LE CORPS, ENTRE PULSIONS ET SUBLIMATIONS OU D'UN CONTINUUM SUBLIMATOIRE Marion
LE CORPS, ENTRE PULSIONS ET SUBLIMATIONS OU D'UN CONTINUUM SUBLIMATOIRE Marion Péruchon, Isabelle Orgiazzi Billon-Galland De Boeck Supérieur | « Cahiers de psychologie clinique » 2008/1 n° 30 | pages 39 à 58 ISSN 1370-074X ISBN 9782804157876 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-psychologie-clinique-2008-1-page-39.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Comme Freud l’a fait remarquer, les artistes se révèlent être souvent de fins psychologues en témoignant une profonde connaissance de la nature humaine et de la psyché dont l’acti- vité s’avère indispensable à la création. Paul Claudel, en écri- vant « Ce n’est pas l’esprit qui est dans le corps, c’est l’esprit qui contient le corps, et qui l’enveloppe tout entier », recoupe admirablement la théorie freudienne – revue par André Green (Donnet J.L. et Green A., 1973) – de la genèse du travail psy- chique, pré-requis de la sublimation. En effet, cette théorie psychanalytique nous montre comment la psyché se développe à partir des pulsions via l’affect et les représentations de chose (sensorielles et visuelles) d’abord, puis vers les représentations de mot, niveaux de plus en plus évolués incarnant les symboles et enfin la pensée avec leur enchaînement secondarisé. * Marion Péruchon, maître de conférences à l’université René Descartes (Paris V), laboratoire de Psychologie clinique et pathologique, 71 av. Edouard Vaillant, 92774 – Boulogne-Billancourt. ** Isabelle Orgiazzi / Billon-Galland, maître de conférences à l’université Pierre Mendès France (Grenoble II), Saint- Martin d’Hères, 38040 – Grenoble cedex 9. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 11/01/2021 sur www.cairn.info (IP: 102.157.168.76) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 11/01/2021 sur www.cairn.info (IP: 102.157.168.76) 40 Le corps, entre pulsions et sublimations ou d’un continuum sublimatoire Ayant fait ses preuves, ce modèle génétique de transforma- tion pulsionnelle – qui part des sens pour aller vers le sens – fait ressortir un système de relations et d’emboîtements où les représentations de mot contiennent les représentations de chose, celles-ci contenant à leur tour les affects qui eux-mêmes englobent les pulsions, fondement de cette évolution psychi- que s’enracinant dans le soma. C’est ainsi, pourrions-nous dire, que tout comme la sublimation contient le soma et les pulsions en les transformant mais avec, à l’heure actuelle et notamment avec l’art contemporain, plus ou moins de bon- heur ou avec plus ou moins de travail psychique laissant le corps et les pulsions s’exprimer franchement – ce qui ne man- que pas de remettre en question le concept même de sublima- tion. Faut-il alors encore dans ces cas-là parler de sublimation que connotent la distanciation par rapport à la pesanteur de la réalité corporelle et le travail psychique loin des pulsions ? Ou faut-il distinguer plusieurs niveaux de sublimation engageant, à divers degrés, le travail psychique comme nous souhaite- rions le faire ici à travers un continuum de conduites sublima- toires ? Mais avant de nous plonger au cœur de ce continuum qui va de l’expression pulsionnelle à une élaboration mentale poussée, nous ferons un rapide et heuristique survol de la théorie de la sublimation dont nous pointerons les axes fondamentaux, pro- pres à rendre compte de l’économique et de la dynamique, et dont le socle freudien, bien connu mais insuffisamment déve- loppé, nous semble incontournable. L’essence de la sublimation La sublimation préside, remarque André Green, à une série de transformations (A. Green, 1993) : Commençons par son étymologie : emprunté à la chimie, comme nous le savons, ce concept freudien renvoie à une métamorphose essentielle qui recouvre le passage d’un corps de l’état solide à l’état gazeux en court-circuitant l’état liquide. Sans doute l’état le plus solide et archaïque se caractérise- t-il par cette excitation corporelle qui doit d’abord se couler © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 11/01/2021 sur www.cairn.info (IP: 102.157.168.76) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 11/01/2021 sur www.cairn.info (IP: 102.157.168.76) Le corps, entre pulsions et sublimations ou d’un continuum sublimatoire 41 dans les rets de l’élaboration pulsionnelle avant de s’engager sur la voie sublimatoire (P. Denis, 2004) – l’excitation corpo- relle