39 Translationes, Volume 2, 2010 DOI: 10.2478/tran-2014-0024 Éthique et esthéti

39 Translationes, Volume 2, 2010 DOI: 10.2478/tran-2014-0024 Éthique et esthétique de l’Autre en traduction : une réflexion à partir de récentes critiques contre la traductologie d’Antoine Berman René LEMIEUX Université du Québec, Montréal Canada The time is out of joint. (Hamlet, I, 5) Résumé : À partir d’un débat commencé par Charles Le Blanc dans son livre Le Complexe d’Hermès contre les théories traductologiques, l’auteur passe en revue trois types de critique – la portée théorique de la traductologie, la figure de l’Autre et le rôle de la Bildung – pour à chaque fois revenir aux textes d’Antoine Berman et répondre aux critiques de Le Blanc. Se dévoile alors dans cette polémique un travail de l’esprit proche de celui à l’œuvre chez les romantiques allemands et une invitation à continuer la réflexion au-delà du débat sur la traduction pour la porter sur « ce qui fait société ». Mots-clés : Traduction – philosophie ; éthique – traduction ; esthétique – traduction ; Berman, Antoine ; romantisme – Allemagne Abstract: From a debate started by Charles Le Blanc in his book Le Complexe d’Hermès against translation study theories, the author reviews three kinds of criticism – the theoretical scope of translation studies, the figure of the Other, and the role of Bildung – each time returning to the texts written by Antoine Berman in response to Le Blanc’s criticism. It is then unveiled that in this polemic one can find a work close in spirit to that of German Romantics and an invitation to continue reflection beyond the strict debate on translation to bring it to “what society is made of”. Keywords: Translation – philosophy ; Ethics – translation ; Aesthetics – translation ; Berman, Antoine ; Romanticism – Germany Le texte que nous proposons ici est une réflexion sur de récentes critiques formulées par Charles Le Blanc à l’encontre de la théorie traductologique d’Antoine Berman, plus précisément sur la possibilité de formuler une éthique en traduction. Berman fut à son époque une figure proéminente de toute la théorisation en rapport à l’éthique, et, encore Unauthenticated Download Date | 6/11/16 2:29 AM 40 Translationes, 2 (2010) De introdus in antet dupa prima pagina a Argumentului, trebuie sa apara pe pagina para numele revistei in italice, Georgia 10, Translationes si nr. revistei si numele sectiunii pe pagina impara, tot Georgia 10, tot italice aujourd’hui, il continue d’influencer les théoriciens actuels1. Charles Le Blanc, professeur à l’Université d’Ottawa et traducteur de nombreuses œuvres – notamment en allemand, en danois et en latin –, a publié en 2008 et 2009 deux livres aux Presses de l’Université d’Ottawa : une traduction en français du De interpretatione recta de Leonardo Bruni, commentée et annotée, ainsi qu’un essai intitulé Le Complexe d’Hermès : regards philosophiques sur la traduction, dont une bonne partie de l’argumentation est centrée sur une critique de l’éthique en traduction, et particulièrement celle d’Antoine Berman. Nous voudrions ici revenir sur certaines de ces critiques non pas pour dire qui a tort et qui a raison dans ce débat – qui n’en est peut-être pas un, par ailleurs –, mais d’abord pour essayer de le comprendre, ensuite pour en tirer des conséquences à la fois sur la question de la traduction et sur l’éthique, et finalement pour en dégager une réflexion sur notre temps présent et sur la perception de l’Autre aujourd’hui. Pour notre propos, nous séparerons la critique de Le Blanc contre Berman en trois discussions. D’abord nous reviendrons sur la critique de l’utilité ou non d’un propos sur la traduction, ce que Berman appelle « traductologie »2. C’est une question préliminaire qui nous semble essentielle pour la suite du propos qui traite plus spécifiquement de la question de l’éthique et de l’esthétique du texte à traduire. Par la suite, nous comparerons les propositions de Le Blanc et de Berman sur la question de l’altérité, liée à l’éthique, et, en guise de conclusion, nous terminerons avec une réflexion sur la Bildung et la différence de sa conception chez les deux auteurs. Sur le statut d’un discours traductologique En 2009, Charles Le Blanc publie son essai Le Complexe d’Hermès : regards philosophiques sur la traduction qui complète en quelque sorte une critique sur les tendances en traduction commencée avec sa traduction en 2008 de Leonardo Bruni. Ce que Le Blanc reproche aux « traductologues » aujourd’hui, c’est d’écrire sur tout et sur rien à propos de la traduction, et de ne se servir de la traduction que pour se distinguer – dans le sens de la théorie de Bourdieu – à l’intérieur d’un champ intellectuel. Le Blanc assimile cette nouvelle tendance en traductologie au 1 Pour un constat sur l’éthique chez Antoine Berman et ses influences sur des théoriciens contemporains comme Lawrence Venuti et Anthony Pym, voir notamment Godard (2001). 