Enseigner la démonstration en mathématiques, c’est quoi ? pourquoi ? pour qui ?

Enseigner la démonstration en mathématiques, c’est quoi ? pourquoi ? pour qui ? comment ? Éléments de réponses à partir de l’étude des programmes des premières années de l’enseignement secondaire en France et en Bade-Würtemberg Richard Cabassut(*) Nous allons essayer de répondre au questionnement de l’APMEP sur l’enseignement des mathématiques en étudiant la place de la démonstration dans les premières années de l’enseignement secondaire. Pour aborder cette étude nous allons comparer les programmes d’enseignement en France et dans la région du Bade-Würtemberg en Allemagne, pour permettre de mieux éclairer les similitudes et les différences, et de rompre notamment avec l’apparence naturelle des pratiques alors qu’elles sont bien souvent le résultat de choix culturels précis non naturels. 1. Brève comparaison des systèmes scolaires secondaires 1.1. Tableau comparatif 757 Dossier : l’enseignement des maths à l’étranger APMEP no 449 Age classes du Bade-Würtemberg classes françaises 18-19 17-18 16-17 15-16 12 11 10 13 éducation professionnelle Hauptschule 33,8% classes d’orientation Grundschule Kindergarten (cette structure ne fait pas partie du système éducatif officiel) classes d’orientation classes d’orientation Realschule 31,5% (Fachabitur) Fach- Gymnasium (Abitur) Gymnasium 28,2% général et technique Collège École maternelle École élémentaire (Baccalauréat) Lycée professionnel Terminale Première Seconde 14-15 9 Troisième 13-14 8 Quatrième 12-13 7 Cinquième 11-12 6 Sixième 10-11 5 CM2 9-10 4 CM1 8-9 3 CE2 7-8 2 CE1 6-7 1 CP 3-6 (*) richard.cabassut@alsace.iufm.fr 1.2. Écoles secondaires différenciées dans le Bade-Würtemberg Alors que la France propose aux élèves issus de l’école primaire de poursuivre leur scolarité secondaire dans le collège unique, le Bade-Würtemberg propose, après la classe 4 de fin d’école primaire, de différencier l’orientation majoritairement vers trois écoles différentes : la Hauptschule, la Realschule et le Gymnasium. En 1999 la répartition des élèves en classe 8 (13-14 ans) dans le Baden-Würtemberg était la suivante : 33,8% en Hauptschulen, 31,5% en Realschulen, 28,2% en Gymnasium et 6% dans d’autres écoles. Rappelons que cette répartition peut être complètement différente dans une autre région en raison notamment de son histoire politique. La Hauptschule correspond à un premier cycle d’école secondaire avec des enseignements en allemand (langue maternelle), en mathématique, en sciences naturelles, en sciences sociales et dans une langue étrangère ainsi que des enseignements d’initiation à la vie professionnelle. L ’examen(1) de fin de scolarité de la Hauptschule, en classe 9 ou 10, permet d’entreprendre une formation en alternance en entreprise et en école professionnelle. Le Gymnasium, correspondant en France au bloc collège suivi du lycée, prépare en 8 ou 9(2) ans au baccalauréat (Abitur) qui est le diplôme d’accès à l’université. La Realschule est une école intermédiaire entre la Hauptschule et le Gymnasium : elle prépare en 6 ans (de la classe 5 à la classe 10) à un examen (Mittlere Reife) de fin d’étude permettant l’accès à des filières plus valorisées que dans la Hauptschule, comme des écoles professionnelles spécialisées, des lycées techniques ou des passerelles permettant de rejoindre la voie du Gymnasium. 1.3. Collège unique en France La très grande majorité des élèves français fréquente le collège unique à la sortie du primaire jusqu’à la classe de troisième. La répartition des élèves de 14 ans(3) en 2000- 2001 était : 4,5% dans l’enseignement adapté(4), 5,5% en sixième ou cinquième, 30,1% en quatrième, 56,1% en troisième(5), 2,8% en seconde générale ou technologique, et 0,3% en enseignement professionnel court(6) et 0,4% de jeunes restants. On observe donc que la grande majorité (91,7%) est scolarisée en collège. Par contre à 17 ans(7), pour la même année scolaire 2000-2001, la répartition montre que seuls 0,7% restent scolarisés en collège : 1,1% en enseignement adapté, 0,1% en quatrième, 0,6% en troisième, 3,7% en seconde générale ou technologique, 17,8% en 758 APMEP no 449 Dossier : l’enseignement des maths à l’étranger (1) Hauptschulabschluss. (2) Le Bade-Würtemberg connaît une réforme de la durée de scolarité en Gymnasium ramenée de 9 ans à 8 ans à partir du baccalauréat de 2008-2009. (3) 14 ans révolus au 1er janvier 2001. (4) réservé aux élèves qui ont des difficultés à suivre la scolarité dans le collège unique. (5) Y compris les quatrièmes et troisièmes technologiques qui proposent à des élèves en difficulté dans l’enseignement général une alternative avec une ouverture à l’enseignement technologique industriel ou tertiaire. En 2001-2002, l’effectif des troisièmes technologiques représentait 4,4% de l’effectif de 3ème. Source : [Ministère 2002, p. 87]. (6) en lycée professionnel (LP) ou lycée polyvalent de l’éducation nationale et de l’agriculture (LPA). (7) 17 ans révolus au 1er janvier 2001. première générale et technologique, 29,2% en terminale générale et technologique, 24,8% en enseignement professionnel court LP-LPA, 9,5% en enseignement professionnel court CFA, 0,5% en enseignement professionnel long CFA, 2,2% en post-bac et 8% de jeunes restants. On peut observer que seulement 50,7% des jeunes de 17 ans sont scolarisés en lycée d’enseignement général ou technologique. 