Raison présente La psychanalyse est-elle rationaliste ? René Zazzo Citer ce doc
Raison présente La psychanalyse est-elle rationaliste ? René Zazzo Citer ce document / Cite this document : Zazzo René. La psychanalyse est-elle rationaliste ?. In: Raison présente, n°55, 2e trimestre 1980. Raisons rationalités rationalismes. pp. 43-48; doi : https://doi.org/10.3406/raipr.1980.2080 https://www.persee.fr/doc/raipr_0033-9075_1980_num_55_1_2080 Fichier pdf généré le 15/03/2019 LA PSYCHANALYSE EST-ELLE RATIONALISTE? René Zazzo La psychanalyse est-elle rationaliste ? Chacun de ces deux mots-clés peut être entendu très diversement. D'une façon générale le rationalisme est cette conviction selon laquelle : 1) toute réalité a ses raisons quand bien même elle apparaîtrait comme irrationnelle, comme déraisonnable (ses raisons, c'est-à-dire ses causa¬ lités, ses lois de production, ses conditions d'existence) ; 2) la raison humaine est capable en principe de saisir les raisons des choses. De tou¬ tes choses, biologiques, psychiques, sociales aussi bien que physiques. De toutes choses, même celles où intervient la durée d'une genèse ou la temporalité de l'histoire. Bien sûr cette conviction, cet optimisme, peut paraître démenti par nos échecs, même s'il s'agit de la physique. Emile Meyerson, le célèbre épistémologue, constatait à propos des attributs contradictoires de la lumière, onde et corpuscule, « que le réel ne se laisse pas ramener aux exigences de notre raison, que l'on se heurte à un irrationnel ». Selon lui le réel est un réservoir d'irrationalité. Il en serait ainsi si l'on considérait la raison comme donnée une fois pour toutes, immuable. Au regard du nouvel esprit scientifique, la raison se forme et se transforme dans ses luttes avec le réel. Elle ne légifère pas au nom d'un Esprit Souverain, elle n'est pas un cadre a priori de la pensée : mais une activité d'accommodation tout autant que d'assimilation par rapport aux résistances à vaincre, aux problèmes à résoudre. En fin de compte, pour ceux, psychologues et autres, qui ont à vaincre ces résistances, c'est ou bien la limitation de la raison comme chez E. Meyerson, ou bien sa dissolution dans l'irrationalité de ses objets, ou bien sa transformation. Quelle est à cet égard la réponse de Freud ? Quelle est la situation actuelle des psychanalyses, c'est-à-dire des écoles, des multiples cou¬ rants de pensée qui se réclament de lui ? Dans l'annonce de notre colloque nous avons écrit « psychana¬ lyses » au pluriel. Ce n'est évidemment pas par hasard. S'il y a quelque chose de commun à toutes ces écoles ce n'est probablement pas le 43 rationalisme tel du moins que je viens de le définir. L'image actuelle de la psychanalyse, telle du moins qu'on la perçoit à travers les propos de nos étudiants et des mass-media, c'est une philosophie du vécu, de l'intuition, de la subjectivité, une philosophie qu'on oppose aux orientations et aux objectifs de la psychologie scientifique. Alors s'agit-il de développements, de dérives, de ruptures par rap¬ port au projet du père fondateur ? Je doute qu'on puisse répondre totalement à cette question. Mais elle vaut d'être posée. Car dans le monde actuel, dans le climat de nihilisme, de pessimisme, de contre-culture entretenu par nos profes¬ seurs à la mode, le fantôme de Freud nous hante... * #* Freud est mort en septembre 1939, à Londres. Un lieu : celui de l'exil. Une date : la Seconde Guerre mondiale vient d'éclater. Quarante ans bientôt sont passés. Mais nous vivons toujours dans le monde bouleversé par cette guerre. Rien n'est plus et ne sera plus comme avant. Les développements et les éclatements des écoles psychanalytiques, dans quelle mesure étaient-ils en germe dans l'œuvre de Freud? Dans quelle mesure ont-ils été un effet du cataclysme mondial? On sait quel fut l'impact de la guerre de 14 sur l'édifice théorique de Freud : c'est alors qu'a surgi la notion de « pulsion de mort ». On sait aussi que le surréalisme né dans les années 20, comme la rébellion de quelques écrivains anciens combattants, s'est réclamé de Freud, d'ailleurs au grand étonnement de celui-ci. Qu'en est-il aujourd'hui? Les maîtres à penser qui tiennent le devant de la scène sont maîtres à dé-penser, à déraisonner. Lorsque Muldworf écrit dans son ouvrage sur Freud que le monde capitaliste n'a d'autres ressources que de saborder la pensée scientifique et le rationalisme, je lui ferai remarquer que ce sabordage est d'abord le fait d'une certaine intelligentsia qui se veut anticapitaliste. Cela voudrait dire que le monde capitaliste ferait faire son travail par ses adversaires. L'obscurantisme dont il aurait besoin est aujour¬ d'hui, principalement, un obscurantisme de gauche. C'est du beau travail ! La mieux réussie des mystifications idéologiques. Mais revenons aux psychanalyses d'après-guerre. Sur le plan des influences philosophiques il y aurait à considérer l'importance de la