donnant lieu à des passages à l’acte ou à des somatoses. Mais la définition freudienne de la sublimation s’impose avant toutes choses : celle-ci s’étaye sur une dérivation ou un détournement de la pulsion – qu’elle soit sexuelle ou agres- sive – vers un but non sexuel ou non destructeur via un nouvel objet socialement valorisé (S. Freud, 1923). Ce déplacement d’énergie ayant trait à un changement de but et d’objet (but et objet non sexuels ou non agressifs) apparaît comme la pièce maîtresse de cette transformation. Et pour insister sur le sort que subit cette énergie, nous citerons à ce propos l’éclatante formulation de Christian David : « Il ne reste dans le sublimé ni le but, ni l’objet, ni même la source de la pulsion » (C. David, 1997, p. 143) de sorte que nous ne retrouvons qu’une énergie désexualisée ou « désagressivée » dans le réel, mise alors sym- boliquement au service de l’activité créatrice. Cependant, cette transformation exige une étape intermé- diaire, celle du retrait de la libido sur le moi, soit le passage obligé par le narcissisme. Ce désinvestissement objectal, au profit d’une centration narcissique, n’est somme toute jamais total puisque le travail de l’œuvre consiste, dirait André Green, en un retour sur les traces de l’objet primaire – l’acte créateur mettant le moi en contact avec le noyau maternel (A. Green, 1982) ou avec l’objet originel – objet à partir duquel se tissent l’élaboration mentale et la symbolisation. Nous voilà parvenus au travail proprement dit de l’œuvre qui se trame « à partir des traces investies dans la psyché » (A. Green, 1982, p. 173). C’est alors souligner combien cette réalisation requiert l’intériorisation, tout comme des limites psychiques suffisamment établies pour en permettre la sym- bolisation, dimension intrinsèque à la sublimation et vecteur là aussi de transformation. Car c’est bien lorsque se substitue, à l’objet originel, un nouvel objet qui en assimile certaines singularités, tout en s’en différenciant (J. Guillaumin, 1974), que le symbolique, dans la création, advient. Nous serions aussi tentés d’exprimer cette dynamique sym- bolique en recourant aux termes de contenu manifeste, cons- cient, et de contenu latent, inconscient celui-là, à la manière du rêve, mais cette conception fait trop peu ressortir le poids © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 11/01/2021 sur www.cairn.info (IP: 102.157.168.76) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 11/01/2021 sur www.cairn.info (IP: 102.157.168.76) 42 Le corps, entre pulsions et sublimations ou d’un continuum sublimatoire de l’objet. Plus précise est la pensée de Jean Guillaumin qui affirme, toujours à propos de la sublimation, qu’il s’agit là d’une « figuration consciente forte qui, par son organisation intime, correspond à la structure de la représentation incons- ciente de l’objet ou des objets symbolisés » (J. Guillaumin, 1974, p. 223) ; il ajoute aussi le fait que le symbole récolte dans son creuset l’essentiel de l’objet de référence qui polarise sur lui des investissements adressés à l’objet. Enfin, « lieu d’alliance et de correspondance », le symbole traite ou métabolise l’énergie pulsionnelle – qu’elle soit sexuelle ou agressive – en constituant de surcroît « un lien entre la conscience et l’inconscient des hommes » (J. Guillaumin, 1974, p. 224). Quoi qu’il en soit, corrélats du processus sublimatoire, symbolisation et désexualisation témoignent d’une « dématé- rialisation » ou d’une « spiritualisation » (A. Green, 1983) dont le lien avec les instances idéales saute aux yeux, ne serait-ce que par l’étymologie du concept même de sublimation corro- borant élévation et purification sans compter la haute valeur sociale qui y est systématiquement attachée (S. Freud, 1905). En s’apparentant à l’objet idéal (A. Green, 1993), le su- blimé dénonce encore une autre transformation, celle ayant affaire au déplacement de l’idéalisation de l’objet sexuel à l’objet de la création voire à l’activité sublimatoire. Mais le moi idéal joue aussi un rôle non négligeable dans le travail de l’œuvre. Non seulement cette instance archaïque octroie une revanche sur les souffrances et les frustrations de la vie mais elle autorise également la transgression uploads/Philosophie/ le-corps-entre-pulsions-et-sublimations-ou-d-x27-un-continuum.pdf
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- Publié le Mar 02, 2021
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