2. La démonstration, c’est quoi ? Étude des programmes 2.1. Raisonnement plausible et preuves pragmatiques dans la Hauptschule et dans la Realschule Dans les programmes de la Hauptschule de 1994, qui sont les programmes actuellement en vigueur, les missions de l’enseignement des mathématiques ne font aucune référence explicite à la démonstration. On remarque simplement que « l’étude des mathématiques est particulièrement bien adaptée pour renforcer la capacité d’abstraction et pour entraîner la pensée logique » [Ministerium Lehrplanheft 2, 1994, p. 22, traduction. R.C.]. Parmi les idées directrices communes à toutes les disciplines de classe 9, on précise que les élèves « dans les discussions et les situations de conversations apprennent à justifier [begründen] leur propre point de vue » [p. 263]. C’est seulement pour les cours supplémentaires et pour la classe 10 volontaire(8) que « les élèves seront amenés de manière croissante à la pensée abstraite formelle » [p. 23]. Dans les contenus des programmes on propose différents modes de validation : procédures inductives ; manipulation expérimentale, mesure et réflexion plausible pour entraîner l’argumentation ; découpages et recompositions de figures isométriques ; constructions à la règle et au compas ; traitements et preuves expérimentaux ; considérations de plausibilité. On reconnaît là des invitations aux « preuves pragmatiques »(9) « fondées sur l’action effective mise en œuvre sur des représentations d’objets mathématiques » [Balacheff 1999 ; p. 201] et aux raisonnements inductif ou plausible. Dans les programmes de la Realschule de 1994, qui sont les programmes actuellement en vigueur, les objectifs communs à toutes les classes précisent : les élèves « apprennent à argumenter [argumentieren] rationnellement ; reconnaître, définir, formuler, justifier, analyser des conditions et vérifier des propositions font partie de ce point [...]. Vérification [Überprüfen] et jugement critique des résultats, des démarches de pensée et des calculs. [...] Dans les prochaines années scolaires doit s’ensuivre avec prudence une transition vers une pensée abstraite formelle. Ce développement est efficacement soutenu si on recourt continuellement de manière 759 Enseigner la démonstration en mathématiques APMEP no 449 (8) Ces structures sont facultatives et réservées surtout aux élèves qui souhaitent poursuivre leur scolarité après la fin de la Hauptschule. (9) La notion de « preuve pragmatique » introduite par Balacheff est distincte de la notion de preuve ou démonstration mathématique reposant sur le seul raisonnement déductif ; certains ont tendance à limiter le mot preuve ou démonstration au seul domaine mathématique en utilisant le mot argumentation dans les autres domaines : ce point de vue n’est pas unanime ; on remarquera enfin que si les programmes français hésitent à introduire du raisonnement plausible dans la démonstration, les programmes allemands n’ont pas ce scrupule. appropriée à la façon de voir [Anschauung] concrète et à la représentation imagée » [Ministerium Lehrplanheft 3, 1994, p. 23, traduction R.C.]. On propose de renforcer la pensée intuitive [intuitives Denken, p. 22]. Dans les contenus des programmes, on propose, comme pour la Hauptschule, un recours aux preuves pragmatiques : propriétés basées sur la façon de voir, recours au dessin ; découpages et recompositions de figures, considérations de plausibilité. Pour ces deux écoles, Hauptschule et Realschule, la démonstration n’est pas décrite dans les programmes comme objet d’enseignement. 2.2. La démonstration, objet d’enseignement du Gymnasium Dans les programmes de Gymnasium de 1994 [Ministerium Lehrplanheft 4/1994, traduction R.C.], qui sont les programmes actuellement en vigueur, la démonstration apparaît clairement comme objet d’enseignement. D’une part, dans les objectifs généraux valables pour les classes 5 à 13, on peut lire : « La conclusion et la démonstration mathématique ont une signification spéciale. Là on doit placer au premier plan moins l’exactitude formelle et le caractère complet que le contenu d’un théorème ou d’une idée de démonstration. Les considérations de plausibilité montrent aux élèves souvent davantage qu’une démonstration scientifiquement irréprochable. Malgré tout on doit placer clairement à un endroit adapté la construction systématique et déductive de la Mathématique […]. Au cycle inférieur […] les nouvelles connaissances doivent être acquises d’abord par des procédures inductives et d’évocation visuelle [induktive und anschauliche Verfahren]. Le passage à une intervention plus déductive doit avoir lieu progressivement et en fonction de l’âge » [p. 28]. Plusieurs fonctions de la démonstration sont évoquées : persuasion (persuader que la conclusion est vraie), explication (du contenu d’un théorème, d’une idée uploads/Philosophie/ aaa03073.pdf

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