phénoménologie, notamment l'influence de Husserl par le truchement de Sartre. Cependant pour la psychanalyse existentielle comme pour les autres écoles il y a lieu de se demander ce qu'elles prennent chez Freud lui- 44 même, si elles n'agissent pas à la manière d'un prisme où se révéle¬ raient, où se décomposeraient les enseignements du Maître. J'énoncerai alors un certain nombre de mots-clés qui vont par cou¬ ple. Mots-clés, pensées par couple, contrariétés rationnelles qui sont pour moi au cœur de l'interrogation freudienne même si Freud lui- même ne les a pas toujours désignés et explicités de cette façon : expli¬ cation et signification, genèse et structure, besoin et désir, concept et métaphore... * ** Je commencerai par quelques brèves réflexions sur le couple expli¬ cation-signification. Ce qui me frappe dans l'œuvre de Freud, ce qui apparaîtra peut- être un jour comme son principal titre de gloire, c'est d'avoir voulu fonder la psychologie sur deux registres : celui de l'explication biolo¬ gique, celui de l'herméneutique ou recherche des significations. Il n'y a pas là deux Freud, deux périodes, celle de la jeunesse et celle de l'âge mûr. Il y a là, du moins à partir de Y Interprétation des Rêves, un effort continu et d'ailleurs sans cesse renouvelé, pour coor¬ donner ces deux registres, pour tenir si j'ose dire les deux bouts de la chaîne. Cet effort s'exprime éminemment par ses constructions qu'il désigne comme métapsychologie (avec ses notions de pulsion, de ça, d'in¬ conscient) et qu'on pourrait tout aussi bien me semble-t-il appeler métabiologie. La métapsychologie est d'intention explicative encore qu'elle puisse d'une certaine façon préparer le passage au champ des significations. Tout son projet, et qui n'a pas varié fondamentalement comme en témoigne Y Abrégé de Psychanalyse, est de comprendre com¬ ment ce qu'on appelle psychisme se construit à partir du biologique. Je ne pense pas qu'il ait réussi, parce qu'il n'est pas parvenu à se débarrasser totalement de l'illusion du psychisme, je veux dire de cette entité qui n'est en somme qu'un avatar laïque de l'âme. Mais qui s'en est vraiment débarrassé, et d'ailleurs comment s'en débarrasser ? Mais Freud du moins a tenté de dissiper cette illusion, parmi d'autres illu¬ sions presque aussi résistantes. Qu'est-il advenu après lui? Chez beaucoup de ses disciples, les deux registres se trouvent de nouveau séparés. S'il m'est permis, s'il est possible, de classer à cet égard la diversité des écoles que je connais, je mettrais aux deux extrémités d'une part le courant que je désignerais brièvement comme darwinien, d'autre part le courant existentiel. Le représentant le mieux connu chez nous du premier courant est John Bowlby. Mais il compte en Angleterre, aux Etats-Unis, au Ca- 45 nada, des dizaines d'hommes éminents qui sont à la fois des praticiens et des chercheurs. Leur champ d'élection est l'enfance, la prime en¬ fance. Au cours des dix dernières années, ils ont apporté une contri¬ bution extrêmement riche à la compréhension du développement. Ils pratiquent l'observation. Ils partent des faits dûment contrôlables pour faire évoluer la théorie. La psychanalyse existentielle est, je crois, beaucoup mieux connue en France, avec Laing, Rollo May, Rycroft... Or les uns et les autres, les « objectivistes » comme les « existentia¬ listes », rejettent la métapsychologie de Freud, mais pour des raisons différentes, j'oserais même dire des raisons inverses. Bowlby et les psychanalystes de même tendance rejettent la méta¬ psychologie plus ou moins vigoureusement parce que les modèles biolo¬ giques qu'elle propose leur paraissent dépassés, infirmés : à la théorie des pulsions (où l'idée initiale d'énergie a viré à la métaphore) Bowlby tente de substituer des modèles cybernétiques. Plus radicalement, toute métapsychologie est rejetée parce qu'inutile. C'est la description et la coordination des faits véritables qu'on lui oppose. Les psychanalystes existentiels la rejettent, au contraire, parce qu'elle est du registre de l'explication, parce qu'elle est causaliste. Il n'est pas possible, disent-ils, de soutenir que le comportement humain a des causes au sens où les phénomènes physiques ont des cau¬ ses. Il n'est pas possible de dire que la personnalité peut être expliquée comme résultat d'événements qui se sont produits dans l'enfance. Ils reprochent à Freud d'avoir négligé l'étude de la conscience au bénéfice de forces, de motifs actuels inconscients, de causes inconscien¬ tes qui appartiennent au passé. C'est l'analyse du vécu, du fantasme, c'est la subjectivité du sujet qui importe. Or la conscience n'est pas un objet de science, tout sim¬ plement parce qu'elle n'est pas un objet. uploads/Philosophie/ zazzo-la-psychanalyse-est-elle-rationaliste.pdf
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- Publié le Apv 05, 2022
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