1 Le texte suivant est tiré de Perspectives : revue trimestrielle d’éducation c
1 Le texte suivant est tiré de Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée (Paris, UNESCO : Bureau international d’éducation), vol. XXIII, n° 1-2, 1993, p. 51-68. ©UNESCO : Bureau international d’éducation, 2000 Ce document peut être reproduit librement, à condition d’en mentionner la source. AVICENNE (IBN SINA) (370 h ?/980 ? – 428 h/1037) Abdel Rahman Abdel Rahman Al-Naqib 1 Le présent essai entend exposer les conceptions éducatives d’un penseur arabe dans lequel les anciens comme les modernes s’accordent à voir le plus illustre des philosophes musulmans 2. Ainsi, Al-Dhahbi le considère "le chef de file de la philosophie islamique" 3. Le Père Anawati 4 a recensé ses écrits et la maison d’édition égyptienne Dar al-kutub al-misriyya a publié en 1950, à l’occasion du millénaire de sa naissance, une liste des titres de ses ouvrages et des commentaires s’y rapportant qui ont été conservés. Il suffit de parcourir cette liste, qui contient plus de cent cinquante imprimés et manuscrits couvrant toutes les branches du savoir de son époque, y compris la poésie, pour avoir une idée de l’étendue de la culture qu’Avicenne avait acquise et qu’il nous a léguée. Les écrits les plus célèbres d’Avicenne traitent de philosophie et de médecine. Ses conceptions philosophiques ont occupé les penseurs occidentaux pendant plusieurs siècles et ses ouvrages figuraient parmi les sources philosophiques les plus importantes. En médecine, son Canon (Al-Qânûn), traduit en latin à la fin du XII e siècle de l’ère chrétienne est demeuré une référence pour les étudiants de médecine des universités européennes jusqu’à la fin du XVII e siècle 5. Avicenne a, hier comme aujourd’hui, retenu l’attention des chercheurs qui se sont intéressés aux différents aspects de son œuvre et lui ont consacré livres, essais et articles. Un aspect a cependant été quelque peu négligé, celui de ses conceptions en matière d’éducation et d’enseignement. Bien que ce qu’il a écrit sur le sujet représente en fait peu de chose au regard du nombre de ses autres écrits et de l’abondance de sa production, il n’en demeure pas moins qu’il aborde les mêmes problèmes que ceux auxquels sont confrontés les éducateurs. Il parle de l’individu, de la société, de la connaissance et des mœurs. Il consacre à l’éducation une épître intitulée "La politique" et traite longuement de l’éducation de l’enfant dans le Canon. Il apparaît ainsi comme l’incarnation même de la rencontre entre philosophie et éducation; l’éducateur et le philosophe sont confrontés aux mêmes problèmes : le vrai, le bien, la nature du monde, le sens de la connaissance, la nature de l’homme…. Le résultat de cette rencontre c’est qu’Avicenne le philosophe a son opinion sur l’éducation et l’enseignement. Si l’on ajoute à tout cela qu’il a effectivement pratiqué l’enseignement pendant une durée non négligeable, on voit que l’on est en présence d’un philosophe dont la philosophie s’est transformée en une théorie de l’éducation qu’il a lui-même appliquée. Il s’agit d’une théorie originale, reposant sur des fondements philosophiques bien définis, comme nous le verrons dans cette étude. L’homme et son époque Le Cheikh al-raïs sharaf al-mulk Abu Ali al-Husayn b. Abd Allah b. al-Hasan b. Ali Ibn Sina (Connu en Europe sous le nom d’Avicenne) est né dans le village d’Afshana, près de Boukhara, en 370H/980, semble-t-il 6, dans une famille ismaïlienne qui s’intéressait aux sciences spéculatives et aux études philosophiques, ce qui a influé sur la vie scientifique d’Avicenne 7. Avicenne vécut donc au IV e siècle de l’hégire, période du règne abbasside la plus florissante du point de vue des sciences et de la connaissance, même s’il n’en allait pas de même sur le plan 2 politique. Le marché du savoir