71 QUAND UN VOCABULAIRE DE SPÉCIALITÉ EMPRUNTE AU LANGAGE COURANT : LE NUCLÉAIR
71 QUAND UN VOCABULAIRE DE SPÉCIALITÉ EMPRUNTE AU LANGAGE COURANT : LE NUCLÉAIRE, ÉTUDE DE CAS Marie CALBERG-CHALLOT UMR 7597 CNRS – Université Paris 7 INTRODUCTION Cet article s'inscrit dans un travail de recherche de doctorat qui s'attache à décrire une langue de spécialité et, plus particulièrement, un vocabulaire de spécialité, celui de l'ingénierie nucléaire. En effet, l'étude a été menée au sein de l’entreprise AREVA NP. Le groupe AREVA propose à ses clients des solutions technologiques pour produire l'énergie nucléaire et acheminer l'électricité. Leader mondial de l'énergie nucléaire, le groupe est le seul acteur présent dans l'ensemble des activités industrielles du cycle du nucléaire. Nous présenterons plus précisément le domaine ainsi que les corpus de travail de l'étude puis, bien que nous nous intéressions au vocabulaire de spécialité de l'ingénierie nucléaire, nous nous situerons par rapport aux notions de langue générale et de langue de spécialité afin de préciser l'analyse. Ensuite, en support de nos corpus, nous analyserons quelques termes issus de la langue commune dont la signification s’est spécialisée. Nous nous attacherons à comprendre comment les termes issus la langue générale se spécialisent au travers d'un contexte spécialisé et à déterminer le niveau de spécialisation d'un domaine. Ceci nous conduira à expliquer les moteurs et les motivations de la spécialisation d'un terme dans un domaine de spécialité et enfin, à mettre en Cahier du CIEL 2007-2008 72 exergue la nécessaire vigilance qu'il faut garder vis-à-vis de termes issus de la langue générale qui peuvent, par ailleurs, être spécialisés et faire partie d'un vocabulaire de spécialité. 1 PRÉSENTATION DU CADRE DE TRAVAIL 1.1 Présentation du domaine de travail Ce travail a porté sur deux corpus. Le premier corpus1 porte sur le vocabulaire du domaine de l'ingénierie nucléaire au sens le plus large alors que le second corpus2 est représentatif du vocabulaire d'un sous-domaine, celui du Combustible de l'ingénierie nucléaire d'AREVA NP. En effet, le Corpus de la CSTNIN touche au vocabulaire du domaine de l'ingénierie nucléaire en général et représente un ensemble de termes et expressions étudiés par les groupes de travail de la Commission spécialisée de terminologie et de néologie de l'ingénierie nucléaire (CSTNIN) qui a pour mission, comme il est expliqué dans le décret N° 96-602 du 3 juillet 1996, de travailler sur l’enrichissement de la langue française et la néologie. Le second corpus est consacré au sous-domaine du Combustible pour l'ingénierie nucléaire d'AREVA NP. Les membres travaillant pour la Commission spécialisée de terminologie et de néologie de l'ingénierie nucléaire sont des personnalités qualifiées ou experts travaillant ou ayant travaillé dans différents organismes, sociétés ou établissements : l'ANDRA (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), l'ASPEA (Association suisse pour l'énergie atomique), la BELGONUCLEAIRE, le CEA (Commissariat à l'énergie atomique), AREVA NC (AREVA Nuclear Cycle), le bureau de la traduction, la Direction de la terminologie et de la normalisation du Canada, EDF (Electricité de France), AREVA NP (AREVA Nuclear Power), l'IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), la RGN (Revue générale nucléaire), la SFEN (Société française d'énergie nucléaire), SGN et SUEZ-TRACTEBEL. Des experts extérieurs au domaine d’application, tels les linguistes, terminologues et experts de la langue à plusieurs titres, participent au travail. L'action des linguistes et terminologues au sein des commissions de terminologie et de néologie est à souligner (Chevallier & Candel, à paraître ; Candel, 1999 : pp. 44-53 ; Depecker, 2001). 1 Nous nommerons le premier corpus "Corpus de la CSTNIN". 2 Nous nommerons le second corpus "Corpus du sous-domaine du Combustible" M. CALBERG – Emprunts au langage courant 73 Le deuxième corpus, le Corpus du sous-domaine du Combustible constitue un sous-ensemble d'un domaine plus vaste, le domaine technique de l'ingénierie nucléaire (Coppolani et al., 2004 : pp. 43-75). Ce corpus est constitué de textes techniques relatifs à la conception des assemblages de combustible dans le sous-domaine du Combustible. Il rassemble des documents ayant trait à la reconfiguration du processus de conception des assemblages de combustible destiné à réduire les coûts de conception et de fabrication, ainsi que le délai de mise sur le marché d'un produit nouveau ou d'une solution innovante (Calberg-Challot et al., à paraître). Ce corpus, constitué en vue d'un projet d'extraction de termes candidats, a été mené à la Direction "Conception et Ventes du Combustible" d'AREVA NP. La conception, la fabrication et le développement d'assemblages du combustible et des éléments qui lui sont associés sont réalisés de façon coordonnée en France, en Allemagne et aux Etats-Unis. Le corpus porte uniquement sur les documents techniques émis en français. La conception, première opération dans le cycle de vie d'un assemblage de combustible, fait intervenir des techniques avancées dans des domaines comme la mécanique, la thermohydraulique, la physique des réacteurs, la chimie, la science des matériaux. L'amélioration des performances et l'adaptation permanente aux usages spécifiques sont soutenues par le département de la R&D3 relative à un parc important de réacteurs (Calberg-Challot et al., à paraître). Après avoir exposé le domaine de travail et le vocabulaire sur lequel porte cette étude, nous pouvons désormais aborder les notions de langue générale et de langue de spécialité. 