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Tous droits réservés © Les Presses de l'Université de Montréal, 1984 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 7 mars 2022 16:02 Études françaises Bakhtine, sa critique de Saussure et la recherche contemporaine Marc Angenot Bakhtine mode d’emploi Volume 20, numéro 1, printemps 1984 URI : https://id.erudit.org/iderudit/036812ar DOI : https://doi.org/10.7202/036812ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Presses de l'Université de Montréal ISSN 0014-2085 (imprimé) 1492-1405 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Angenot, M. (1984). Bakhtine, sa critique de Saussure et la recherche contemporaine. Études françaises, 20(1), 7–19. https://doi.org/10.7202/036812ar Bakhtine, sa critique de Saussure et la recherche contemporaine MARC ANGENOT II y a bien des traits communs entre Mikhail M Bakhtine et Ferdinand de Saussure un rapport bizarre à la chose imprimée et au texte signe, une tendance à oublier des manuscrits dans des tiroirs, à accumuler des cahiers de notes (sur les Niebellungen, sur les vers latins, dans le cas de Saussure) sans se préoccuper de les produire au grand jour Saussure brûle (on ne sait trop quand) ses notes du Cours de linguistique générale et Bakhtine «fume» son manuscrit de VErziehungsroman Au bout du compte, nous voici amenés à confronter le texte non signé du C L G (reconstitué par Bally, Séchehaye et Riedhnger) au texte non signé de Marxisme et philosophie du langage, écrit (dans quelle proportion?) par Bakhtine sous le prête-nom de V N Volochinov Ces deux penseurs, Bakhtine et Saussure, attirés par l'altérité et par une sorte de schizoidie dont leurs biographies énigmatiques témoignent, se seraient peut-être bien plus s'ils avaient pu se rencontrer (hypo- thèse gratuite à la mort du linguiste genevois, Bakhtine a tout juste vingt ans) Toujours est-il que la rencontre de Bakhtine avec le Cours de linguistique générale, ce curieux monument d'approxima- tions philologiques de la part de ses éditeurs, cette rencontre a déterminé chez Bakhtine un rejet sans appel, fortement et longue ment motivé Cet affrontement critique recèle parmi ses enjeux une part essentielle des débats théoriques de ce siècle, analogue en cela à une poignée d'autres polémiques majeures celle entre Lukàcs et Brecht, celle entre les néo-positivistes et l'École de Francfort, par exemple Études françaises, 20,1 Je ne songe pas à réexposer dans le détail les objections que Bakhtine adresse à Saussure, objections que nous connaissons tous Je ne rouvrirai pas non plus le sempiternel débat sur ce que Saussure a «réellement voulu dire» II me suffit de chercher à voir comment il a été compris Je voudrais établir ce que signifie pour nous, quarante ans plus tard, la polémique bakhtinienne contre le saussunsme et dans quelle mesure elle se trouve recouper ou inter- peller certains débats contemporains Elle présente au moins cet avantage, théorique et psychologique, que dans l'atmosphère des études de lettres et de sciences humaines aujourd'hui, atmosphère où domine le syncrétisme et le bon-ententisme éclectique, Bakhtine invite à prendre position II nous oblige à situer son intervention, à en préciser la portée et à marquer les analogies et les antagonismes avec certaines hypothèses et certaines démarches actuelles Mon but sera donc de situer la critique de Bakhtine- Volochinov dans l'ensemble des débats actuels entre le marxisme et les structurahsmes Préliminairement et sommairement, il est nécessaire de spécifier les caractères de la prise de position même de Bakhtine-Volochinov au temps de la parution de Marxisme et philosophie du langage (1929) Sans préjuger du débat, probablement insoluble, quant à la part de l'auteur officiel et de Bakhtine dans la préparation et la rédaction de l'ouvrage, mais conscient de la forte comptabilité des thèses qui s'y développent et des idées défendues ailleurs par le théoricien du dialogisme, je parlerai de «Bakhtine», par sténographie si l'on veut, dans la suite de cet exposé 1 STATUT HISTORICO-THÉORIQUE DU CLG Quel est le statut histonco-théonque du Cours de linguistique générale^ C 'est une question préalable à la discussion J'ai cherché à faire apparaître ailleurs1 qu'on peut voir dans la démarche de F de Saussure un retour à Condillac et à la pensée linguistique des Lumières contre le vitalisme histonciste qui caractérise à des degrés divers les linguistiques du XIXe siècle II faut ajouter cependant que la pensée de Saussure et sa conception de la langue comme fait social doit beaucoup à la sociologie française du tournant du siècle, à Durkheim comme on l'a signalé, mais aussi à coup sûr à G Tarde et ses Lois de l'imitation (Paris, Slatkine, 1895, 430 p ) Le geste fondamental