D e MARCEL de CORTE (1905-1994), né à Genappe dans le Brabant, ancien doyen de

D e MARCEL de CORTE (1905-1994), né à Genappe dans le Brabant, ancien doyen de l'Université de Liège, on connaît "La doctrine de l'intelligence chez Aris- tote", "La philosophie de Gabriel Marcel", "L'homme contre lui-même", et surtout "L'intel- ligence en péril de mort". Mais c'est son "Essai sur la fin d'une civilisation" qui retiendra ici no- tre attention. La pensée du professeur belge a été nourrie à la fois d'Aristote et de spiritualité chrétienne, c'est-à-dire d'une philosophie de la nature en- richie de la lumière du christianisme. D'une façon générale on peut dire que ce qu'il re- proche à la pensée moderne, c'est d'être une réflexion non pas sur la réalité des choses, mais sur la représentation intellectuelle de cette réalité. "Toute la philosophie moderne est un effort contre nature pour réduire la présence solide des choses que l'intelligence rencontre, à une représentation mentale qui a lieu dans la conscience." Réduire l'être à la seule quan- tité mesurable, et exprimer la réalité concrète et vivante par des chiffres ou des lois scienti- fiques, lui paraissent une très grave erreur dont les conséquences peuvent être infiniment dan- gereuses pour l'homme, c'est-à-dire pour nous. C'est ce qu'il se propose de montrer dans cette étude sur "la fin d'une civilisation". Introduction D'abord qu'est-ce que la civilisation, et com- ment la définir? On sait que le mot vient du latin "civis" qui signifie "citoyen", c'est-à-dire "membre d'une cité." L'appartenance à un groupe social (famille, tribu, clan ou "gens") est le premier maillon de la chaîne qui relie l'indi- vidu à un ensemble, ce qu'Aristote exprimait en définissant l'homme comme " un animal so- cial", c'est-à-dire qui vit en société. Il n'aurait pas été possible à l'homme primitif de vivre en solitaire, dans sa hutte il était entouré de sa fa- mille, et, ne se sentant pas suffisamment fort pour lutter seul contre les éléments et contre les animaux, il s'adjoignit des compagnons pour chasser et pourvoir à ses besoins élémentaires, c'est-à-dire pour vivre. Le sauvage à l'état pur, sans aucune relation, dont rêva Rousseau, est un mythe. Il eût été semblable à une pierre, or une pierre ne vit pas. Pour l'homme, la civilisa- tion est donc la forme naturelle de la vie avec laquelle elle finit par se confondre. La civilisation d'un peuple n'est-elle pas en effet l'expression de la vie de ce peuple, c'est-à-dire de sa nourri- nsée — sagesse — philosophie — pensée — sagesse — philosophie — pensée — sagesse — philosophie — pens E n c y c l o p é d i e d e l ’ h o n n ê t e h o m m e Classement: 2D45 ** cf. le glossaire PaTer Mise en ligne: 03-2013 Aller à => dossier origine de ce texte – Retour à l’accueil => reseau-regain.net 1/8 Décadence et fin de Civilisation 5 “Essai sur la fin d’une civilisation” de Marcel de Corte par Guy Colomb ture, de ses mœurs, de sa langue, de sa sensibi- lité artistique, de ses croyances et de ses rites religieux? La civilisation française du XVIIIe siè- cle, par exemple, ne se confond-elle pas avec la vie de la société et des individus de cette époque? Notons que c'était déjà l'opinion de Bernanos: "La civilisation n'est pas seulement l'œuvre de l'homme, elle est l'homme même", in "La liberté Pour quoi faire?". Mais toute vie se déroule suivant un rythme immuable: naissance, croissance, maturité et déclin. Rien d'étonnant, donc, que ce rythme soit celui des civilisations humaines, et puisque "toute vie est promue à la mort", il est vain d'es- pérer pour elles un progrès indéfini, comme on a pu l'imaginer. La vie d'un individu dépend de son hérédité et de l'accumulation des forces ac- quises pendant sa croissance; ces forces - phy- siques et morales - demeurent déposées en lui et mises en réserve. Une civilisation dépend, elle aussi, de son passé, de son histoire et de sa tradition qui constituent pour elle une réserve de forces lui permettant de réagir et de repartir en avant en cas de déclin, comme pour l'indi- vidu en cas de maladie. De même que certains résistent mieux que d'autres aux accidents en raison de leur robustesse, certaines civilisations ont une vitalité et un pouvoir de développement et d'extension plus puissants que d'autres: "Il existe des civilisations gonflées de sève, et des civilisations stagnantes. La loi de la vie et de l'être est l'inégalité concrète. Tel arbre de la forêt dépasse son voisin qui puise dans la même terre; telle civilisation s'élève au-dessus des autres dans la