1.2 Langue générale et langue de spécialité En ce qui concerne la langue générale, prise dans le sens de langue commune, nous pourrions citer Maria Teresa Cabré qui la décrit de la façon suivante : Une langue donnée est donc constituée par un ensemble diversifié de sous-codes que le locuteur emploie en fonction de ses modalités dialectales et qu'il sélectionne en fonction de ses besoins d'expression et selon les caractéristiques de chaque situation de communication. Cependant, au-delà de cette diversité foisonnante, toute langue possède un ensemble d'unités et de règles que tous ses locuteurs connaissent. 3 R&D : Recherche et développement. Cahier du CIEL 2007-2008 74 Cet ensemble de règles, d'unités et de restrictions qui font partie des connaissances de la majorité des locuteurs d'une langue constitue ce qu'on appelle la langue commune ou générale […] (Cabré, 1998 : p. 115). Nous pouvons aussi préciser cette définition en ajoutant que la langue générale est : General reservoir on which the LSP's of various special areas draw [un réservoir général où puisent les différentes langues de spécialité] (Pitch et Draskau, 1985 : p. 3). En effet, les langues de spécialités ne sont pas à dissocier de la langue générale car elles en font partie intégrante. Elles utilisent le même système de règles en syntaxe et en grammaire et ne font qu'une en ce sens. C'est au niveau sémantique que se note la distinction et c'est au niveau du vocabulaire que l'analyse doit porter. Une langue spécialisée ne se réduit pas à une terminologie : elle utilise des dénominations spécialisées (les termes), y compris des symboles non linguistiques, dans des énoncés mobilisant les ressources ordinaires d'une langue donnée. On peut donc la définir comme l'usage d'une langue naturelle pour rendre compte techniquement de connaissances spécialisées (Lerat, 1995 : p. 21). Nous envisageons ainsi la langue de spécialité comme un sous-ensemble de la langue générale et donc le vocabulaire de spécialité comme le continuum de la langue générale. 1.3 Langue spécialisée ou langue de spécialité ? Nous préférons la dénomination de "langue de spécialité" à celle de "langues spécialisées". Pierre Lerat dit dans son ouvrage intitulé "Les langues spécialisées" que : La dénomination de langue de spécialité souffre d'induire une fragmentation et une marginalisation qui sont contre-intuitives (Lerat, 1995 : p.19). En effet, la langue spécialisée serait la langue générale qui se spécialise mais la dénomination reste très vague. La langue de spécialité mobilise, pour l'usage, les connaissances de la langue générale et en ce sens, il existe bien un continuum entre la langue générale et la langue de spécialité. Malgré tout il subsiste une zone d'ombre pour toute personne extérieure à la communauté d'experts utilisant cette langue de spécialité, à savoir la connaissance et le savoir. Même si les experts parlent la même langue que les autres, les connaissances que véhiculent leurs discours n'en sont pas pour autant plus accessibles. C'est pour cette raison, à cause de M. CALBERG – Emprunts au langage courant 75 cette séparation des connaissances et des savoirs, que nous préférons parler de la notion de "langue de spécialité". Si nous préférons parler de langue de spécialité, la présente étude traite plus précisément d'un vocabulaire de spécialité. Aussi retiendrons-nous la définition de Dubois et al. donnée à l’article "spécialité" : On appelle langue de spécialité un sous-système linguistique tel qu'il rassemble les spécificités linguistiques d'un domaine particulier. En fait, la terminologie, à l'origine de ce concept, se satisfait très généralement de relever les notions et les termes considérés comme propres à ce domaine. Sous cet angle, il y a donc abus à parler de langue de spécialité, et vocabulaire spécialisé convient mieux (Dubois, 1994 : p. 440). Bernard Quemada argumente aussi en ce sens lorsqu'il écrit : La linguistique descriptive […] condamne les désignations de "langue" technique et scientifique qui sont également impropres. Il convient plutôt de parler de "vocabulaires", s'agissant d'emplois particuliers du français et de ses variétés qui font appel, pour la prononciation, la morphologie uploads/Philosophie/ almmep-14.pdf
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- Publié le Mar 04, 2022
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