52 Le français dans le monde | n° 417 | mai-juin 2018 DOSSIER | THÉORIE NEUROLI
52 Le français dans le monde | n° 417 | mai-juin 2018 DOSSIER | THÉORIE NEUROLINGUISTIQUE DU BILINGUISME Théorie élaborée par Michel Paradis (2004), à partir d’une synthèse des données empiriques des neurosciences portant sur les personnes bilingues souffrant soit d’un certain type d’aphasie (un trouble de la parole affectant la morphosyntaxe ou capacité de former des phrases correctes), soit de la maladie d’Alzheimer, affectant notamment les savoirs lexicaux. PARADOXE GRAMMATICAL Certains connaissent bien les règles de grammaire d’une langue étrangère mais sont incapables de la parler alors que d’autres la parlent avec aisance et en ignorent totalement les règles. Il y a là un paradoxe grammatical, dont aucune théorie actuelle sur l’acquisition des langues ne peut rendre compte, sauf la théorie neurolinguistique du bilinguisme de Paradis (2004), selon laquelle il n’y a pas de relation directe entre la mémoire déclarative (le savoir) et la mémoire procédurale (l’habileté). APPROCHE NEUROLINGUISTIQUE LE FRANÇAIS EN TÊTE Le français dans le monde | n° 417 | mai-juin 2018 53 L ’ANL est un nouveau paradigme, c’est- à-dire une nouvelle façon de concevoir les relations entre l’appropriation (ac quisition non consciente ou apprentis sage conscient) et l’enseignement d’une langue seconde ou étrangère (L2/LÉ) visant à créer en salle de classe les condi tions optimales pour une communication spontanée et une interaction sociale réussie. Selon les concepteurs canadiens de l’ANL (Claude Germain et Joan Netten), les stratégies d’enseignement prônées découlent des re cherches en neurosciences, notamment de la théorie neu rolinguistique du bilinguisme de Michel Paradis (2004), suivant laquelle il n’y a pas de connexion directe entre la mémoire déclarative, celle des savoirs (règles de gram maire, conjugaison), et la mémoire procédurale, celle de l’habileté à communiquer (phonétique, morphosyn taxe). Alors que la mémoire procédurale est considérée comme un processus, la mémoire déclarative est plutôt considérée comme un produit. La conséquence, pour l’enseignant formé à l’ANL, c’est qu’il ne focalise plus tant son attention sur des contenus linguistiques à faire passer en classe que sur l’appropriation en cours dans la tête de ses apprenants. La prise en considération des processus mémoriels amène ainsi un passage de la focalisation sur l’enseignement à une focalisation sur l’apprentissage. n C. G. et O. M. DOSSIER COORDONNÉ PAR CLAUDE GERMAIN ET OLIVIER MASSÉ ACQUISITON/ APPRENTISSAGE Acquisition fait référence à des mécanismes psychologiques non conscients alors qu’apprentissage fait plutôt référence aux méca nismes conscients d’appropriation d’une L2/LÉ. Avec l’ANL, contrai rement aux affirmations de Stephen Krashen (1981), il est possible non seulement de faire apprendre une L2/LÉ mais aussi de la faire acquérir, y compris en milieu scolaire. LITTÉRATIE L’ANL vise au développement de la littératie, qu’elle entend comme « la capacité d’utiliser le langage et les images, de formes riches et variées, pour lire, écrire, écou ter, parler, voir, représenter et penser de façon critique. Elle permet d’échanger des renseignements, d’interagir avec les autres et de produire du sens » (Gouvernement de l’Ontario, 2004). En ce sens, la littératie est conçue d’abord et avant tout comme une habileté (« la capacité d’utiliser… ») plutôt que comme un savoir. FICHE PÉDAGOGIQUE « ENSEIGNER L’ORAL SELON L’ANL » à retrouver page 79-80 Le français dans le monde | n° 417 | mai-juin 2018 DOSSIER | 54 ENTRETIEN L’approche neurolinguistique existe depuis presque une génération et elle n’est pourtant pratiquement jamais mentionnée dans les cursus en FLE/FLS, sinon au titre de « méthodologie non conventionnelle ». Vos recommandations sont-elles à ce point originales ? Claude Germain : D’une certaine manière oui, dans la mesure où l’ANL se base sur des recherches em piriques. À ma connaissance, c’est la seule approche fondée sur les résultats des récentes découvertes réalisées par les neurosciences, notamment la théorie neurolin guistique du bilinguisme de Michel Paradis (2 004). Ces travaux ont prouvé qu’il n’y a pas de relation directe entre la mémoire déclara tive (celle des faits ou des savoirs explicites sur la langue) et la mé moire procédurale (celle de la com pétence implicite ou de l’habileté à communiquer). C’est un fait que les enseignants de langue ne devraient plus ignorer, car l’essentiel des dif ficultés d’apprentissage en classe résulte de cette confusion, qui est entretenue par à peu près tous les manuels de langue. C’est pourquoi, dans l’ap proche neurolinguistique, nous recommandons le dé veloppement de deux gram maires distinctes : une grammaire implicite, non consciente (ou interne), pour l’oral, et une grammaire explicite, consciente (ou externe), pour l’écrit. Si la seconde, faite de règles, renvoie à une conception