Eudoxie JANTET Journaliste et écrivaine spécialisée en développement durable Ar

Eudoxie JANTET Journaliste et écrivaine spécialisée en développement durable Article issu d’un mémoire de recherche de Master en géographie à l’Université du Mans sous la direction de Moïse-Tsayem DEMAZE et François LAURENT (année universitaire 2008-2009) eudoxie-jantet@orange.fr Résumé : La pollution de l’environnement, les menaces sur la santé publique et la dépendance économique qu’engendre l’agriculture conventionnelle en Guyane française invitent à repenser le modèle agricole sur ce territoire. Depuis quelques années, certains agriculteurs innovent et se lancent dans une production biologique d’aliments animaux et végétaux. Comment fonctionne leur système de production ? Celui-ci permet-il de résoudre les problèmes de durabilité posés par l’agriculture conventionnelle en Guyane française ? Peut-on espérer très prochainement nourrir tout ce département avec des aliments issus de l’agriculture biologique ? Mots clés : agriculture biologique ; Guyane française ; productions végétales ; productions animales Abstract : Environmental pollution, threat on public health and economic dependence due to conventional and/or intensive farming in French Guiana have led to rethink the agricultural pattern in this overseas department. For a few years, a few farmers have chosen to produce organic. How do they work ? Does the new model they try can solve the problems of sustainability that the actual Guyanese farming faces ? Will all French Guiana be fed with organic food in a near future ? Key words : animal productions ; crop productions ; French Guiana ; organic farming Les timides débuts de l’agriculture biologique en Guyane française L’agriculture, en tant que pourvoyeuse de denrées essentielles à notre survie, joue un rôle prédominant afin que nous assumions la fin inhérente à notre être, selon le philosophe Hans Jonas (Jonas, 1979), notre multiplication. Si nos ancêtres du paléolithique étaient des chasseurs-cueilleurs se nourrissant essentiellement de végétaux (entre 60 et 80% de leur régime alimentaire) et occasionnellement de viande, la révolution agricole du néolithique, entre – 10 000 et – 12 000 ans, a eu des conséquences sur notre rapport à la nature. Bien que la culture des plantes, et par la suite l’élevage, aient permis aux hommes de maîtriser les ressources alimentaires et de produire plus à un endroit donné, l’augmentation des rendements a été acquise grâce à l’invention d’une multitude d’outils et de produits chimiques afin de protéger les cultures et les bêtes (Couplan, 2008). « A force de devoir se battre contre elle, l’agriculteur en est venu à considérer la nature comme une ennemie, tandis que le cueilleur la vivait comme sa mère nourricière ! » souligne François Couplan (Couplan, 2008). Plus personne à l’heure actuelle ne nie que l’agriculture intensive de ces dernières décennies a eu des conséquences très néfastes sur l’environnement et notre santé (Desbrosses, 2006). Dès les années 1920, Rudolf Steiner (1861-1925), précurseur de l’agriculture biologique en Allemagne, avertissait déjà des effets néfastes des engrais chimiques utilisés en excès et conseillait l’utilisation de compost à la place. Dans son ouvrage Le Testament Agricole, écrit en 1940, l’ingénieur agronome britannique Sir Albert Howard (1873-1947) encourage l’association polyculture-élevage et la fertilisation des sols par des composts, deux orientations majeures en agriculture biologique. Dans les années 1960, le suisse Hans Peter Rusch (1906-1977) mit en avant l’importance de l’autonomie de l’exploitation agricole*. Même si la démarche des fondateurs de l’agriculture biologique vise à ne pas dégrader les sols et à ne pas porter atteinte à notre santé, leur préoccupation majeure relève plutôt d’un projet philosophique. Ainsi, leur principal questionnement porte sur l’intervention de l’homme dans les processus naturels, et notamment sur la fertilité des sols. « Pour les fondateurs de l’agriculture biologique, les lois de la chimie agricole, bien que scientifiquement exactes, sont loin de décrire adéquatement les mécanismes naturels de la fertilisation, et, plus profondément, ceux de l’apparition/évolution/disparition de la fertilité » (Besson, 2009). En tant que produit de la nature et producteur de celle-ci, l’être humain se doit de la respecter et d’en imiter le fonctionnement. L’enjeu technique de l’agriculture biologique se situe à ce niveau. Au fond de ce vaste projet, l’idée bouddhiste selon laquelle la biosphère et les êtres humains sont intimement liés est très présente : la santé de l’homme dépend largement de la qualité de l’environnement dans lequel il vit. C’est pourquoi bien souvent les projets des fondateurs de l’agriculture biologique sont holistiques et touchent à d’autres aspects de la vie humaine que le simple domaine agricole. Ainsi, les agriculteurs biologiques, aussi appelés « agrobiologistes », poursuivent le plus souvent un triple objectif écologique et éthique, social et humaniste, et économique. Leurs pratiques agricoles, la manière dont ils envisagent le lien avec les consommateurs et les