ANALYSES BIBLIOGRAPHIQUES Presses Universitaires de France | « L'Année sociolog

ANALYSES BIBLIOGRAPHIQUES Presses Universitaires de France | « L'Année sociologique » 2004/2 Vol. 54 | pages 609 à 629 ISSN 0066-2399 ISBN 9782130550464 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-l-annee-sociologique-2004-2-page-609.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Il s’inscrit également dans la mouvance d’une discussion philosophique sur les mérites comparés de différentes théories de la justice actuellement en concurrence dans le débat public (libéralisme, communautarisme, utilita- risme, etc.). Il s’agit de revenir sur les conditions de possibilité d’explication des normes sociales et des sentiments moraux qui leur sont associés. Cet ouvrage adopte un point de vue délibérément « kantien » ou « libéral » (mais opposé au libertarisme de Nozick) qui propose deux cho- ses : une théorie de la justice justifiée par rapport à des conceptions alterna- tives qui sont discutées et critiquées, et une application à des éléments empiriques, la théorie permettant d’éclairer les choix révélés par une enquête d’opinion. Ces deux éléments occupent une place inégale dans l’ouvrage, puisque l’application empirique, qui est peut-être la partie la plus originale, ne concerne qu’un chapitre sur cinq, même si les autres cha- pitres évoquent ça et là des problèmes d’application pratique. La théorie du juste proposée se définit contre le naturalisme, contre le holisme (associé au communautarisme) et contre l’utilitarisme. D’un point de vue méthodologique, il inscrit cette critique kantienne dans un refus du positivisme (hérité de Hume, et illustré ici par Weber et Kelsen), dont les conséquences sont jugées relativistes. Aux deux premiers courants (natura- lisme et holisme-communautarisme), il est reproché de ne pas prendre en L’Année sociologique, 2004, 54, n° 2, p. 609 à 632 © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/06/2021 sur www.cairn.info (IP: 169.159.215.23) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/06/2021 sur www.cairn.info (IP: 169.159.215.23) considération le phénomène de la liberté humaine et la possibilité de refus de certaines normes jugées inacceptables. L’utilitarisme est envisagé de manière fine et très informée dans ses dif- férentes versions. La discussion revient notamment sur les problèmes liés à l’émergence des normes et à leur justification dans des situations de type dilemme du prisonnier. Il retient le fait que le modèle du choix rationnel ne permet pas, in fine, d’assurer un véritable sentiment moral, puisqu’il incite à la tricherie. Le livre montre de manière très précise les différentes tentatives de solution proposées dans ce cadre utilitariste et les juge toutes insatisfaisantes. Il ne s’intéresse pas beaucoup à l’une des options qui pour- rait néanmoins être intégrée à ce cadre utilitariste et qui permettrait à notre sens de résoudre les difficultés liées aux situations de type dilemme du pri- sonnier, donnant naissance à une demande de normes : si chaque individu a intérêt à ce que les autres respectent une norme, tout en étant intéressé lui-même à sa transgression, il peut être amené à vouloir imposer aux autres des sanctions dissuasives, à un coût pour lui inférieur au coût qu’il aurait à subir s’il y avait un non-respect général de la norme ; dès lors, et de manière symétrique, les autres individus lui imposeront de même des coûts de transgression, en sorte qu’une norme soit effectivement respectée sur la seule base d’un calcul d’intérêt généralisé qui échappe aux problèmes du cavalier seul. Il est vrai toutefois que cela interviendrait seulement dans un cas d’égalité des forces qui correspond néanmoins aux hypothèses sous-jacentes de la situation de type dilemme du prisonnier. Il est vrai aussi qu’en cas d’inégalité de pouvoir, cette réciprocité du respect de la norme ne prévaudrait plus (mais il est très possible que dans la vie sociale réelle, par exemple dans le rapport entre les nations, l’évidence empirique révèle qu’il n’y ait précisément pas de volonté de respect d’une norme de récipro- cité là où il y a très grande inégalité des forces). La théorie promue, dans le sillage