Author: St. Ours, Kathryn Title: L’ethnologie écopsychologique de Jean-Loup Tra

Author: St. Ours, Kathryn Title: L’ethnologie écopsychologique de Jean-Loup Trassard ©Ecozon@ 2015 ISSN 2171-9594 110 Vol 6, No 2 L’ethnologie écopsychologique de Jean-Loup Trassard Kathryn St. Ours Goucher College, USA Résumé L’éco-critique est un champ de recherche en plein essor qui comprend notamment l’étude de la littérature à vocation environnementale et écologique. Or l’éthos agraire de l’auteur contemporain Jean- Loup Trassard informe des écrits qui évoquent la vie rurale pré-industrialisée d’un point de vue ethnologique. Il s’agit précisément de décrire non seulement les coutumes, valeurs et peines de l’existence agraire mais également les fermes, outils, chemins et haies d’une période de plus grande durabilité environnementale. Qui plus est, son travail d’ethnologue s’accompagne d’une intuition éco-psychologique certaine, témoin d’une compréhension profonde de la relation intime qui lie les êtres humains et leurs environnements naturels. Mots clés: Biophilie, inconscient écologique, topophilie, agrairianisme, écopsychologie. Abstract The expanding field of ecocriticism includes the study of fictional and non-fictional literature focusing on environmental or ecological issues. Contemporary French author Jean-Loup Trassard’s agrarian ethos informs those writings that describe pre-industrialized agricultural life and constitute in this sense ethnological sketches of the customs, values, farmsteads, tools, chores, hedgerows, of a more ecologically sustainable period. Moreover, his portraiture of rural existence is complemented by an ecopsychological intuition, that is, a profound understanding and appreciation of the intimate relationship linking people to their natural surroundings. Key words: Biophilia, ecopsychology, agrarianism, topophilia, ecological unconscious. Resumen La ecocrítica constituye un campo de investigación en plena expansión que estudia textos de ficción y de no ficción desde un punto de vista ecológico o medio-ambientalista. Una de sus múltiples vertientes— la psicológica—se enfoca en la relación entre el bienestar humano y el medio ambiente natural. Los escritos etnológicos del autor francés contemporáneo Jean-Loup Trassard describen no sólo las costumbres, los valores, o los quehaceres del mundo agrario sino también las fincas, herramientas, granjas y caminos de la vida rural. Se trata de una ética agraria acompañada de una intuición eco-psicológica, o sea, de una comprensión y apreciación de la relación íntima entre seres humanos y su medio ambiente natural. Palabras clave: Biofilia, topofilia, agrarismo, eco-psicología, inconsciente ecológica. Author: St. Ours, Kathryn Title: L’ethnologie écopsychologique de Jean-Loup Trassard ©Ecozon@ 2015 ISSN 2171-9594 111 Vol 6, No 2 C’est en 1957 que Jean-Loup Trassard (Mayenne, 1933) s’inscrit en Ethnologie- Préhistoire à la Sorbonne, études interrompues le temps de finir une licence en droit et travailler avec son père comme Fermier des Droits Communaux. Profitant d’un horaire souple pour écrire et s’instruire, il retourne au cours de Préhistoire en 1960 et s’engage définitivement sur une voie restée actuelle depuis: ethnologie, préhistoire, écriture, photographie.1 D’une part et en principe, une fiction très enracinée dans la boue mayennaise (Traquet Motteux 11)—son premier recueil de récits courts, Amitié des Abeilles, paraît en 1961—de l’autre, des textes ethnologiques destinés à raconter la vie rurale de façon directe (dont bon nombre a été publié dans la revue Cahiers du Chemin entre 1967 et 1977) et à la représenter par l’image photographique. En réalité, un vaste ensemble de textes génériquement inclassables de par leur hybridité mais qui se répondent par leur thématique: “une visite de la plume aux champs, sous le prétexte de prendre soin du sol, des plantes, des animaux et parfois du matériel” (9). Enfin, en 2000, parution de son premier roman Dormance, fruit d’un travail de seize ans qui remonte jusqu’au temps de nos ancêtres du néolithique. Une œuvre variée donc, dont les frontières poreuses entre témoignage et imagination correspondent aux lisières perméables entre espaces physique et mental, entre mémoire récente et passé immémorial. Or ces espaces-temps qui se compriment et se dilatent sont la forme de nos rapports à ce qui semble être extérieur à nous-mêmes mais ne l’est pas; mieux, ils nous prolongent dans le commerce que nous entretenons avec la nature (Lagopoulos 8). Chez Jean-Loup Trassard se profile de mille manières le sens d’une intimité avec l’espace à défaut de laquelle notre existence s’appauvrit. Pas d’utopie rustique, cependant: “Qu’on ne nous fatigue plus avec l’utilisation que le Régime de Vichy fit, ou tenta, d’un ‘retour à la terre’” (9).2 C’est une vision écopsychologique libre d’une telle idéologie que je veux proposer ici. Fondements de l’écopsychologie Les principes de l’écopsychologie ne représentent pas tant des connaissances inédites qu’un nouveau champ de recherche qui, selon Jean-Pierre Le Danff, (chargé de mission éducation, écopsychologie et écoalphabétisation à la Fondation Nicolas Hulot), consiste à étudier “la dimension psychologique de la crise écologique; c’est aussi l’étude des processus psychiques qui nous lient ou nous séparent du monde non humain. [….] Elle constitue, par ailleurs, une proposition de réconciliation de l’être humain avec la nature” (19). 