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Tous droits réservés © Collège Édouard-Montpetit, 2003 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 3 fév. 2020 17:38 Horizons philosophiques Existence malheureuse et temporalité Réflexions kierkegaardiennes sur le sens de l’existence Dominic Desroches Au risque du bonheur Volume 14, numéro 1, automne 2003 URI : https://id.erudit.org/iderudit/801250ar DOI : https://doi.org/10.7202/801250ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Collège Édouard-Montpetit ISSN 1181-9227 (imprimé) 1920-2954 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Desroches, D. (2003). Existence malheureuse et temporalité : réflexions kierkegaardiennes sur le sens de l’existence. Horizons philosophiques, 14 (1), 39–55. https://doi.org/10.7202/801250ar EXISTENCE MALHEUREUSE ET TEMPORALITÉ RÉFLEXIONS KIERKEGAARDIENNES SUR LE SENS DE L'EXISTENCE Kierkegaard est un penseur de l'existence. Or face à cette question difficile qui consiste à «trouver» le sens de l'existence, la démarche philosophique de Kierkegaard est originale et peut nous servir de guide. Celle-ci consiste à proposer une topologie existentielle au sein de laquelle s'exposent et s'illustrent les grandes catégories qui permettent à tous, en tant qu'individus, de «se comprendre dans l'existence1». Il y a trois sphères ou stades de l'existence dans la philosophie de Kierkegaard : l'esthétique, l'éthique et le religieux. Et c'est le langage, dans les limites de ce qu'il peut dire, qui marque la différence entre ces trois conceptions de vie : entre la deux premières sphères se trouve l'ironie, qui consiste à faire entendre quelque chose par son contraire, et entre les deux dernières se trouve l'humour, qui consiste à reconnaître les limites de son existence finie face à l'infini2. Si toute pensée qui se penche sur le sens de l'existence ne peut manquer de soulever la question du bonheur et du malheur, celle du philosophe danois, aussi, n'y échappe pas. Kierkegaard distingue la joie (Glœde), la félicité éternelle {evige Salighed) et le bonheur {Lykké). Si le bonheur constitue le sentiment propre à la sphère esthétique qui, face aux sphères éthique et religieuse, ne s'est pas encore remise en question elle-même (c'est la critique que l'on peut lire dans le second tome du Post-Scriptum aux Miettes philosophiques), Kierkegaard fait en revanche de la joie durable et de la félicité des sentiments religieux, comme la joie et le salut propres au christianisme. En fait, on ne peut accéder à la félicité sans le christianisme. Le bonheur ne peut se comprendre ici qu'à la lumière de la souffrance de l'intériorité éthique et religieuse3. Ainsi nous avons, en résumé, le schéma traditionnel de la topologie kierkegaardienne appliqué à la question du bonheur. HORIZONS PHILOSOPHIQUES AUTOMNE 2003, VOL 14 NO 1 39 Dominic Desroches Dans les pages qui suivent, nous voulons nuancer cette lecture très commode et reprendre à nouveaux frais la question du bonheur chez Kierkegaard, car nous croyons qu'il n'est pas vain d'étudier le bonheur hors du cadre religieux. Notre intérêt n'ira donc pas à la joie et à la félicité éternelle, des notions religieuses développées dans le cadre du problème de la souffrance dans le Post-scriptum, les Discours édifiants (1844) et les Discours chrétiens (1848)4, qui ont déjà été étudiées ailleurs5, mais au malheur (ulykke) compris comme conflit propre à la personnalité esthétique. C'est ainsi que nous nous attaquerons au bonheur par la voie négative, c'est-à-dire en approfondissant le problème du malheur. Partant du malheur, notre méthode ne surprendra personne tellement elle est classique en philosophie, car plus souvent qu'autrement, les philosophes, incapables de dire en quoi consistait le bonheur, se sont limités à déduire les caractéristiques du bonheur à partir de la description de son contraire, c'est-à-dire du malheur. Dans cet article, nous montrerons que la question du malheur (donc aussi celle du bonheur) est inséparable chez Kierkegaard de l'interprétation du temps. Nous défendrons la thèse suivant laquelle l'éthique, grâce à la notion de continuité de soi, assure à la fois un sens à l'existence, mais aussi une certaine stabilité, un certain bonheur. Après avoir présenté la sphère esthétique, expliqué trois formes de malheur liées à des interprétations inadéquates de la temporalité et montré en quoi la continuité éthique permet de découvrir un sens à l'existence, nous insisterons sur la différence absolue séparant le bonheur et le malheur dans l'interprétation du sens de l'existence. Cela nous permettra de voir comment la pensée de Kierkegaard se démarque de la tradition philosophique pour laquelle le bonheur, le plus souvent, est à entendre comme «bonne fortune». À la fin de notre article, nous nous pencherons, dans une perspective herméneutique, sur le bonheur et la question du sens de la vie. Pour Kierkegaard, nous le verrons, il n'est pas tant question de savoir si le bonheur est le but ultime de l'existence, de savoir s'il se trouve au hasard de la vie ou si nous en sommes dignes, comme le proposait Kant, mais plutôt de chercher à comprendre de quelle manière l'homme peut travailler sur lui-même afin d'éviter, ici-bas, le malheur dont il est lui-même responsable. 