CNED Terminale – Philosophie 1 séquence 4 Le savoir J.-P. Guillot Introduction
CNED Terminale – Philosophie 1 séquence 4 Le savoir J.-P. Guillot Introduction Le terme « savoir » est une des traductions possibles du grec « sophia ». La phi- losophie a donc naturellement pour tâche de s’interroger sur le savoir, puisque elle-même peut se définir comme amour du savoir, ce que signifie, entre autres, le grec philosophia. Mais, qu’est-ce que ce savoir que le philosophe est censé aimer et rechercher puisqu’en est né en lui le désir ? La relation du philosophe au savoir peut paraître d’emblée curieuse, puisque, comme nous le verrons, Socrate, figure emblématique du philosophe, nie continuellement posséder quelque savoir que ce soit, et en refuse la possession à ses interlocuteurs. Qu’est-ce alors que ce savoir dont la possession semble se dérober à tout le monde au dire de Socrate ? Qu’est-ce qui le différencie de ce que nous croyons ? Qu’est-ce qui différencie le savoir véritable de nos croyances ? En quoi la croyance n’est-elle pas un savoir ? Qu’est-ce qui fait que parfois nous nous croyons savants alors que nous ne savons rien ? Prenons donc au sérieux Socrate, lorsqu’il nous dit ne rien savoir et mettons-nous en quête de ce qu’est le savoir et de sa différence avec ce qui se fait passer pour tel sans être tel. Le savoir constitue une dimension irréductible de l’expérience humaine : nous disons tous savoir que telle ou telle chose s’est produite, que telle ou telle chose est ceci ou cela, nous disons d’un tel qu’il est savant, d’un autre qu’il est ignorant, etc. Mais que voulons-nous dire vraiment quand nous parlons du savoir ? Nous inclinons spontanément à penser que le savoir désigne un ensemble de connaissances, voire même l’ensemble de toutes les connaissances, connaissances que nous considé- rons comme des informations sur le monde et les hommes. Mais nous aurons à nous demander si le savoir peut être pensé sur ce modèle, s’il est réductible à un ensemble d’informations. En effet, quelques remarques élémentaires peuvent nous permettre d’en douter. D’une part, toutes les informations ne se valent pas : certaines sont fausses (une erreur peut-elle vraiment être considérée comme un savoir, n’est-ce pas plutôt une forme d’ignorance, sur la nature de laquelle nous aurons à revenir ?), certaines sont plus précises que d’autres, etc. D’autre part, le sens commun accepte volontiers l’idée suivant laquelle l’érudition et l’intelligence (en un sens tout à fait flou, d’ailleurs) sont deux choses différentes. En outre, je peux avoir des rapports divers à une information : je peux être le témoin direct d’un événement et ainsi savoir avec certitude qu’il a eu lieu, je peux aussi en avoir simplement entendu parler par une personne dont le témoignage est plus ou moins fiable et ainsi seulement croire qu’il a eu lieu. Le savoir constitue un des rapports possibles de l’homme au monde et à lui-même. Rapport par lequel il cherche à expliquer et à comprendre ce monde qui l’entoure et dont il fait partie. Il apparaît ainsi clairement que le savoir engage la mise en relation d’un sujet (l’homme en tant qu’être pensant) et d’un objet (le monde). C’est par cette mise en rela- tion (dont nous aurons à déterminer la nature et les modalités) que le sujet s’efforce de rendre son objet transparent à sa pensée, d’en obtenir une représentation fidèle, c’est-à- dire de savoir. Mais, qu’est-ce que savoir ? Qu’est-ce qu’une représentation fidèle de la ré- alité ? Par quels moyens peut-elle être obtenue ? Le sujet conscient et pensant est-il un simple récepteur sur lequel le monde agit et imprime une représentation ressemblante Leçon 26 de la réalité ? Qu’est-ce qui peut me garantir de la fiabilité de cette représentation ? Mes sens, qui reçoivent des informations en provenance du monde extérieur, suffisent-ils à me procurer une image ressemblante de ce monde extérieur ? On peut en douter, comme nous le verrons, et déjà à son origine la philosophie se défiait du témoignage des sens : « Mauvais témoins pour les hommes, les yeux et les oreilles de ceux qui ont des âmes bar- bares », nous avertit Héraclite, philosophe présocratique du Ve siècle avant Jésus-Christ. Nous reviendrons sur la critique du témoignage des sens. Contentons-nous, pour l’instant, d’accueillir les questions que soulèvent nos premières réflexions. Il nous semble que nous savons une foule de choses et il nous semble que nous pouvons les savoir de multiples façons, c’est-à-dire que le savoir prend des formes diffé- rentes. Mais, savons-nous vraiment ? Surtout, savons-nous vraiment ce que nous voulons dire quand nous disons que nous savons quelque chose ? Qu’est-ce que savoir quelque chose ? Est-il d’ailleurs possible de donner une définition unitaire du savoir ? Par exemple, y a-t-il quelque chose de commun à savoir que le vent est froid, à savoir que 2 + 2 = 4, à savoir ses tables de multiplication, à savoir que le tout est plus grand que la partie, à savoir un ensemble structuré d’énoncés qu’on appelle une science, à savoir qu’il pleuvra demain, à savoir que l’eau bout à 100°, à savoir que faire chauffer de l’eau provoque le phénomène d’évaporation, à savoir que l’eau pure est composée d’atomes d’hydrogène et d’oxygène, à savoir ce qu’est un atome, à savoir ce qu’est le savoir, à savoir qu’on ne sait rien ? On réfléchira avec profit sur ce qui différencie ces exemples de savoir. Lorsque l’on énonce chacune de ces phrases, en s’attribuant par là même un savoir, veut-on dire la même chose ? S’agit-il, dans tous les cas, d’un rapport de même type entre nous-mêmes et l’objet de notre savoir supposé, voire même entre nous-mêmes et nous-mêmes ? Bien plus, l’homme est-il capable d’acquérir un savoir ? Cette question est absolu- ment fondamentale et y répondre nous ouvre de nouvelles perspectives d’interro- gation. Envisageons chacune des réponses que l’on peut y apporter. Tout d’abord, si on répond négativement, il va falloir se demander quels sont les obstacles qui s’y opposent et quels arguments permettent de mettre en doute sa possibilité ? Que l’on réponde positivement, et alors il faudra s’interroger sur les conditions qui permettent d’y parvenir. Comment passe-t-on du non-savoir au savoir ? Quels pro- cessus rentrent en jeu dans l’acquisition d’un réel savoir ? De quels moyens l’homme dispose-t-il pour y parvenir ? Étant donné que l’erreur existe, comment l’éviter ? Qu’est-ce qui peut me garantir que je ne suis pas dans l’erreur ? À notre époque, le champ du savoir semble dominé par un type particulier de connaissance : la connaissance scientifique. La science semble même devenue, au yeux du sens commun, la seule forme de connaissance légitime et reconnue comme certaine. Cependant, tout savoir est-il vraiment de type scientifique ? Qu’est- ce qui caractérise le savoir scientifique et fait sa force ? Existe-t-il d’autres types de savoirs possibles ? De quelle nature sont-ils ? Sur quels types d’objets portent-ils ? Voilà l’ensemble des questions que nous nous proposons d’aborder dans le déve- loppement de ce cours. Commençons par nous demander ce qui caractérise le savoir véritable par rapport à d’autres types de connaissance tels que l‘opinion par exemple. Le savoir et l’opinion Le savoir semble s’opposer d’emblée à l’ignorance qui désigne son absence. Mais n’existe-t-il qu’une seule forme d’ignorance et peut-on réduire les différents états de la pensée à cette opposition entre savoir et ignorer ? C’est bien ignorer que re- connaître ne pas savoir qui est Socrate ou croire que Socrate est le disciple de Pla- ton, mais est-ce ignorer au même sens du terme ? L ’ignorance peut-elle être dé- finie uniquement comme un manque de savoir, manque dont il suffirait de prendre 2 CNED Terminale – Philosophie séquence 4 conscience pour s’acheminer volontairement vers l’acquisition de connaissances ? La croyance est-elle une ignorance pure et simple ou bien un intermédiaire entre l’ignorance et le savoir ? Qu’est-ce qui distingue la croyance du savoir ? Une première distinction renvoie à l’idée suivant laquelle, alors que la croyance n’est pas établie ni justifiée par des moyens rationnels tels que la preuve, la démonstration, le sa- voir est ce qui est assuré, ce qui a acquis une assise stable grâce à des démarches et des procédés intellectuels qui permettent d’en rendre raison. Ainsi l’opposition croyance/savoir recouvre l’opposition arbitraire/justifié, et de ce fait renvoie à une opposition entre ce qui est instable, incertain, changeant d’une part, et ce qui est stable, certain et immuable d’autre part. C’est ainsi que la langue grecque distingue entre la doxa (opinion, croyance) et l’épistèmè (que l’on peut traduire par « science », si on entend par là un savoir stable et justifié, mais qui peut aussi se rendre lit- téralement par l’ « être-fixé-sur »). Cette distinction peut se ramener, dans une première approche à la distinction entre le fait de voir et le fait d’entendre, entre la connaissance directe et la connaissance indirecte, avec un privilège accordé à la connaissance directe. L ’avantage de la vision sur l’audition est manifeste, elle implique que nous étions là en personne, que nous avons uploads/Philosophie/ 26-le-savoir.pdf
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- Publié le Jul 26, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
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