Formation image et médias L’approche sémiologique Jean-Claude Domenjoz Ecole de
Formation image et médias L’approche sémiologique Jean-Claude Domenjoz Ecole des arts décoratifs jean-claude.domenjoz@edu.ge.ch Contribution présentée dans le cadre de la session I du dispositif de formation 1998-1999 «catégories fondamentales du langage visuel» Septembre 1998 Sommaire Origine et objet de la sémiologie ....................................................................... 2 Approche du concept de signe .......................................................................... 9 Application d’un modèle sémio-linguistique au message visuel: les rapports syntagmatiques et paradigmatiques ............................................ 15 Intérêt de l’approche sémiologique ................................................................. 25 Bibliographie succincte..................................................................................... 26 L’approche sémiologique JCD # Septembre 1998 1 Origine et objet de la sémiologie Le terme «sémiologie» peut être défini, en première approche, comme la théorie ou la science des signes (du grec séméion «signe» et de -logie du grec -logia «théorie», de logos «discours»). On peut faire remonter le terme de sémiologie jusqu’à l’Antiquité grecque où l’on trouve une discipline médicale qui vise à interpréter les symptômes par lesquels se manifestent les différentes maladies (la séméiologie ou symptomatologie). Il semble que, dans le domaine de la philosophie, la problématique du signe apparaisse formellement en Occident chez les Stoïciens (III e siècle av. J.-C.) dans la théorie du syllogisme comme reliant le mot à la chose (entité physique, événement, action). Le philosophe John Locke (1632-1704) est le premier à utiliser le terme de sémiotique (sémiotikè) au sens de «connaissance des signes» et à envisager l’importance pour la compréhension du rapport de l’homme au monde de ce domaine d’étude. Il écrit: «[…] je crois qu’on peut diviser la science en trois espèces. […] la troisième peut être appelée sémiotique ou la connaissance des signes […] son emploi consiste à considérer la nature des signes dont l’esprit se sert pour entendre les choses, ou pour communiquer la connaissance aux autres. Car puisqu’entre les choses que l’esprit contemple il n’y en a aucune, excepté lui-même, qui soit présente à l’entendement, il est nécessaire que quelque chose se présente à lui comme figure ou représentation de la chose qu’il considère, et ce sont les idées. Mais parce que la scène des idées qui constitue les pensées d’un homme, ne peut pas paraître immédiatement à la vue d’un autre homme, ni être conservée ailleurs que dans la mémoire, qui n’est pas un réservoir fort assuré, nous avons besoin de figures de nos idées pour pouvoir nous entre-communiquer nos pensées aussi bien que pour les enregistrer pour notre propre usage. Les signes que les hommes ont trouvé les plus commodes, et dont ils ont fait par conséquent un usage plus général, ce sont les sons articulés. C’est pourquoi la considération des idées et des mots, en tant qu’ils sont les grands instruments de la connaissance, fait une partie assez importante de leurs contemplations, s’ils veulent envisager la connaissance humaine dans toute son étendue» 1. Les vocables de «sémiologie» et de «sémiotique» sont souvent aujourd’hui employés indifféremment dans un grand nombre de situations. Toutefois, en janvier 1969, le comité international qui a fondé l’«Association internationale de sémiotique» a accepté le terme de «sémiotique» comme celui recouvrant toutes les acceptions de ces deux vocables, sans toutefois exclure l’emploi de «sémiologie». En France, le terme de «sémiotique» est le plus souvent employé dans le sens de «sémiotique générale», alors que l’emploi du terme «sémiologie» renvoie tout à la fois à des sémiotiques spécifiques (par exemple, la sémiologie de l’image envisagée comme théorie de la signification de l’image) et à leurs applications pratiques (la sémiologie de l’image comme analyse de documents utilisant les moyens de la sémiotique). 1. John LOCKE, Essai philosophique concernant l’entendement humain, livre IV, chapitre XXI, Vrin, 1972. L’approche sémiologique JCD # Septembre 1998 2 Cependant, si ces deux termes ont la même origine étymologique (le vocable grec séméion), ils renvoient à des traditions scientifiques différentes. Bien que la réflexion sur les signes et la signification a été envisagée à différentes époques de l’histoire, on peut considérer que l’apparition de la sémiologie moderne remonte à la période couvrant la fin du siècle passé et le début de celui-ci avec les travaux, menés indépendamment, de Ferdinand de Saussure à Genève et de Charles Sanders Peirce en Amérique. En Amérique Pour le philosophe et scientifique américain Charles Sanders Peirce (1839- 1914), la sémiotique est un autre nom de la logique: «la doctrine formelle des signes». On peut dire très schématiquement que son projet a consisté à décrire de manière formelle les mécanismes de production