INTRODUCTION Les attentes d’évasion et la quête d’expériences inattendues et ex
INTRODUCTION Les attentes d’évasion et la quête d’expériences inattendues et extraordinaires, de sensations nou- velles marquant notre époque postmoderne (Ritzer, 1999 ; Hetzel, 2002) sont prises en compte par les concepteurs de sites particuliers afin d’offrir des prestations qui permettent aux individus de vivre ces expériences sous contrôle dans des environnements reconstitués, plus artificiels qu’authentiques, combi- nant réel et imaginaire, c’est-à-dire hyperréels (Ritzer, 1999 ; Graillot, 2003, 2004). L’hyperréalité constitue un sujet d’analyse inté- ressant à plus d’un titre. D’une part, elle caractérise un nombre important de lieux de loisirs, et plus particu- lièrement touristiques (Cova, 1996a, 1996b ; Ritzer, 1999 ; Graillot, 2003, 2004), secteurs économiques prospères. Ainsi, en France, l’hyperréalité se mani- feste à Disneyland Paris, première destination touris- tique en Europe (Marini, 2003). D’autre part, elle est l’un des phénomènes les plus originaux dans notre société (Cova et Cova, 2002) postmoderne. En effet, il Recherche et Applications en Marketing, vol. 20, n° 1/2005 Réalités (ou apparences ?) de l’hyperréalité : une application au cas du tourisme de loisirs Laurence Graillot Maître de conférences IUT de Dijon et CERMAB-LEG, Université de Bourgogne L’auteur tient à remercier le rédacteur en chef ainsi que les lecteurs anonymes pour leurs commentaires constructifs. L’auteur peut être contacté à l’adresse électronique suivante : laurence.graillot@iut-dijon.u-bourgogne.fr F E N Ê T R E S U R RÉSUMÉ L’hyperréalité est un phénomène peu étudié en marketing, alors qu’elle caractérise un nombre croissant de lieux de loisirs, notamment touristiques. Dans cet article, nous construisons donc un cadre théorique permettant de cerner plus précisément ce phénomène et de le définir. Ce cadre et une étude d’univers touristiques de loisirs permettent ensuite d’identifier les thèmes et les stratégies pouvant être retenus par des structures pour générer l’hyperréalité mais également les opportunités et les menaces qu’elle induit. Mots clés : Hyperréalité, simulation, loisirs, tourisme, thèmes d’un environnement, stratégies, opportunités, menaces. y a une mise en avant de l’hyperréalité – la surface des choses – au détriment de l’authenticité – la pro- fondeur des choses (Sherry, 1998). Il y a aussi une célébration du superficiel et de l’artificiel (Cubitt, 2001). Enfin, l’hyperréalité est peu explorée par les recherches françaises menées en marketing. Or ce relatif désintérêt semble paradoxal puisqu’elle fonde des structures commerciales, touristiques ou non, de plus en plus nombreuses. Par conséquent, afin de cerner plus précisément l’hyperréalité, dans une première partie nous allons établir un cadre théorique et proposer une définition de ce phénomène. Dans une seconde partie, sur la base de ce cadre et d’une étude de plusieurs univers touris- tiques de loisirs, nous identifierons non seulement des stratégies retenues par des institutions apparte- nant à ce secteur pour créer l’hyperréalité mais égale- ment les opportunités et les menaces qu’elle génère. Pour conclure, nous préciserons les apports, limites et voies de recherche impliqués par ces réflexions sur ce phénomène. CADRE THÉORIQUE DE L’HYPERRÉALITE Afin d’établir un cadre théorique de l’hyperréa- lité, il convient tout d’abord d’examiner sa définition étymologique. Celle-ci nous conduira alors à nous interroger sur sa place parmi les différentes concep- tions philosophiques de la réalité. Puis, nous nous intéresserons à son origine artistique pour mettre en évidence les techniques exploitées pour la produire. Nous exposerons également les principales analyses qui lui ont été, plus spécifiquement, consacrées. Pour conclure, nous proposerons une définition de l’hy- perréalité. Définition étymologique D’un point de vue étymologique, le terme d’hy- perréalité réunit deux mots : – « hyper » : provient du mot grec huper et cor- respond aux expressions « au-dessus » ou « au- delà » ; – « réalité » : trouve ses racines dans le terme latin realitas et signifie « ce qui existe » (Diction- naire de la langue française Larousse, Lexis, 1989 ; Encyclopédie Encarta, 2000). L’hyperréalité désigne donc ce qui se situe au- delà de la réalité, de ce qui existe. Principales philosophies de la réalité La définition précédente montre que pour appré- hender l’hyperréalité, il faut supposer implicitement qu’une réalité (ou des réalités) existe(nt). Il nous semble alors intéressant de présenter succinctement les principales approches de la réalité développées depuis la philosophie grecque : il s’agit non seule- ment de déterminer le courant au sein duquel les dif- férentes conceptions de l’hyperréalité peuvent se positionner mais également de cerner certaines notions proches comme celles de l’apparence, de l’illusion, du simulacre, de la représentation, de l’image. Au préalable, nous pouvons remarquer