Direction éditoriale : Stéphane Chabenat Éditrice : Charlotte Sperber Conceptio
Direction éditoriale : Stéphane Chabenat Éditrice : Charlotte Sperber Conception graphique de la couverture : olo.éditions Les Éditions de l’Opportun 16, rue Dupetit-Thouars 75003 Paris www.editionsopportun.com ISBN : 978-2-38015-065-0 Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo. INTRODUCTION « La musique donne une âme à nos cœurs et des ailes à la pensée. » Signée de Platon, cette affirmation place le quatrième art sur le banc des activités de plaisir capables d’élever l’esprit. Quel rapport avec Arthur, nous demandons-nous ? Certes, on pourrait bien comparer le Banquet aux repas animés que partage le roi de Bretagne avec sa (chaleureuse) belle-famille. Mais c’est autre chose. « [La musique] est un charme à la tristesse, à la gaieté, à la vie, à toute chose », nous dit encore le papa d’Aristote. Guenièvre serait, on le suppose, complètement d’accord avec le philosophe, elle qui verse des torrents de larmes quand son cher et tendre entame une sérénade avec un oud, parce que, tout de même, ça fait penser à des petits chiens 1 ! Et finalement, Arthur le sait, c’est embué dans la solitude qu’il prend le plus de plaisir à gratter l’instrument, n’en déplaise à Perceval et Karadoc. Pourquoi ? Car la musique aide à libérer la pensée et à se regarder soi-même, dans le monde, avec un détachement que l’intimité seule ne permet certes pas mais stimule nécessairement. Arthur, philosophe ? Sans nul doute. Et après lui Perceval, malgré son regard très personnel sur le monde, Léodagan et sa définition du pouvoir politique (et militaire), ou encore la Dame du Lac, symbole des cieux tout au moins divisés, au mieux complètement déchus. Et encore Lancelot, Merlin, Demetra et toute la brochette d’improbables personnages qui, tous, possèdent leur façon de percevoir leur propre existence dans le tumulte jouissif dessiné par Alexandre Astier. La philosophie, dans Kaamelott, est d’abord une nécessité. Sans elle, les saynètes des six Livres auraient une saveur plus amère, car les situations mises en scène dans cette longue pièce que dessine la série perdraient cet élément qui fait leur valeur pour notre esprit goguenard : l’absurdité. En toile de fond, cette relecture de la légende arthurienne nous offre aussi des pistes de réflexion sur notre condition en tant qu’Homme, sur ce qui anime notre âme – au sens philosophique du terme 2 –, sur l’évolution de la société et de son (ses ?) contrat social. Prenez donc votre guitare, posez-vous confortablement sur le trône ou pas bien loin d’un bon feu de cheminée, oubliez Ygerne, et suivez Arthur à travers ces vastes et mystérieuses contrées que constitue la philosophie. ATTENTION : CE LIVRE EST POUR TOUT LE MONDE ! La philosophie, contrairement à ce que nombre d’entre nous se l’imaginent, n’est pas uniquement une science de savants. Bien au contraire, de par notre conscience, notre vécu, nos doutes, nous sommes tous amenés quotidiennement à réfléchir à notre existence, et bien souvent sans que nous en ayons conscience. Ce guide, rythmé de citations et petites bulles de contexte historique et philosophique, vous invite d’abord à découvrir Kaamelott avec un nouveau regard. Il tentera ensuite d’identifier les pistes de réflexion sur lesquels nous entraînent les six Livres d’Alexandre Astier. La série est si riche qu’elle mériterait amplement plusieurs volumes d’analyse 3 ; loin de nous l’idée d’être (trop) exhaustifs : amusez-vous devant vos épisodes préférés pour en tirer d’autres considérations philosophiques. Enfin, à la manière d’un petit guide de révision, l’ouvrage vous invite à revoir quelques notions et auteurs clés qui ont marqué la philosophie antique, moderne et contemporaine. 1. Réplique de Guenièvre (Anne Girouard), Kaamelott, Livre I, épisode 45. 2. Le concept d’âme a fait couler beaucoup d’encres au fil des siècles. Dans l’Antiquité, déjà, les premiers philosophes tentèrent de définir cette notion, indépendamment de son aspect religieux qui trouve un terrain plus que favorable dans l’Occident médiéval. Platon (ou Pseudo-Platon), pour ne citer que lui, l’expliquait ainsi dans ses Définitions : « Ce qui se meut soi-même ; cause de mouvement vitale chez les êtres vivants. » 3. Nous avons pris le parti, dans cet ouvrage, de faire des choix ciblés sur un ensemble de thématiques abordées dans la série. L ’objectif : illustrer, en adoptant un regard généraliste, les items philosophiques sur lesquels Alexandre Astier tend à nous faire réfléchir. Nous aurions pu choisir d’autres entrées : le peuple et la paysannerie, la famille, la magie… Au contraire, nous avons privilégié une analyse transversale permettant d’aborder un ensemble de sujets qui nous semblaient fondamentaux. Épisode 1 Premiers pas vers le Graal Le rire et l’absurde DE L ’ÉPOQUE DE JADIS À AUJOURD’HUI : PETITE PHILOSOPHIE DU LANGAGE « Putain la vache, je comprends pas un mot de ce que vous racontez ! » 1 L ’entourage définit ce que nous sommes, affirmons-nous comme un mantra censé résumer le fonctionnement humain. Arthur s’en mordrait les cuticules si Aristote débarquait à Kaamelott pour confirmer le terrifiant adage. Et il aurait de quoi. Sa Table ronde est composée d’une brochette de chevaliers moins intéressés par la quête du Graal – qui pourrait n’être, rappelons-le, qu’un simple récipient – que par leurs propres plaisirs quotidiens. Et côté famille, ce n’est guère plus enviable : Guenièvre et Yvain ne brillent pas par leur force d’esprit, ni les beaux-parents par leur délicatesse. Sans compter les terreurs de Tintagel incarnées par Ygerne et la tante Cryda. De quoi faire frémir plus d’un roi de Bretagne. Mais qu’à cela ne tienne, Arthur avance sans (trop) s’interroger sur ces compagnies peu ragoûtantes, préférant concentrer son esprit sur des sujets qui le touchent plus directement : le sens de l’existence humaine et, avec lui, l’objectif du Graal, aussi fantasmatique qu’une pierre incandescente. Toute cette épopée aurait pu n’être qu’une relecture moderne du mythe d’Arthur, semée d’épopées, certes, mais avec un objectif de quête strictement aléatoire. Et il est vrai que, plus les Livres déroulent leurs pages, moins l’accès au Graal semble facilité. Les dieux se détournent de notre héros dépressif, son équipe se dissout, et même Merlin, personnage hautement central de la légende originelle, perd de ses plumes – n’en déplaise à ses confrères réunis au Rassemblement du Corbeau. Alors, pourquoi la série est-elle si géniale ? Tout simplement parce que, même au bout de presque cinq années de bons et loyaux services au profit du plaisir de Français farouchement critiques, la série parvient toujours à faire rire et réfléchir. Plusieurs entrées sont possibles pour comprendre la pensée mise au jour par Kaamelott. L ’étude du genre narratif nous paraît la plus logique. Et qui dit narration dit forcément discours, parole, langage, trois termes dont la signification émane du fameux logos grec. Dans l’Antiquité, ce mot avait pour sens le langage écrit puis, par l’influence platonicienne et aristotélicienne, la logique, la rationalité. Martin Heidegger, philosophe allemand du XXe siècle, différencie dans le cheminement de la logique trois concepts 2 : 1. la phônê, c’est-à-dire la voix et non simplement le son : une prononciation humaine ; 2. la phônê semantiké, c’est-à-dire la conceptualisation vocale d’une pensée ; 3. le logos ou discours (réfléchi) : « La parole est l’être et le devenir de l’homme lui-même. » Quel rapport avec Kaamelott ? Si le Logos fonde la logique par le langage, il est également à l’origine du concept d’absurde, qui fonctionne par contradiction avec la réalité rationnelle. On pourrait parler d’absurde réfléchi car l’objet n’est pas seulement d’inverser le raisonnable mais de profiter de ce changement de paradigme pour déployer un possible dont l’une des finalités n’est autre que de faire rire. Perceval est l’incarnation même de cet absurde délicieux. « Faut arrêter ces conneries de nord et de sud, s’énerve-t-il sur le terrain à propos des tactiques militaires d’Arthur. Une fois pour toutes, le nord, suivant comment on est tourné, ça change tout ! » 3 Ce qui est hilarant, dans la réaction démesurée du personnage, n’est pas que cette logique n’a aucun sens. Au contraire, elle démontre une réflexion qui dépasse nécessairement le rationnel et qui s’exprime dans l’attaque militaire organisée par Arthur et Lancelot. Le philosophe Henri Bergson, qui a tenté de comprendre l’objet du rire et sa signification, serait sans conteste d’accord sur ce point. Cette fonction, strictement humaine, est avant tout sociale : « Pour comprendre le rire, il nous faut le remettre dans son environnement naturel, qui est la société, et surtout, nous devons déterminer son utilité, qui est sociale. […] Le rire doit répondre à certaines exigences de la vie en commun. Il doit avoir une signification sociale » 4. En d’autres termes, nous rions car les situations contées dans la série nous renvoient à notre propre réalité sociale, à un temps donné. Kaamelott parle en fait moins de la légende arthurienne que de notre société occidentale (française) actuelle. Ce « putain la vache, je comprends pas un mot de ce que vous racontez » fait forcément rire. Pourquoi ? Car Arthur est un homme rationnel – une vérité partielle, nous le verrons – et sa pensée renvoie à une logique uploads/Philosophie/ la-philosophie-selon-kaamelott-gwendal-fossois-fossois-gwendal.pdf
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- Publié le Mar 20, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
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