MME Catherine Chevalley Albert Lautman et le souci logique In: Revue d'histoire

MME Catherine Chevalley Albert Lautman et le souci logique In: Revue d'histoire des sciences. 1987, Tome 40 n°1. pp. 49-77. Abstract Abstract. — Albert LautmarCs philosophy of science is rooted in his experience of German mathematics and physics at the beginnings of the 1930's. His view, which is strictly opposed to the one of the Vienna Circle, is to take into consideration scientific theories as totalities and to provide an exegesis of the links which exist between the technical procedures and the structural meaning of the abstract ideas expressed by them. Lautman finds the unity of science — and especially the unity of modern algebra and quantum physics — in the « logical worries » from which science emerges. By doing so, however, he creates for himself the constraint of explaining in metaphysical terms why the ideal reality is revealed in a plurality of historical theories, and this leads him to difficulties which are not solved inside his work. Résumé Résumé. — La philosophie des sciences d'Albert Lautman prend source dans son expérience des mathématiques et de la physique allemandes du début des années 1930. Le projet de Lautman, opposé par lui-même point par point à celui du Cercle de Vienne, est de prendre en considération les théories scientifiques constituées, et de les soumettre à un commentaire de l'intérieur qui puisse révéler les liaisons entre les techniques mises en œuvre et la signification structurale des idées abstraites qui s'y expriment. En choisissant de trouver l'unité de la science — et notamment celle de l'algèbre moderne et de la physique quantique — dans l'unité des « soucis logiques » qui la déterminent. Lautman se contraint cependant à penser le problème métaphysique de la pluralité et de l'historicité des théories dans lesquelles se révèle la réalité idéale, ce qui le conduit à des difficultés que son œuvre, inachevée, ne résout pas. Citer ce document / Cite this document : Chevalley Catherine. Albert Lautman et le souci logique. In: Revue d'histoire des sciences. 1987, Tome 40 n°1. pp. 49-77. doi : 10.3406/rhs.1987.4487 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhs_0151-4105_1987_num_40_1_4487 Albert Lautman et le souci logique RÉSUMÉ. — La philosophie des sciences d'Albert Lautman prend source dans son expérience des mathématiques et de la physique allemandes du début des années 1930. Le projet de Lautman, opposé par lui-même point par point à celui du Cercle de Vienne, est de prendre en considération les théories scienti fiques constituées, et de les soumettre à un commentaire de l'intérieur qui puisse révéler les liaisons entre les techniques mises en œuvre et la signification structu rale des idées abstraites qui s'y expriment. En choisissant de trouver l'unité de la science — et notamment celle de l'algèbre moderne et de la physique quantique — dans l'unité des « soucis logiques » qui la déterminent. Lautman se contraint cependant à penser le problème métaphysique de la pluralité et de l'historicité des théories dans lesquelles se révèle la réalité idéale, ce qui le conduit à des diff icultés que son œuvre, inachevée, ne résout pas. ABSTRACT. — Albert LautmarCs philosophy of science is rooted in his expe rience of German mathematics and physics at the beginnings of the 1930's. His view, which is strictly opposed to the one of the Vienna Circle, is to take into consi deration scientific theories as totalities and to provide an exegesis of the links which exist between the technical procedures and the structural meaning of the abstract ideas expressed by them. Lautman finds the unity of science — and especially the unity of modern algebra and quantum physics — in the « logical worries » from which science emerges. By doing so, however, he creates for himself the constraint of explai ning in metaphysical terms why the ideal reality is revealed in a plurality of histo rical theories, and this leads him to difficulties which are not solved inside his work. Albert Lautman écrit son œuvre philosophique entre 1935 et 1939 (1), pendant une période marquée par la double révolution allemande de l'algèbre abstraite et de la physique quantique. Les sources de sa pensée sont dans les développements tout récents des sciences, que la sûreté et la modernité de son information lui permettent de comprendre. Mais son œuvre est une œuvre méta- (1) On trouvera une courte biographie et une bibliographie d'Albert Lautman dans l'Annexe I. Reo. Hist. ScL, 1987, XL/1 50 Catherine Chevalley physique, et ce caractère lui donne dans l'histoire de l'épistémo- logie moderne une situation à la fois originale et solitaire (2). Pour Lautman, l'impulsion philosophique doit surgir non pas des philosophies elles-mêmes, mais des problèmes. Qu'est-ce qu'un problème, dans cet « ailleurs » de la philosophie qu'est — tradition nellement — le domaine des mathématiques et de la physique ? C'est davantage qu'une difficulté technique, bien que la puissance de questionnement d'un problème lui vienne de la précision de sa formulation dans son lieu d'origine. Un problème n'existe en tant que tel que dans une pensée orientée par le souci philosophique. Cela installe l'interprétation dans la nécessité de passer sans cesse d'un langage dans un autre, et dans la position difficile d'être tou jours à la fois dedans et dehors. S'exercer à cet équilibre fragile est l'objet de la philosophie des sciences. Lautman partage avec ses contemporains l'idée que la science allemande, jouant le rôle d'un fadum rationis, définit clairement une orientation et des priorités : appréhender le contenu des théories nouvelles, montrer l'unité de la connaissance. La conviction que la philosophie ne saurait se tenir à l'écart du renouvellement éblouissant des problématiques en mathématiques et en physique est la source d'œuvres aussi différentes que celles de Carnap, de Cassirer, de Bohr et de Heisenberg, de Meyerson et de Reichenbach. L'Allemagne des années 1930 donne d'ailleurs l'exemple de l'au dace philosophique. Dans le pays de ces gens qui, écrit Lautman, « ont eu Kant et Goethe, comme ils ont maintenant Hilbert ou Husserl » (3), Cassirer, au sommet de sa carrière, n'hésite pas à publier un livre sur la nouvelle théorie quantique (4), tandis que Heisenberg, au début de la sienne, donne dans la revue Die Antike un article sur la philosophie grecque (5) et que Her mann Weyl écrit pour le Handbuch der Philosophie la première (2) II n'existe pratiquement aucune étude critique de l'œuvre de Lautman en philosophie des sciences. (3) Correspondance privée. (4) Ernst Cassirer, Determinismus und Indeterminismus in der modernen Physik, Gôteborgs Hôgskolas Arsskrift, 42 : III (1936). Traduction et édition anglaise avec une préface de H. Margenau, sous le titre de Determinism and Indeterminism in modem physics (Yale University Press, 1956). Pour une analyse récente de ce texte, cf. l'article de Jean Seidengart, Une interprétation néo-kantienne de la théorie des quanta, Revue de Synthèse, CVI : 120 (1985), 395-418. (5) Werner Heisenberg, Gedanken der antiken Naturphilosophie in der modernen Physik, Die Antike, XIII (1937), 118-124. Albert Lautman et le souci logique 51 version de sa Philosophy of Mathematics and Natural Science (6). Issue de ce sol commun de préoccupations, l'œuvre de Lautman se développe de manière indépendante, parcourue par une oppos ition constante aux stratégies de Carnap et de ses amis. Comme Jean Cavaillès, et dans une fidélité ambiguë à Léon Brunschvicg, Lautman porte un intérêt primordial à la philosophie mathé matique, dont il veut construire une version immanente qui serait l'effet d'un commentaire de l'intérieur, d'une attention exclusive portée aux « drames logiques qui se jouent au sein des théories » (7). Une telle position permet de mettre en évidence des problèmes auxquels échappent les discours sur la science qui adoptent le point de vue de l'extériorité. Si « le rapprochement de la métaphysique et des mathématiques n'est pas contingent, mais nécessaire » (8), de quelle nature est cette nécessité ? Et pourquoi ne se révèle-t-elle que progressivement, comme le démontre l'apparition dans l'histoire de « problèmes » nouveaux ? L'objet de Lautman a été de donner un contenu précis et technique à ces questions. Il a formé le projet d'une philosophie des sciences directement métaphysique, évitant ainsi le détour par le kantisme. Ni anti-kantien comme les membres du Cercle de Vienne, ni néo kantien comme Brunschvicg ou Cassirer, Lautman ne tente pas non plus d'aménager l'idéalisme critique comme le fait Meyerson. Il écrit dans une référence immédiate au platonisme ou à Heidegger, cherchant à produire une théorie de l'être en tant qu'être dont la méthode serait l'exposé des théories mathématiques. En affirmant à la fois l'existence d'une nécessité interne dans le développement des idées et l'historicité de leur incarnation singulière dans les théories, il est conduit à des difficultés considérables qui rendent finalement sa philosophie aporétique. Mais son œuvre garde une puissance herméneutique de mieux en mieux reconnue aujourd'hui, qui est liée à la volonté de se séparer des problématiques fonda- tionnelles de l'empirisme et du criticisme pour rendre compte de l'unité fondamentale des mathématiques et de la physique. (6) Hermann Weyl, Philosophie der Mathematik und Naturwissenschaft, in Hand- buch der Philosophie, Ed. R. Oldenburg (1927). Edition anglaise revue et augmentée sous le titre de Philosophy of Mathematics and natural uploads/Philosophie/ chevalley-albert-lautman-et-le-souci-logique.pdf

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