1 Parlant de son parcours depuis la fiction jusqu’à l’ethnologie, Jean-Loup Trassard écrit: “Peu à peu s’est mis à lever la tentation de raconter d’une façon directe”, et parallèle, la vie rurale. Séquelle sans doute d’un intérêt qui m’avait orienté vers l’ethnologie (même si en peu de mois cette science fut abandonnée pour suivre André Leroi-Gourhan sur le terrain de la préhistoire qu’il préférait alors et que ses cours me firent découvrir, puis la préhistoire abandonnée à son tour pour l’écriture […]” (Traquet Motteux 11). 2 Une étude écopoétique de l’oeuvre de Trassard corrobore ce point de vue. Selon Pierre Schontjes, “On voit bien que le rapport de Trassard au lieu n’a rien de l’attachement à un quelconque Heimat des ancêtres” (485). Et plus loin: “Trassard s’efforce de faire partager le bien-être qui est le sien sans jamais exploiter les facilités de la couleur locale ou des tendances passéistes” (487). Author: St. Ours, Kathryn Title: L’ethnologie écopsychologique de Jean-Loup Trassard ©Ecozon@ 2015 ISSN 2171-9594 112 Vol 6, No 2 Ainsi, si les apports de l’ethologue, du biosémioticien, du géographe culturel ou de l’écologiste, entre autres, se conjuguent pour confirmer la concrescence de l’humain et son milieu, l’écopsychologue insiste, lui, sur une intimité avec le monde naturel où il en va de notre santé et de notre bien–être psychiques. L’écopsychologie comprend donc d’un côté l’investigation théorique, et de l’autre, la prescription d’une approche thérapeutique: il s’agit de renouer nos contacts avec les rythmes naturels au moyen de retraites, de randonnées, de jardinage ou de relations avec les animaux non humains, par exemple. Existe-t-il des bases scientifiques pour soutenir l’écopsychologie, à savoir une recherche empirique qui affirme l’interdépendance entre santé écologique et santé psychologique? Certes, au moment où l’écopsychologie naît aux Etats-Unis dans les années soixante, elle a tendance à condamner la science comme source de notre aliénation par rapport au monde naturel, rejet qui entraîne l’essoufflement du courant et qui aurait pu provoquer sa disparition. Des écopsychologues contemporains tels que Theodore Roznak, Andy Fisher, Glenn Albrecht ou Laura Sewell reconnaissent au contraire l’importance d’expériences scientifiques rigoureusement menées pour tester et éventuellement falsifier leurs hypothèses. Des études en ce sens se multiplient depuis une vingtaine d’années à travers le monde et s’appuient sur une logique évolutionnaire incontestable. Un bref échantillonnage de telles investigations n’est pas inutile pour nous mettre sur la voie de l’ethnologie écopsychologique de Jean-Loup Trassard.3 La préhistoire rappelle que nous nous avons vécu comme chasseurs-cueilleurs pendant 99% de notre existence de hominidés. Le cerveau humain, dont la croissance est en grande partie post-partum, a évolué dans un monde biocentrique et notre survie a dépendu d’une connaissance adéquate de l’environnement. Dans un premier temps, donc, le développement de la psyché humaine s’entrelacerait étroitement avec celle des savanes et des graines qui y abondent. Ainsi, dans le domaine de l’écologie humaine la phrase “on pense ce qu’on mange” (Shepard 11-15) demande à être comprise littéralement, car ces aliments regorgent de nutritifs essentiels au métabolisme musculaire et cérébral de notre espèce. Dans le même ordre d’idées, certains considèrent innée—génétiquement programmée—la tendance à ressentir une affiliation avec d’autres organismes vivants: c’est la biologie intuitive (Mithen 53-54) ou la biophilie (Wilson 32). En effet, si les premiers humains étaient dotés d’intelligences sociale et naturelle compartimentées, l’évolution du cerveau a permis une fluidité entre elles et en conséquence, une mentalité de vases communicantes. D’où la possibilité de traiter de l’information par le recours à des facultés diverses. En conséquence, nos relations avec les plantes et les animaux sont devenues intimes et affectives, par exemple; elles constituaient une fin en soi (source de bien-être et de plaisir) et à la longue les éléments d’un inconscient écologique. Scott Donald Sampson (33-34) élargit l’hypothèse strictement biophilique—l’attrait de la grande nature—pour insister plutôt sur la topophilie—l’amour des lieux—expression 3 Dans The Biophilia Hypothesis, voir surtout la deuxième partie intitulée Affects and Aesthetics. Author: St. Ours, Kathryn Title: L’ethnologie écopsychologique de Jean-Loup Trassard ©Ecozon@ 2015 ISSN 2171-9594 113 Vol 6, No 2 créée par Yi-Fu Tuan, auteur de Topophilia.4 Effectivement, l’attachement aux éléments organiques et inorganiques d’un espace restreint est sans doute plus en mesure de prendre en considération et entités naturelles et artefacts humains. A vrai dire, les études robustes sur les effets physiques et psychologiques pour l’humain de l’interaction avec des plantes, des animaux ou avec des paysages se multiplient de nos jours (Frumkin uploads/Philosophie/ 2015-kathryn-st-ours-l-x27-ethnologie-ecopsychologique.pdf

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