mesure où les racines de l'homme qui la crée sont plus vitalement enfoncées dans l'ex- périence du réel". L'homme et la nature L'histoire et la tradition sont les résultats d'une expérience vécue en commun au cours des siè- cles, ce sont les fruits d'une relation entretenue avec la réalité des événements, relation éprou- vée et ressentie, parfois douloureusement (les guerres). Et pour Marcel de CORTE, c'est la forme de cette relation que l'homme entretient avec le monde qui l'entoure, qui définit une ci- vilisation et en constitue l'essentiel. Car cette relation de l'homme avec le monde - ou la na- ture - peut prendre différentes formes: elle peut être vécue et sentie intérieurement à la façon du lien qui unit les membres d'une même fa- mille, et dans ce cas l'homme se sent intégré à l'univers. Dans l'attitude contraire, il ne subsiste aucun lien affectif entre l'homme et la nature, celle-ci est appréhendée de l'extérieur, elle de- vient un objet d'analyse et de mesure afin de la soumettre, de la dominer ou de l'exploiter. Pour être plus clair, prenons un exemple. Un paysan, un artiste et un savant entretiennent des rapports bien différents avec la nature. Le paysan la res- pecte, l'admire, la redoute et l'aime à la fois, elle lui est familière, et il est toujours plus ou moins conscient du lien qui le rattache à elle dont il se sent si proche. Pour le peintre, ses formes, sa lumière et ses couleurs sont un en- chantement. Quant au botaniste, au physicien et à l'astronome, elle est une nature en quelque sorte abstraite, ils la saisissent de l'extérieur, s'ef- forçant de la mesurer, d'en découvrir les lois et de les traduire en chiffres, c'est-à-dire d'en don- ner une représentation abstraite. Les deux premières attitudes, sensibles à l'as- pect qualitatif des choses, furent celles de l'An- tiquité qui considérait l'homme comme un élé- ment du Cosmos c'est-à-dire un membre de l'Univers. Celui-ci constituait une grande famille où l'homme avait sa place, et aux lois de la- quelle il devait se conformer – sequere naturam – sinon il encourait le châtiment de Zeus ou Ju- piter, veillant à la bonne marche du Monde, comme un enfant désobéissant est puni par son Classement: 2D45 ** cf. le glossaire PaTer Mise en ligne: 03-2013 Aller à => dossier origine de ce texte – Retour à l’accueil => reseau-regain.net 2/8 père. La seconde attitude est celle de la civilisa- tion moderne représentée par la science et la technique, qui entretiennent avec la nature un rapport intellectuel, conceptuel et désincarné. Le savant ne s'intègre pas à la nature, il s'en dé- tache au contraire pour la traduire par des chif- fres et des nombres. La nature du paysan est une nature concrète, celle de la science une na- ture abstraite. Le développement considérable de la science a eu pour conséquence la rupture du lien (nous dirions du cordon ombilical) qui relie l'homme à la Nature (ou au Cosmos) ce qui a entraîné les effets pernicieux qu'il nous reste à analyser. L'homme moderne, conditionné par la science et la technique, se sent donc coupé de la réalité concrète: "Dans un cas l'homme s'insère dans le monde par la civilisation, dans l’autre il tend sans cesse à s'évader hors du réel et à se diluer dans le mécanisme de la ci- vilisation qu'il a monté." Conséquences Une première conséquence pour l'homme est la perte de conscience de son unité au profit d'un éparpillement qui se veut universel. Il a perdu sa consistance et sa personnalité par suite de la disparition de ces petites communautés (famille, métiers, corporations, associations re- ligieuses) qui étaient autant de liens concrets et réels qui reliaient les individus entre eux, et qui étaient à leur mesure. Actuellement tout doit être "collectif" et "à l'échelle du monde". Même les croyances particulières ont tendance à se fondre en une spiritualité informe et nébuleuse. Or "la relation de l'homme au monde ne peut être vécue et pensée par une collectivité, elle est l'apanage de la personne… nul ne peut pren- dre ma place dans l'Univers, seuls les robots sont interchangeables… L'homme est donc de- venu la mesure du monde qu'il crée." Une autre conséquence se manifeste dans la volonté de faire "table rase" du passé, puisque cette nouvelle civilisation se suffit à elle-même et anéantit les particularismes hérités d'autre- fois. Aussi cherche-t-elle à briser les barrières géographiques et naturelles pour s'imposer sur la totalité du globe de uploads/Philosophie/ 2d45-vfincivilisation5-5 1 .pdf

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