2 Si Berman n’est pas le seul à utiliser le terme « traductologie » dans le champ des études sur la traduction, il demeure toutefois un de ses plus illustres défenseurs, dans le sens précis d’une « réflexion de la traduction sur elle-même » (Berman 1999, 17). Translationes, 2 (2010) Unauthenticated Download Date | 6/11/16 2:29 AM 41 Translationes, 2 (2010) De introdus in antet dupa prima pagina a Argumentului, trebuie sa apara pe pagina para numele revistei in italice, Georgia 10, Translationes si nr. revistei si numele sectiunii pe pagina impara, tot Georgia 10, tot italice mythe d’Hermès, l’antique dieu grec de la communication et le messager des dieux. Hermès, demi-frère d’Apollon et fils illégitime de Zeus et de la nymphe Maïa. Le mythe d’Hermès, c’est d’abord le mythe d’un enfant talentueux, inventeur de la lyre, mais, poussé par l’hybris et devenu jaloux de son demi-frère Apollon, il vole les génisses destinées à l’holocauste. Hermès est l’archétype du bon voleur : il sait dissimuler les traces de son forfait et est doué pour le mensonge. Lorsque Zeus découvre le vol sacrilège d’Hermès, un arrangement est conclu : Hermès fait don de sa lyre à Apollon (et l’art musical et poétique, qui lui est associé), en échange de quoi il obtiendra l’immortalité des dieux et la mission divine d’être leur messager fidèle : [En faisant serment de ne point reprendre la lyre donnée à Apollon], Hermès pour jamais renonçait à la création et aux joies de fabriquer les doux ouvrages de l’art, qu’il abandonnait dorénavant à Apollon Phébus. Enivré d’immortalité récente, Hermès ne voyait pas encore combien il lui serait difficile, dans la suite des temps, d’accorder la stérilité de ses œuvres à la fertilité de son adroit esprit (Le Blanc 2009, 6). Pour Le Blanc, ce mythe, c’est à la fois l’essence même du traducteur, qui devrait accepter sa condition seconde, sa stérilité, afin de participer à l’immortalité littéraire des autres – à la fois montre-t-il cette tendance des traducteurs à ne pas accepter cette condition stérile. Le « complexe d’Hermès » ce sont donc l’ensemble des tentatives du traducteur pour laisser sa trace dans le message qu’il doit transmettre, et les plus récentes tentatives pour laisser ces traces se trouvent, pour Le Blanc, dans ce qu’on appelle aujourd’hui la « traductologie » : §4 La « traductologie » est l’une de ces sciences subjectives. Discipline réfléchissant sur la traduction, son sens et ses méthodes, la traductologie (ou Translation Studies) abrite nombre de concepts qui, à l’épreuve d’un examen critique, viennent essentiellement de l’éloquence de l’esprit (11). Les sciences humaines – dont la traductologie fait partie – sont responsables, et même coupables, de l’« éclatement du savoir » (§7, 13) (alors que l’idéal devrait être son unification), et cela a été rendu possible aujourd’hui grâce à « la pensée postmoderne, laquelle est relativiste, antisystématique, intuitionniste et, en définitive, obscurantiste » (§8, 14). « Devant cela, ajoutera Le Blanc, on serait tenté de faire la réponse que fit Hamlet à Polonius : ‘What do you read, my lord ?’ ‘Words, words, words’ » (§11, 16) : la traductologie n’est devenue qu’abus de mots – c’est-à- dire, pour Le Blanc, une « théorisation » à tout prix : 1. Section théorique/ Theoretical section/ Theoretischer Teil/ Sección Teórica/ Sezione teorica Unauthenticated Download Date | 6/11/16 2:29 AM 42 Translationes, 2 (2010) De introdus in antet dupa prima pagina a Argumentului, trebuie sa apara pe pagina para numele revistei in italice, Georgia 10, Translationes si nr. revistei si numele sectiunii pe pagina impara, tot Georgia 10, tot italice §12 En somme, l’abus des mots, l’excès théorique, l’afflux des dissertations amphibologiques ne pourraient-ils pas tous être regroupés et mis en théorie à leur tour, mais comme les signes d’une maladie de la communication qui trouverait dans la figure mythologique d’Hermès son alpha et son oméga ? (17) S’il ne mentionne pas Antoine Berman directement à ce moment, on peut imaginer qu’en utilisant le terme « traductologie », Le Blanc avait en tête les essais de Berman, à tout le moins ses héritiers dans la voie de la traductologie. Or, la « traductologie » peut-elle être conçue comme un corpus théorique, comme le critique Le Blanc ? Antoine Berman semble uploads/Philosophie/ ethique-et-esthetique-de-l-x27-autre-en-traduction-contre-berman.pdf

  • 32
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager