Alain Badiou Marque et Manque : à propos du Zéro L'épistémologie se disjoint de

Alain Badiou Marque et Manque : à propos du Zéro L'épistémologie se disjoint de la reprise idéol<wque, où toute science vient figurer son reflet, pour autant qu'elle exclut 1 opérateur institutionnel de cette reprise: la notion de Vérité, et procède selon le concept d'un méca- nisme de production, dont on attend que, par différence, la théorie de sa structure rende raison de son effet. Qu'en est-il d'une épistémologie de la logique? La représentation de cette discipline dans le réseau des indicateurs idéolo- giques nous la montre étrangère au réel. discours présupposant. non la construction d'un objet, mais la position de la Vérité. C'est ce que Frege énonce abruptement lorsqu'il assimile une proposition à un nom propre dont la référence -la dénotation - est le Vrai, ou le Faux. n en résulte que la logique ordonne incessamment autant d'écritures liées qu'il lui est néces- saire pour passer d'un invariable nom-du-Vrai à un autre : la logique est ici l'indéfini saiptural d'un état civil de la vérité 1. A partir de quoi on peut en effet démontrer - entreprise de J. Lacan et J.-A. Miller - que, surnommé, le Vrai tombe en dessous de ses noms, pré- se..,t pourtant dans son état civil par l'itération qui nous fait déclarer sans cesse, à sa naissance perpétuelle, ses nouveaux noms anonymes. Le mouve-- ment nominal, la compulsion répétitive où se déploie 1'impuissance à croire tenir jamais le patronyme usuel du Vrai, c'est la marque même, dans la séquence liée des propositions, de ce qui n'est qu'un manque sur quoi elle glisse sans résistance ni succès. A ce double procès (salut du Vrai; convocation et marque du manque) nous allons objecter la stratification du signifiant scientifique. Pour nous, et la représentation idéologique, par Frege, de sa propre entre- prise, et la reprise de cette représentation dans le lexique du Signifiant, du manque et de la place-du-manque, masquent la pure essence productrice, le 1. Cf. Frege,« On sense and nominatum., in Readings in Phllosophical Analysis. FeigletSellars, N. Y. 1949. (p. 8S-I02). c Tout énoncé assertif, à quelque domaine qu'appartiennent les dénotations des mots qui y figurent, doit donc être tenu pour un nom propre; et sa dénotation, si elle existe, est soit le Vrai, soit le Faux .• « ToUJ les énoncés vrais ont ainsi le même dénotation. • Marque et Manque : à propos du zéro 151 procès de position par quoi la logique, en tant que machine, ne manque jamais de rien sinon de ce que par ailleurs elle produit. La logique du Signifiant i est une métaphysique. Représentation de la représentation, procès-progrès intra-idéologique. 1. Triple articulation du processus logique La théorie de la logique se rapporte aux modes de production d'une divi- sion dans l'écriture linéaire; soit la dichotomie d'un ensemble structuré d'énoncés « introduits , dans le mécanisme dernier au titre de matière pre- mière (déjà travaillée). n en résulte immédiatement que le requisit unique à quoi doit obéir le fonctionnement du mécanisme est qu'au bout du compte quelque chose soit en effet coupé; que des écritures soient mécaniquement réparties en deux classes disjointes. désignées, par allusion au mécanisme le plus souvent utilisé : classe des énoncés dérivables, classe des énoncés non-dérivables. La définition classique de la consistance absolue d'un système: qu'au moins une expression bien formée ne soit pas dérivable dans le système, désigne précisément cette exigence minimale. Sa transgression équivaut à considérer un mécanisme logique qui ne produit rien, la production n'étant en l'occur- rence rien d'autre que la division effective des matériaux sur lesquels on opère. A y regarder de plus près, on constate que cette division finale implique l'opération successive de trois mécanismes ordonnés. Car avant d'être répar- tis, les syntagmes doivent être formés, puis triés, aucun système de dérivation ne pouvant les soumettre, tous à son principe de division (ce qui veut simple- ment dire qu'une machine spécialisée possède une entrée où ne peuvent être introduits que des matériaux spécifiques, préalablement usinés). Nous aurons donc à distinguer les mécanismes de concaténation, de for- mation, et de dérivation. Toute dissimulation de l'autonomie du second mécanisme - par rap- port au troisième - a pour effet la perte de l'essence même : la fonction productrice du processus logique ft. Et rien n'est plus important que de par- courir dans leur ordre les machineries de la logique. a) Concaténation : La matière absolument première du processus logique 2. Par logique du Signifiant, nous entendons ici le système des concepts par lesquels penser l'articu- lation du lujet : Manque, Place, Tenant-Lieu, Suture, Forclusion, Refente. Ces concepts ont été produits par J. Lacan, et c'est reconnattre à son égard une dette définitive que d'engager le procès de limitation de leur usage: le procès critique. La thèse que noUi .OUte1l0DJ va seulement l esquiaaer l'impossibilité d'une logique du Signifiant enveloppante au Iegud de l'ordre scientifique, et où ,'articulerait l'effacement de la coupure épisté- mologique. ,. L'opUateI:II privilégié de cette dWimulation est le concepc do sem. à quoi l'on Iappom et; l'origi- nation du Vrai (dérivabilité) et le rejet du non-sens (formation-tyntau). 152 Alain Badiou lui est fournie par une sphère particulière de la production technique, l'écri- ture. li s'agit en effet d'un stock de marques graphiques, séparables et indé- composables, formant un ensemble fini ou au plus dénombrable que nous appellerons l'alphabet. Le ~!emier mécanisme « reçoit» ces marques dont il compose des suites finies Uuxtaposition linéaire avec répétitions éventuelles). li est monté pour produire toutes les suites finies de cette espèce, et ce sont donc elles que nous trouvons à la sortie du mécanisme. Soit S cette production. b) Formation : Le deuxième mécanisme opère sur S, et en réalise de proche en proche une dichotomie parfaite, qui sépare sans reste les suites « acceptées» par la machine des suites rejetées. On appelle expressions bien formées les expressions acceptées, mal formées les autres 4. Les opérateurs (les « pièces ») de ce mécanisme sont les règles de formation, qui prescrivent aux concaténations acceptables certaines configurations : par exemple, la machine dite « calcul des prédicats avec égalité » pourra accepter les suites 1 (x, x) et non-I (x, x,) mais rejettera la suite x(I, x). Par une dangereuse tolérance sémantique, on appelle souvent les énoncés rejetés des non-sens. L'ensemble des règles de formation constitue la syntaxe. Remarquons tout de suite que si, comme l'indique en apparence le célè- bre théorème de Godel, la dichotomie dernière (celle du troisième méca- nisme) ne peut, pour une machine « forte », se faire sans reste 5 - car il y a toujours des énoncés indéddables -, la possibilité même de ce résultat présuppose l'existence d'un mécanisme dichotomique sans reste : celui qui fournit au mécanisme démonstratif sa matière première, les expressions bien for- mées. Les apories de la dérivation sont assignables sous la condition d'une syntaxe parfaite. L'ordre signifiant refendu, marqué par ce dont il manque, n'est exhibé 4- Que la division soit sans reste veut dire : étant donnée une écriture quelconque (une suite finie de signes de l'alphabet), il existe un procédé effectif qui permet de déterminer sans ambigurté la confor- mité ou la non-conformité de l'expression aux règles de la syntaxe. Pour les logiques classiques, cette propriété syntaxique fait l'objet d'une démonstration par récurrence portant sur le nombre de parenthèses de l'expression. Cf. S. Kleene, Introduction to Metamathematics, Amsterdam, 19<>4, p. 72 s. S. Une machine forte est capable de répartir les écritures de l'arithmétique récursive. Notons qu'il existe un mécanisme logique faible, mais parfait: le Calcul des Propositions. Ce système est en effet : - Consistant à tous les sens du terme, - Décidable (de toute expression bien formée, on peut savoir mécaniquement si elle est ou non dérivable), - Complet (toute expression bien formée est, ou dérivable, ou telle qu'ajoutée aux axiomes elle rend le eaIcul inconsistant), - Catégorique (tous les modèles sont isomorphes). La seule existence de ce Calcul pose quelques problèmes à la Logique du Signifiant, car rien, IDt-cc une place vide, n'y atteste un manque. Très rigoureusement, ce système ne mmque de rien, ni ne marque le rien dont c'est même déjà trop dire qu'il en manque. On peut soutenir que la perfection du Calcul des Propositions est le référent différentiel intra-logique de c l'imperfection * relative des autres systèmes. Marque et Manque : à propos du zéro IS3 que dans sa différence à un ordre autonome effectivement fermé, c'est- à-dire intégralement décidable (celui de la formation des syntagmes). En ce sens, on ne peut soutenir que la déchirure ou l'itération compulsive soient le prix inévitable de la fermeture. Il faut dire: l'existence d'un mécanisme fermé infaillible conditionne celle d'un mécanisme dont on puisse dire qu'il est infermable, et donc intérieurement limité. La monstration d'une suture présuppose l'existence d'une forclusion. Quoi qu'il en soit de cette anticipation théorique, retenons qu'à la sortie du mécanisme syntaxique, nous trouvons l'ensemble des expressions bien formées, soit E. c) Dérivation: Le troisième mécanisme opère sur E, et il est généralement monté pour en produire : 1 : Une dichotomie parfaite, entre uploads/Philosophie/ badiou-a-propos-du-ze-ro.pdf

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