d’auteurs comme Kant, Rawls, Pop- per ou Apel (ces derniers étant évoqués notamment à partir de leurs com- mentateurs français, Mesure et Renaut), a fondamentalement un triple aspect : d’abord, le juste se distingue du bien ; ensuite, le juste repose sur un consentement unanime ; enfin, s’il y a une possibilité de position biaisée, celle-ci ressortit à un point de vue non impartial qui peut être néanmoins atteint dans certaines positions plus favorables à la perception d’une justice équitable. Cette théorie de la justice ne se présente pas comme originale, elle s’appuie sur toute une tradition d’analyse des condi- tions du consentement et de la définition d’un point de vue impartial. On peut noter à cet égard que Hume apparaît pour deux motifs diffé- rents comme exclu de cette tradition, alors que cette exclusion ne va pas de soi. Il s’agit d’un point de détail dans l’argumentation du livre, mais comme il commande toutefois la représentation d’ensemble, qui se cons- truit à partir de la délimitation d’une tradition d’analyse, il mérite peut-être que l’on s’y attarde. La théorie de la sympathie de Hume (et de Smith) est écartée d’une conception appropriée de la justice puisqu’elle conduirait à 610 Analyses bibliographiques © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/06/2021 sur www.cairn.info (IP: 169.159.215.23) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/06/2021 sur www.cairn.info (IP: 169.159.215.23) mettre en balance sympathie altruiste et égoïsme, avec des résultats varia- bles et indéterminés en termes de justice. Pourtant la théorie de Hume dans l’Enquête sur les principes de la morale (comme celle de Smith) est bien une théorie du spectateur impartial, qui insiste sur le fait que lorsque l’intérêt personnel de l’individu n’est pas directement engagé, il a accès à une connaissance précise des règles de justice, qui peuvent en retour s’appliquer à lui-même en dépit de sa propension initiale à favoriser son intérêt égoïste. C’est bien ce que revendiquent Forsé et Parodi, qui est déjà présent chez les auteurs écossais, qui enracinent néanmoins ces considéra- tions dans une nature qui dicte de tels sentiments d’impartialité dans certai- nes circonstances. Il n’est pas certain que cette référence à une « nature » humaine soit à écarter complètement au bénéfice de la « liberté contre la nature » de type kantien. Par ailleurs, contrairement à ce qui est dit, Hume n’est pas un relativiste, toute son Enquête sur les principes de la morale témoigne du contraire (comme le fait aussi son célèbre article sur la norme du goût esthétique). À cet égard, il faudrait présenter aussi de manière plus nuancée la célèbre opposition humienne du is et du ought (être et devoir-être), puisque dans l’unique passage de Hume où cette opposition est évoquée, et qui est cité par Forsé et Parodi, le philosophe écossais ne dit pas que l’on ne peut pas passer de l’un à l’autre ; il souligne seulement le problème du passage, et sa théorie des sentiments moraux semble indiquer plutôt la possibilité d’un tel passage à travers précisément de tels sentiments (ce thème est repris dans la théorie expressiviste de Gibbard). La thèse de Forsé et Parodi est donc une thèse philosophique sur ce qu’est le juste. Mais c’est aussi une thèse sociologique, qui entreprend d’expliquer les phénomènes réels de considération de ce qui est perçu comme juste. Pour ce faire, il y a essentiellement deux éléments : d’une part un sondage portant sur les opinions économiques, et d’autre part des considérations plus générales sur l’évolution des sociétés. L’analyse du sondage est extrêmement riche et intéressante. Il n’est pas possible d’entrer ici dans le détail de son apport, on se contentera d’indiquer les intentions des auteurs ainsi que leurs résultats affichés. Les auteurs soulignent à juste titre qu’il y a le plus souvent un décalage entre les études théoriques et les études empiriques, et que les commentaires géné- ralement fournis pour l’interprétation des sondages souffrent d’une grande pauvreté. Il est extrêmement important de contrôler les types d’inter- uploads/Philosophie/ anso-042-0609.pdf

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