de la signification et à établir une classification des signes. Le philosophe n’a pas écrit d’ouvrage spécifique sur ce sujet. Sa pensée nous est donnée par une multitude de textes (articles, lettres, conférences) rédigés à différentes époques (dès 1867) qui n’ont été rassemblés et publiés qu’à partir de 1931. C. S. Peirce liait la sémiotique au domaine de la logique dont il avait contribué au développement (méthode des tables de vérité du calcul des propositions notamment). Dans cette perspective, la sémiotique peut être définie comme la théorie générale des signes et de leur articulation dans la pensée. En effet, selon l’approche de C. S. Peirce, la sémiotique est envisagée comme une philosophie de la représentation: «[…] je suis, autant que je sache, un pionnier ou plutôt un défricheur de forêts, dont la tâche de dégager et d’ouvrir des chemins dans ce que j’appelle la sémiotique, c’est-à-dire la doctrine de la nature essentielle et des variétés fondamentales de semiosis [le procès du signe] possibles […]» 2. Mais Pierce envisage aussi le signe comme élément d’un processus de communication, au sens non de «transmettre» mais de «mettre en relation» 3 : «Par signe j’entends tout ce qui communique une notion définie d’un objet de quelque façon que ce soit […]» 4. Pour Charles Morris (logicien et philosophe américain), dont les recherches prolongent celles de Peirce, la sémiotique est à la fois une science parmi les sciences (la science des signes) et un instrument de celles-ci. Car ce qu’étudient les sciences expérimentales et humaines, ce sont les phénomènes 5 en tant qu’ils signifient, soit des signes. Chaque science se sert des signes et exprime ses résultats au moyen de ceux-ci. C. Morris envisage la sémiotique comme une 2. Charles Sanders PEIRCE, Ecrits sur le signe, Paris, Seuil, 1978, p. 135 (vers 1906). 3. Du latin communicare «être en relation avec», «mettre en commun». 4. Charles Sanders PEIRCE, ibid., p. 116 (vers 1903). 5. Tout ce qui est objet d’expérience possible et qui apparaît dans l’espace et dans le temps. L’approche sémiologique JCD # Septembre 1998 3 métascience 6, qui aurait comme champ de recherche l’étude de la science par l’étude du langage de la science. En Europe Le terme «sémiologie» se rattache à la tradition du linguiste genevois Ferdinand de Saussure (1857-1913) qui en a indiqué le champ possible au début du siècle dans son cours de linguistique générale: «La langue est un système de signes exprimant des idées, et par là, comparable à l’écriture, à l’alphabet des sourds-muets, aux formes de politesse, aux signaux militaires, etc. Elle est seulement le plus important de ces systèmes. On peut concevoir une science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale ; […] nous la nommerons sémiologie […]. Elle nous apprendrait en quoi consistent les signes, quelles lois les régissent. Puisqu’elle n’existe pas encore, on ne peut dire ce qu’elle sera; mais elle a droit à l’existence, sa place est déterminée d’avance. La linguistique n’est qu’une partie de cette science générale, les lois que découvrira la sémiologie seront applicables à la linguistique […] La tâche du linguiste est de définir ce qui fait de la langue un système spécial dans l’ensemble des faits sémiologiques» 7. La sémiologie prend donc son origine dans la linguistique qui, pour F. de Saussure, devait à terme être intégrée dans la science dont il donnait le programme: «étude de la vie des signes au sein de la vie sociale». Cette science générale des signes avait vocation à porter sur les systèmes signifiants verbaux et non verbaux et devait constituer une théorie scientifique de la signification. En linguistique, F. de Saussure rompt avec la tradition diachronique de l’étude de la langue pour la considérer dans une approche synchronique comme un système. Il oppose la langue (le modèle) à la parole (le phénomène). La langue est envisagée alors comme un ensemble de conventions dont le sujet parlant fait usage pour communiquer avec ses semblables par la parole. Il conçoit la langue comme un système autonome structuré constitué d’un ensemble de relations susceptibles d’être décrites de manière abstraite et dont les éléments n’ont aucune réalité indépendamment de leur relation à la totalité 8. En étudiant la langue, F. de Saussure fonde la méthodologie «structuraliste» qui sera appliquée par la suite à d’autres types de faits culturels et sociaux que les faits de langue. Le terme «sémiologie» renvoie donc à toute une tradition européenne active dans le champ des sciences humaines et sociales. Sous l’impulsion de Roland Barthes (1915-1980), la recherche en sémiologie a connu en France un développement important dès le milieu des années 6. Du grec meta qui signifie ici «ce qui dépasse, englobe». 7. Ferdinand de SAUSSURE, Cours de linguistique uploads/Philosophie/ approche-semiologique-pdf.pdf
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- Publié le Mai 22, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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