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Revue internationale International Web Journal www.sens-public.org Le danseur est une personne NATHALIE SCHULMANN Résumé: Ce texte manifeste la nécessité de ne plus opposer les champs concomitants à l'étude de la danse, partant en quête de nouveaux parangons, avec l'enthousiasme de l'explorateur et la modestie du praticien, face aux enjeux théorico-pratiques d'une nouvelle ère de connaissances pour servir la danse et le danseur. Contact : redaction@sens-public.org Le danseur est une personne Nathalie Schulmann e texte manifeste la nécessité de ne plus opposer les champs concomitants à l'étude de la danse, partant en quête de nouveaux parangons, avec l'enthousiasme de l'explorateur et la modestie du praticien, face aux enjeux théorico-pratiques d'une nouvelle ère de connaissances pour servir la danse et le danseur1. C Quand je cherchais à créer des liens entre le développement moteur du tout jeune enfant et les bases de la danse contemporaine, j'y voyais un moyen de mieux comprendre ce que les apprentissages constitutifs de la construction d'un « langage » artistique pouvaient avoir en commun avec la constitution de la personne. En assimilant les bases physiologiques de l'expressivité aux contraintes liées à l'évolution physique de la vie de l'enfant, je pensais m'approcher indirectement de questions esthétiques. Cette voie continue d'être, pour moi, une alliance exceptionnelle qui permet de se focaliser sur l'émergence du geste artistique, sans perdre de vue ses fondements, c'est-à-dire sans occulter qu'il émane d’une proto-représentation profondément enracinée dans l'être. Au-delà de ce qui pourrait apparaître comme un acte de simplification, j'ajoute qu'il n'existe pas de système d'analyse englobant la complexité. « Dieu fasse que votre horizon s'élargisse chaque jour d'avantage ! Ceux qui s'attachent à des systèmes sont ceux qui, incapables d'embrasser la vérité toute entière, tentent de l'attraper par la queue. Un système, c'est un peu comme la queue de la vérité, mais la vérité est comme le lézard : elle vous laisse sa queue entre les doigts, et file, sachant parfaitement qu'il lui en repoussera une nouvelle en un rien de temps. »2 Un danseur tout seul, ça n'existe pas Au cours de l'élaboration de ce texte, j'ai puisé dans ce qui constitue aujourd’hui mon champ de pensée et de pratique « de et sur » la danse. De la pédagogie à la chorégraphie, de la genèse 1 J’emploie ici le terme « danseur » masculin traditionnel à l'écrit de la langue française. Avec ces précautions d'usage, je m'en excuse auprès des danseuses, dont je suis moi-même une représentante ! 2 Lettre de Tourgueniev à Léon Tolstoï, écrite en 1856, Les découvreurs, Daniel Boortin, Bouquins Laffont, 1983, traduction 1992. Article publié en ligne : 2005/03 http://www.sens-public.org/spip.php?article170 © Sens Public | 2 NATHALIE SCHULMANN Le danseur est une personne des apprentissages spécifiques à l'expertise du danseur interprète confirmé, ma place au sein du monde de la danse (puisqu'il semblerait qu'il existe un monde particulier à définir, pour commencer) me confère un rôle d'interface entre différents champs d'investigations théorico- pratiques, différents angles d’observation, d’analyse et d’exploration3. Il me paraît impossible de poser une réflexion quelconque et d'écrire à propos des représentations en danse sans insister sur mes orientations de recherche actuelles. Mon étude se restreint à la danse contemporaine, car elle est le lieu et le témoin d'une réflexion et d'expérimentations en évolution constante lors de jeux d'interactions avec les partenaires qui m'entourent : groupe de danseurs hétérogène, formateurs, jurys... Pour moi, s'il est de plus en plus évident qu'il n'y a pas de rupture entre les différentes formes de danse qu'on pourrait appeler « savantes »4, ce choix résulte d'un parti pris d'observatrice. En décidant d'assimiler le style moteur tel qu'il est abordé dans le développement de l'enfant et les styles5 en danse, je cherche du côté de la variété intrinsèquement liée à la diversité de la perception de soi, plutôt que du côté des scissions esthétiques. Un échantillon donc réducteur par nature, mais suffisant pour aborder une pensée du corps en mouvement…en mouvement ! Au départ, j'ai choisi intuitivement pour ce texte de détourner une phrase de D.W. Winnicott « le nourrisson tout seul, ça n'existe pas »6 : en prenant appui sur les éléments liés à la constitution des représentations et des perceptions chez le tout jeune car je souhaite développer ici quelques idées autour des relations mutuelles que le danseur tisse tout au long de la vie et qui aident à la compréhension de ses représentations. Pour preuve, quand Monsieur Dupuy7 expose dans le studio la photo d'un bébé joufflu et hilare comme on expose la photo de Maître Ueshiba dans le dojo, il semble signifier, pour lui, l'incroyable richesse des processus de maturation et l'éternelle nécessité de se tourner vers la genèse de l'apprentissage du geste (et jusqu'à son expertise), chaque fois « comme pour la première fois ». 