de Saussure consiste à poser une théorie du signe fondée sur l'hypothèse axiomatique de la 1 Condillac et le Cours de linguistique générale Dialectica X X V 2 1971 Bakhtine, sa critique de Saussure- communication intervalidée, c'est-à-dire sur l'axiome selon lequel la communication linguistique résulte du fait que les classes par lesquelles le destinataire connaît l'identité d'un signe sont néces- sairement celles par lesquelles l'émetteur l'a produit C'est cette conception — axiomatique certes — de ce que peut être la communication qui impose à Saussure, comme objet de la linguistique, la langue-code, refoulant hors du savoir rigoureux les aléas d'une intervalidation communicative partielle ou aberrante et les classements extralinguistiques, liés aux pratiques par lesquelles un énoncé donné prend un sens concret dans un environnement déterminé Cependant, à côté de cet axiome, qui rejette dans les aléas de la «parole» toute interaction verbale non synallagmatique, la descendance théorique de Saussure nous montre que l'on pouvait dégager un autre modèle fondamental dans les approximations du CLG tel qu'il nous est parvenu le modèle d'une gnoséologie sociale établie sur le concept de pertinence et d'identité différentielle — base de la théorie phonologique Notons aussitôt que ce potentiel-ci n'est pas perçu par Bakhtine C'est lui au contraire qui inspirera la pensée du lin- guiste saussunen et marxiste Luis Pneto, aujourd'hui titulaire de la chaire de Genève, dont nous parlerons plus loin D'une manière plus médiée, cette perspective aura servi au développement de la sémiologie artistique du Pragois Jan Mukarovsky, dans les années trente et quarante Ce que Mukarovsky trouve dans Saussure, ce sont les bases d'une sémiologie socio-historique la distinction première qu'il établit entre 1'«artefact artistique» dans sa facticité in-signifiante et la «connaissance esthétique» construite selon des pertinences déter- minées, historiquement, par les pratiques dont cet artefact est le moyen On ne peut que constater que la pensée de Mukarovsky, la première à faire de certaines conceptions saussuriennes un usage histonco-critique, est aussi la seule des prédécesseurs que les struc- turalistes des années soixante semblent avoir voulu résolument ignorer1 2 LA CRITIQUE DE BAKHTINE EN 1929 La polémique de Marxisme et philosophie du langage procède par l'opposition et le double rejet de deux idéologies linguistiques tenues pour idéalistes ce qu'il nomme YObjectivisme abstrait (Saussure) et ce qu'il qualifie de Subjectwisme idéaliste (Vossler, Spitzer) Cette polémique consiste à faire apparaîre à la base même de chaque doctrine en présence un proton pseudos ou, dirons- nous, un mensonge fondateur On notera la conformité de cette 10 Études françaises, 20,1 stratégie à la tradition du pamphlet marxiste : on commence par la mise en regard de deux erreurs antagonistes qui semblent, par leur antagonisme même, occuper tout le champ d'une discipline; on interpose ensuite ce qu'il faut appeler en toute rigueur un tiers exclus : ce tiers qui vient trouber la fête étant de nature critico- matérialiste, ici formulé dans les termes : «renonciation est de nature sociale», ce qui conduira à l'équation : tout le langage est idéologie. Apparemment les reproches faits à l'école de Vossler-Spitzer sont nombreux : romantisme, idéalisme de la subjectivité, fausse conception du langage comme extériorisation d'un psychisme «individuel». On voit cependant bien vite que, chez Bakhtine, la balance n'est pas égale entre le rejet de Vossler/Spitzer et le rejet du saussurisme. Même en le critiquant pour son idéalisme, la pensée de Bakhtine se place dans la continuité du vitalisme de Humboldt (philosophie linguistique du reste expressément anti- condillacienne en son temps). Elle conserve un certain degré d'accord avec les démarches de Vossler et de Spitzer. Elle se borne à corriger, par une réflexion sur l'interaction socio-verbale, la «primauté du sytlistique» spitzérienne. On peut du reste trouver à foison dans Marxisme et philosophie du langage une dette impor- tante à l'égard des analyses les plus sociologiques de Leo Spitzer (voir tout le développement sur la langage de la faim, p. 126-128). Vus du structuralisme saussurien, Bakhtine et les «idéalistes» qu'il critique partent d'une identique prééminence de la parole sur la langue. Ils posent en termes connexes le parallélisme entre l'activité linguistique spontanée et la création esthétique, parallé- lisme essentiel à Bakhtine qui — contre les formalistes et contre Chklovsky — n'accepte pas de dissocier le langage littéraire, uploads/Philosophie/ angenot-bakhtine-sa-critique-de-saussure-et-la-recherche-contemporaine.pdf

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