que le Dictionnaire de la langue française Larousse, Lexis (1989) définit le mot « réalité » à l’aide du terme « réel » (la réalité correspond au « caractère de ce qui est réel »). Or, ce dernier, désignant ce « qui existe ou a existé effectivement », provient du mot latin res qui signifie la chose. Ainsi, la réalité fait référence à la chose, ou plus généralement à l’objet. Par consé- quent, les différentes philosophies de la réalité se dis- tinguent sur la base de la part respective qu’elles accordent à l’objet observé (objectivité) ou au sujet observant (subjectivité) (Encyclopédie Universalis, logiciel version 5.1.2). Les philosophies fondatrices de Platon et d’Aristote Depuis l’Antiquité, le concept de réalité intéresse les philosophes et notamment Platon et Aristote qui en ont deux approches différentes. Deux raisons, au moins, nous incitent à faire référence aux travaux particuliers de ces deux penseurs : – Platon, maître d’Aristote, a intégré dans sa pen- sée les apports des systèmes philosophiques dévelop- pés antérieurement ; – leurs travaux ont influencé les écrits philoso- phiques ultérieurs jusqu’à ce que Descartes fonde la philosophie moderne (Michelet in Aristote, 1991). Laurence Graillot 44 Pour Platon, dans La République, et plus précisé- ment au travers du symbole de la ligne et de l’allégorie de la caverne, la réalité correspond au monde intelli- gible qu’il oppose sur le plan ontologique au monde visible ou monde des apparences (Tableau 1). Seule la raison permet d’appréhender la réalité puisque les sens ne peuvent percevoir que le monde visible. Ainsi, l’eídolon correspond seulement au reflet du monde des Idées. Dans La République et Le Sophiste, il considère comme eídolon les ombres, les reflets, les œuvres d’art et plus particulièrement la peinture en trompe-l’œil. Dans le livre X de La République, il y a simulacre quand il y a imitation de l’apparence des choses matérielles – concrètes – qui sont des copies du monde des Formes. Le simulacre cherche à donner l’illusion du vrai. Il en va ainsi de l’artiste qui reproduit un lit fabriqué par un menuisier (notes de Leroux in Platon, 2004). À ce stade, le lien avec la Forme a été perdu car l’artiste imite l’apparence des choses maté- rielles (Cubitt, 2001). Platon ajoute que le simulacre correspond à la petite partie des modèles qui seule peut être représentée et qu’il est donc indissociable de l’idée de manque qui caractérise, au-delà, la totalité du monde visible puisque ce dernier constitue une image du monde intelligible (notes de Cordero in Platon, 1993). En outre, dans Le Sophiste, pour Platon, l’image « n’est pas autonome, car sans modèle il n’y a pas d’image » (notes de Cordero in Platon, 1993, p. 286). La distinction ontologique entre monde visible et monde intelligible peut se traduire au plan épistémologique (Tableau 2). Finalement, Platon démontre que ce qui apparaît ne correspond pas au réel. Les sens n’apportent qu’illu- sions et conduisent à confondre les images avec les choses qu’elles représentent (notes de Leroux in Pla- ton, 2004). Il faut distinguer ce qui est en soi – l’être et l’objectif – et ce qui est pour l’individu – l’apparaître et le subjectif. Dans La Métaphysique, Aristote rejette la théorie des Idées et affirme la réalité du monde sensible (Poirier in Aristote, 1991). Pour Aristote, « les Idées ne sont que des objets sensibles » (p. 102). Par consé- quent, pour connaître, les causes peuvent être recher- chées dans le monde physique (Jaulin, 1999). Il est alors possible de s’en remettre à l’expérience. Réalités (ou apparences ?) de l’hyperréalité : une application au cas du tourisme de loisirs 45 Tableau 1. – La distinction ontologique de Platon Monde visible Monde intelligible Monde des apparences ; Monde sensible (perçu par les sens) ; Monde dans lequel nous vivons ; Monde concret des choses matérielles (êtres vivants, nature, objets) qui ne sont que des copies imparfaites des Idées ; Monde des images – des simulacres (eídola) – qui imitent les choses matérielles. Monde de la réalité – de l’être ; Monde des Idées pures – des Formes, parfaites, éternelles et invisibles – c’est-à-dire des « réalités générales », des modèles dont sont issues les choses matérielles. Tableau 2. – La distinction épistémologique de Platon Opinion Science Illusion, représentation (eikasía) : elle correspond à l’image mentale résultant de la perception ; Croyance (pístis) : elle conduit à croire que la réalité est donnée par la perception sensible. Intellection pure (nóesis). Laurence Graillot 46 Tableau 3. – Un continuum des postions philosophiques sur les origines de la connaissance de la réalité Déterminisme matériel Déterminisme mental Philosophie Conception de la réalité Conception de la nature humaine Philosophes uploads/Philosophie/ 2-ram-laurence-graillot 1 .pdf
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- Publié le Jan 09, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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