qui concerne l'explication elle-même (dans notre cas, le segment linguistique explicatif). Dans le premier cas, il s'agit de relier le phénomène à une interprétation, qui n'est autre que celle qui doit être assignée au segment explicatif (cf. plus haut); dans le second cas, il s'agit de construire l'interprétation du segment explicatif. Le schéma suivant illustre la situation: 4 Par "système sémiologique", il faut entendre tout système d'entités susceptibles d’être interprétées dans ce système, et supposant donc des êtres du genre émetteur, des entités ressemblant à des signes et des êtres jouant un rôle voisin de ce lui de destinataire. Les langues constituent des exemples de systèmes sémiologiques particuliers; d'autres exemples, comme la signalisation routière, l’habillement, le design, etc. ont bien été étudiés. 4 Schéma 4 : explication, compréhension et compréhension Cette situation explique une confusion, ou du moins une assimilation abusive, que l'on retrouve dans presque tous les travaux sur l'explication : très rares, en effet, sont les auteurs qui opèrent une distinction, dans leurs fondement théoriques5, entre les phénomènes, les concepts, et les signes qui y renvoient. Comprendre un phénomène, un concept ou des signes (par exemple une explication...) est, chez ces auteurs, considéré a priori comme étant la même activité. Ce manque de précision pourrait être considéré comme de la désinvolture si l'on ne tenait pas compte de cette "circonstance atténuante" que constitue le caractère sémiologique des phénomènes vis-à-vis de leur interprétation dans un système conceptuel explicatif (tel que l'illustre l'angle nord-est du schéma ci- dessus). Il n'en demeure pas moins que, même si les phénomènes sont susceptibles d'être compris, ils ne le sont pas de la même façon qu'un énoncé ou qu'un texte exprimé dans une langue (naturelle), ou même dans un langage formel. Ainsi, le mot "comprendre" dans l'expression "comprendre le mot « honnêteté »" n'a pas la même signification que dans l'expression "comprendre le concept d'honnêteté", et ces deux significations sont encore différentes de celle qu'il acquiert dans l'expression "comprendre l'honnêteté d'une action ou d'un comportement". Il résulte de cela qu'expliquer un concept, un phénomène ou un texte sont trois activités différentes. 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- Publié le Mai 30, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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