40 HORIZONS PHILOSOPHIQUES AUTOMNE 2003, VOL 14 NO 1 Existence malheureuse et temporalité Réflexions kierkegaardiennes sur le sens de l'existence I. Mode esthétique d'existence : immédiateté, paradoxe et vide Pour Kierkegaard, l'esthétique n'est pas d'abord une science ou un savoir, mais un mode d'existence immédiatement déterminé comme désir et imagination en l'absence de l'unité du moi. L'esthétique s'avère une sphère en laquelle l'existence est caractérisée par la recherche immédiate de la sensation, du plaisir et de l'atmosphère. Voilà pourquoi Kierkegaard déclare dans la première partie de Enten-Eller (L'Alternative) consacrée à l'exposition de la sphère esthétique : est esthétique «ce par quoi l'on est immédiate- ment ce que l'on est» (OC IV, 162/11 193). Or cette définition de l'esthétique en tant que modalité d'existence n'est pas habituelle en philosophie et elle mérite des explications. L'esthétique se veut la sphère de la multiplicité, du possible, de la discontinuité. Elle incarne d'abord la multiplicité parce qu'elle s'exprime de multiples manières dans son œuvre : selon plusieurs auteurs, dans plusieurs textes et par de nombreuses figures légendaires. Ensuite, elle est la sphère du possible parce que l'imagination, le moteur de l'esthétique, fournit des possibilités idéales d'existence. De la discontinuité enfin parce que son représentant, sans cesse dominé par ses états d'âme et la recherche du plaisir, ne cherche que la jouissance en des instants épars. Dans la topologie existentielle, la sphère esthétique se présente donc comme une «poétisation romantique du monde» et trouve dans l'élément sensoriel son atmosphère, qui est son seul point de contact : le réel. Afin de mieux saisir cela, procédons à une petite phénoménologie de l'esthétique. Sous l'emprise partielle sinon totale de son humeur (ou tonalités affectives / Stemninger), la personnalité esthétique se cherche sans cesse. Ballottée au rythme de ses désirs et de ses pulsions, elle est pour ainsi dire forcée de vivre dans la dispersion de ses états d'âme, esclave qu'elle est de sa recherche infinie de la nouveauté et des sensations fortes. Ainsi n'est-elle jamais elle-même, vraie ou authentique, elle se retrouve toujours dans un nouveau rôle, aussi nombreuse que les personnages qu'elle se plaît à jouer! Tout ce qui l'intéresse, c'est l'immédiateté, la sensation et le plaisir. Ainsi vue, la vie esthétique procure le bonheur dans la sensation présente et la gratification instantanée — le malheur lui est étranger, trop sérieux et trop souffrant. La personnalité de l'esthétique ne vise donc que ce bonheur immédiat, accessible au sens et à l'imagination. HORIZONS PHILOSOPHIQUES AUTOMNE 2003, VOL 14 NO 1 41 Dominic Desroches Or, l'esthétique connaît aussi le conflit. En effet, l'esthéticien, le spécialiste de l'immédiat, souffre d'un manque d'unité, car son moi n'est pas construit sur de véritables choix. L'esthétique s'avérera contradictoire parce qu'elle est vouée exclusivement à la quête de l'idéalité. C'est ainsi qu'elle incarne un danger, car son défenseur apparaît tôt ou tard incapable de sortir du monde des possibles qu'il a lui-même imaginé. Il fait de sa vie un théâtre et trouve peu intéres- sante la vie concrète puisque, face au royaume des idées, celle-ci offre bien peu de satisfaction pour sa féconde imagination. Ainsi en est-il de la personnalité esthétique : entièrement soumise aux désirs et à l'imagination, elle apparaît fictive parce qu'elle manque d'une véritable passion d'exister. Elle se contredit elle-même, car elle cherche dans la réalité une idéalité qui ne s'y trouve pas et dans l'idéalité une réalité qui la contredit. Le paradoxe propre au mode esthétique d'existence s'établit sur la contradiction qu'il y a à chercher l'idéalité pour elle-même et à s'y abîmer, oubliant par là l'existence concrète, c'est-à-dire la vie éthique (Det Sœdelige). La passion d'exister, d'exister dans le temps, affirme Kierkegaard, ne peut se trouver que dans la sphère éthique où l'homme se reconnaît lui-même à partir de ses choix. Tourné vers les plaisirs extérieurs et le monde imaginaire, l'esthète plane uploads/Philosophie/ desroche-existence-malheureuse-et-temporalite.pdf

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