3 Suite à la mise en place du diplôme d'État de professeur de danse (loi de juillet 1989), je me suis engagée dans une spécialisation appelée analyse fonctionnelle du corps dans le mouvement dansé, qui représente une unité d'enseignement dans les formations pédagogiques. J'interviens auprès des danseurs professionnels au Centre National de la Danse et aux Rencontres Internationales de Danse Contemporaine. 4 Danses « savantes » car enseignées au même titre que la musique ou le théâtre au sein d'institutions et également soutenues au niveau de la création et de la recherche par la tutelle du ministère de la culture. 5 Il existe trois spécificités pour le diplôme d'État de professeur de danse conçu en France : danse classique, danse jazz et danse contemporaine, mais ces trois formes sont elles-mêmes diffractées en de nombreux « styles » qui font autant écoles et qui posent aujourd'hui de nombreuses question d'évaluation. 6 Du corps à la pensée, Bernard Golse, collection « le fil rouge », PUF, 1999, p. 1296. 7 Dominique Dupuy est l'un des promoteurs les plus passionnés de la danse contemporaine en France. Il est le co-directeur du Mas de la Danse à Fontvieille où il anime le centre d'études et de recherches en danse contemporaine. Article publié en ligne : 2005/03 http://www.sens-public.org/spip.php?article170 © Sens Public | 3 NATHALIE SCHULMANN Le danseur est une personne C'est avec beaucoup de précaution et d'humilité qu'il convient d'investir le domaine des représentations en danse. Plaquer a priori une théorie philosophique, esthétique, sociologique, anthropologique, psychologique, physiologique, biomécanique… et même notationnelle, sur le corps qui se meut et s'émeut porte d'emblée préjudice à l'accueil de la singularité et à la reconnaissance de l'altérité. Les paroles herméneutiques, les métaphores, les classifications, les signes, les codifications sont autant de portes pour en aborder la complexité, mais elles sont autant de pièges à interprétation. Le danseur doit rester au cœur du sujet. L'artifice de sa présence n'est pas une construction artificielle, c'est « l'artifice qui atteint un point d'équivoque où l'on ne sait plus si c'est vrai ou pas, où l'on commence à apercevoir le visage de la vérité8. » Monsieur Dupuy nous rappelle encore : « Il est beaucoup question aujourd'hui de pluridisciplinarité, d'interdisciplinarité, de transdisciplinarité... Ne peut-on chercher dans la danse contemporaine ce qu'elle a de proprement divers ? Ne peut-on, à son plus profond, traverser les couches d'expérience de la création chorégraphique, de l'interprétation, de l'apprentissage pour tenter de trouver ce qui en chacune d'elles relève de la recherche, de la relation aux autres formes de mouvement, aux autres formes d'art et de pensée, et finalement peut-être ce qui crée les "reliements" les plus évidents des uns aux autre ? Bref, à l'intérieur même de la danse traquer le pluri, l'inter, et le trans, sans omettre d'y ajouter le in (de l'indisciplinarité et de l'indiscipline...) »9 La danse, art de représentation, demande à l'artiste interprète une éducation corporelle spécifique et spécialisée qui lie intimement phénomènes physiques, psychiques et symboliques constitutifs de sa personnalité. En tant que technique du corps, elle s'inscrit dans un cadre particulier, celui de son époque, qui lui confère des codes et des codifications identifiables. À partir des critères esthétiques du contexte dans lequel elle s'exprime, la danse développe des éléments pédagogiques qui visent à solliciter, éveiller et stimuler les matières fonctionnelles nécessaires à sa mise en œuvre10. Dans la proximité de psycho-dynamiciens pédagogues comme Wallon ou Vygotsky, du pédiatre psychanalyste D. W. Winnicott, la notion de la représentation fait appel, pour moi, à un 8 Yano Hideyuki (1943-1988), danseur et chorégraphe japonais « Considérant la danse comme « géo- chorégraphie » et la scène comme « fragment d’un espace mental », voir le Dictionnaire de la danse, Librairie de la danse, Larousse, Novembre 1999. 9 D. Dupuy, À la recherche de la recherche retrouvée, Correspondance n°3 le Mas de la danse, mars 2001. 10 D'après un texte paru dans la revue Art et Thérapie n°82-83 « Étude fonctionnelle d’un statut intermittent, la présomption de présence », septembre 2003, pp 64-73. Article publié en ligne : 2005/03 http://www.sens-public.org/spip.php?article170 © Sens Public | 4 NATHALIE SCHULMANN Le danseur est une personne double mouvement, une réflexivité et une mutualité entre le dedans et le dehors. S'obligeant à quitter les oppositions systématiques, nous entrons dans le uploads/Philosophie/ afcmd-le-danseur-est-une-personne-nschulmann-danseur.pdf
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- Publié le Aoû 12, 2021
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