à laquelle les enseignants peuvent être fami liers, la première, constituée par des régularités dans l’utilisation de la langue, procède de connexions neuronales fréquentes dans le cer veau et nécessite pour les profs des stratégies d’enseignement tout à fait particulières. « SI VOUS NE VOULEZ PAS ENSEIGNER DIFFÉREMMENT , L’ ANL N’EST PAS FAITE POUR VOUS » PROPOS RECUEILLIS PAR OLIVIER MASSÉ Vingt ans après ses premières expérimentations dans la province canadienne de Terre-Neuve- et-Labrador, la méthodologie d’enseignement du FLE/FLS créée par Claude Germain et Joan Netten s’est largement répandue et fait aujourd’hui l’objet d’une mise au point dans l’ouvrage L’Approche neurolinguistique. Foire aux Questions. La parole à son auteur. Claude Germain, L’Approche neurolinguistique (ANL). Foire aux questions, éditions Myosotis. Le français dans le monde | n° 417 | mai-juin 2018 55 Les auteurs de l’ANL ont développé une pédagogie de la littératie spécifique à la L2/LÉ : 1. Une très grande importance est accordée à l’oral, pour réactiver la grammaire non consciente de l’apprenant ; 2. La lecture commence toujours par une phase orale (pré-lecture : « contextualisation ») ; 3. L’écriture commence toujours par une phase orale (pré-écriture : « contextualisation ») et 4. Le lien se fait dans l’ordre : oral d’abord, puis lecture, puis écriture et, afin de boucler la boucle, lecture par les autres apprenants des textes personnels écrits par les élèves puis questions orales sur les textes lus. CERCLE/CYCLE DE LA LITTÉRATIE SELON L’ANL sur des savoirs explicites) et en même temps s’avérer incapables de communiquer oralement alors que, inversement, il y a tellement de gens qui peuvent communiquer dans des langues étrangères sans en connaître les règles ? Cette théorie rend compte, en outre, de ce que j’ai appelé dans mon ouvrage le para doxe culturel. À en croire les réseaux sociaux, l’ANL semble susciter un vif intérêt ces derniers temps. Votre approche a pourtant une vingtaine d’années maintenant. Pourquoi ce brusque engouement ? Pendant longtemps, notre approche n’était connue qu’au Canada. À l’automne 2009, suite à une confé rence donnée à l’Université nor male de Chine du Sud, elle y a été adoptée et a commencé à se faire connaître au-delà de l’Amérique du nord. Mais, même si les profs se montrent extrêmement intéressés, un obstacle administratif et matériel majeur se dresse systématiquement devant eux pour implanter l’ANL : elle amène à renoncer au matériel pédagogique en usage, car les fon dements théoriques sont incompa tibles. Un second obstacle vient de ce que le modèle de testing le plus large ment utilisé est le DELF. Or, jusqu’ici, nous ne préparions pas au DELF, car il n’existait pas au moment où nous avons conçu l’ANL, en 1997, et que nous l’avons expérimentée, dès 1998. Et en Chine, nous n’en avions pas besoin non plus, car le DELF n’y est pas utilisé. Ces dernières années, cependant, il est devenu évident que l’absence de préparation à ce type d’examen devenait un obstacle ma jeur à son expansion. C’est pourquoi j’ai récemment décidé d’accompa gner la préparation d’un manuel qui permettra peut-être de répondre à cette demande (1). Quelles recommandations donneriez-vous alors aux enseignants qui souhaitent mettre en pratique l’ANL ? Peut-on l’adapter aisément à tous les types de cours de FLE ? Si vous n’êtes pas prêt à accepter qu’on puisse enseigner différem ment, l’ANL n’est pas faite pour vous. Mais si vous souhaitez amé liorer les habiletés de communica tion de vos étudiants, alors l’ANL s’adresse à vous. Dans nos stages de formation à l’ANL, nous proposons un cadre méthodologique rigou reux, basé sur des années d’analyse et d’expérimentation. Par ailleurs, je crois qu’il serait ambitieux de pen ser adapter l’ANL à tous les types de cours. Mais ceux qui souhaitent dé velopper des habiletés à communi quer et à interagir trouveront intérêt à nos propositions. Vous avez formé de nombreux formateurs qui, à leur tour, s’im pliquent dans la transmission de vos stratégies d’enseigne ment. Comment voyez-vous l’évolution de l’ANL ? Aujourd’hui, il y a des profs, dis séminés un peu partout dans le monde, qui ont radicalement modi fié leurs pratiques et s’enthousias ment des résultats. Une équipe en Chine, un groupe qui a émergé au Japon grâce à votre intermédiaire, l’Amérique latine qui s’y prépare, l’Iran aussi, sans oublier la synergie de premier plan qui se développe entre l’Europe et le Canada avec la naissance d’un Centre internatio nal de recherche et de formation en approche neurolinguistique (CiFRAN). L’engouement grandit, et dès que ces dynamiques seront bien implantées, le temps viendra d’organiser un colloque qui permet tra uploads/Philosophie/ anl-le-francais-en-tete-dossier-special-du-fdlm.pdf
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- Publié le Jui 25, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
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