autres agriculteurs, ainsi que la taille de leur entreprise et les circuits de distribution qu’ils privilégient font d’eux des agriculteurs innovants. « Les agriculteurs biologiques ont une attitude très différente envers la production et la rentabilité, et le succès de la ferme. Ils favorisent davantage la baisse des coûts de production que l’achat d’équipement toujours plus performant et plus onéreux. Ils mettent davantage l’accent sur ce qu’ils ont appris au cours de la saison et qui les aidera à être plus efficaces, et sur ce qu’ils espèrent pouvoir accomplir l’année suivante. Ils valorisent l’autonomie, le fait d’être leur propre patron, de pouvoir consommer leurs propres produits […], de maîtriser leur marché, de fabriquer des produits à valeur ajoutée, et de demeurer moins dépendants de l’extérieur. […] Ces visions alternatives et approches éthiques sont ancrées dans une perspective qui vise à travailler avec le vivant au lieu de le contrôler » (Richardson, 2005). De plus, leurs qualités d’observation du milieu naturel et les savoirs empiriques qu’ils possèdent leur permettent de s’adapter à des contextes divers (Richardson, 2005). Bien souvent les agriculteurs biologiques n’hésitent pas à échanger leurs savoirs entre eux. « Le fait de partager une conception du monde et une éthique de la pratique constitue le principal élément unificateur du groupe des agriculteurs biologiques, […] un autre facteur unificateur est la pénurie de renseignements pratiques sur les méthodes d’agriculture biologique » (Richardson, 2005). Bien que l’agriculture biologique ne se résume pas à un simple changement de pratiques culturales, à l’heure actuelle, de nombreuses études sont menées pour évaluer scientifiquement la pertinence de cette forme d’agriculture au regard des problèmes sanitaires et environnementaux notamment. Il a été montré que l’agriculture biologique, qui a pour objectif de mieux respecter les cycles naturels en employant pour cela diverses techniques agronomiques (la fertilisation organique, la rotation des cultures, une place plus importante donnée aux prairies dans les exploitations d’élevage, l’absence d’utilisation de pesticides, et plus rarement le non-labour), a un effet positif sur l’activité biologique du sol et sa biodiversité (Laurent, 2008). En Suisse, une étude menée par l’Institut de recherche de l’agriculture biologique a montré que la biomasse microbienne est de 20 à 30% supérieure dans les sols cultivés en agriculture biologique. De même, il est dénombré de 30 à 40% de vers de terre en plus, et voire 90% d’araignées supplémentaires (Mayo, 2008). De plus, « l’agriculture biologique induit moins de pollution de l’eau, de l’air, et moins d’érosion des sols, surtout lorsque l’on associe culture et élevage » et « contrairement à l’agriculture productiviste, elle n’est pas destructrice d’humus et d’insectes » (Marc Dufumier in Mayo, 2008). Les taux de nitrates présents dans les eaux souterraines sont aussi très inférieurs. La diversité des paysages est une caractéristique supplémentaire des exploitations agricoles biologiques. Les espaces naturels cultivés et semi-cultivés se côtoient sur les fermes. En outre, l’agriculture biologique, du fait qu’elle n’emploie pas d’engrais azotés, émet moins de gaz à effet de serre (GES) que l’agriculture intensive, et notamment du protoxyde d’azote (N2O), considéré comme bien plus dangereux que le CO2. Les émissions de CO2 sont aussi moindres en agriculture biologique car le compost apporté aux terres permet que celles-ci absorbent plus de CO2 ; les légumineuses cultivées en agriculture biologique sont de bonnes fixatrices des GES. Cette moindre émission de GES a aussi à voir avec le fait que la fabrication et le transport des engrais chimiques sont très demandeurs en pétrole, or ils ne sont pas utilisés en agriculture biologique (Claude Aubert in Mayo, 2008). Quant aux produits eux-mêmes, une évaluation nutritionnelle et sanitaire des aliments issus de l’agriculture biologique a été conduite par l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA) en 2003. Les résultats sont les suivants : par rapport aux produits conventionnels, les produits biologiques ont des teneurs supérieures en matière sèche dans les légumes, magnésium, fer et vitamine C dans certains légumes, polyphénols dans les fruits et légumes, et acides gras polyinsaturés dans les viandes ; les céréales biologiques présentent une meilleure qualité protéique (équilibre en acides aminés essentiels) ; les procédés de transformation utilisés préservent mieux les qualités nutritionnelles des matières premières ; par rapport aux produits conventionnels, les produits biologiques contiennent moins de traces de résidus de pesticides chimiques de synthèse, de nitrates, d’OGM, de métaux lourds, d’additifs et auxiliaires, de mycotoxines, et de médicaments vétérinaires. Enfin, d’un point de vue économique, l’agriculture biologique permet d’économiser le coût des intrants* (essentiellement les produits phytosanitaires), couramment utilisés en agriculture uploads/Philosophie/ article-colloque-eudoxie-jantet.pdf

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