était en plein essor, les savants abondaient et les bibliothèques étaient emplies de la production du génie des savants musulmans et des traductions des œuvres des savants des autres nations établies sur ordre des califes et des vizirs. L’année 370H/980, qui voit naître Avicenne, et celles qui la suivent marquent l’apogée de la culture arabo-islamique. Comme la langue arabe était à cette époque l’instrument du savoir et le moyen d’expression permettant de le perpétuer, Avicenne l’apprit auprès d’Abu Bakr Ahmad b. Muhammad al-Barki al-Khwarizmi. A peine eut-il acquis cet instrument du savoir que son père lui donna un maître pour le Coran et un autre pour les belles-lettres (adab). L’enfant consacra toute son attention à ses deux maîtres et il n’avait pas encore dix ans qu’il était déjà venu à bout du Coran et d’une grande partie des belles-lettres au point de susciter un grand étonnement, comme il le rapporte lui-même 8. Puis il développa un penchant pour la philosophie, la géométrie et le calcul indien et son père l’adressa alors à Mahmoud "al-Masah" (le géomètre) qui était versé dans le calcul, l’algèbre et l’étude du mouvement des planètes comme le note Al-Beyhaki 9. De même, il étudia le fiqh [droit musulman] et le soufisme auprès d’Ismaïl al-Zahid al-Bukhari. Dès que le philosophe Abu Abdallah al-Natli vint à Boukhara, le père d’Avicenne l’hébergea dans l’espoir qu’il initierait son fils aux études spéculatives. Et si al-Natli réussit une chose, ce fut de détourner le jeune Avicenne des études sur le fiqh et le soufisme pour l’orienter vers les sciences théoriques et les études philosophiques. Peu de temps après, le maître se rendit compte que l’élève n’avait plus besoin de lui. Poussé par sa soif d’apprendre, Avicenne s’absorba dans l’étude des sciences de la sagesse, puis il se passionna pour les sciences médicales à tel point qu’il ne tarda pas à surpasser les savants de son époque. « Puis, dit-il, je m’adonnai à la médecine et je me mis à lire les ouvrages composés sur cette science ; comme la médecine n’est pas une des sciences difficiles, j’y montrais promptement ma supériorité, si bien que des médecins éminents l’étudièrent sous ma direction; de plus, pratiquement, je donnai mes soins aux malades; ainsi, les portes du traitement fondé sur l’expérience s’ouvrirent devant moi, d’une manière indescriptible. 10 » Il ne se contenta pas d’une étude théorique des sciences médicales, il les mit en pratique par amour du bien et pour mettre la science à profit. Tout cela alors qu’il n’avait encore que seize ans. Durant une année et demie, il s’attacha de plus en plus à l’étude. Il se remit à celle de la logique et de toutes les parties de la philosophie. Il poussa ses efforts le plus loin possible pendant cette période au point de ne pas dormir une seule nuit entière et de ne s’occuper toute la journée que de l’acquisition des sciences. Et il n’avait pas atteint dix-huit ans qu’il avait déjà acquis une réputation de savant dans les études philosophiques et les connaissances médicales 11. Comme le montre sa biographie, Avicenne assimilait vite, il avait une très grande mémoire et la plume facile. A vingt et un ans, pour répondre à la demande de certains de ses élèves, il rédigea un livre, le majmu [compendium], dans lequel il aborde toutes les sciences spéculatives, à l’exception des mathématiques. L’instabilité de la situation politique en Transoxiane, l’obligation dans laquelle il se trouvait de changer souvent de lieu de résidence et les fonctions de ministre qu’il exerça auprès de certains princes, tout cela ne l’empêcha pas de pratiquer la science, tant à son profit qu’à celui des autres. Il avait ses élèves et ses cercles d’études partout où il allait et il en fut ainsi jusqu’à sa mort, survenue un vendredi du mois de Ramadan de l’an 428 de l’hégire. Il fut inhumé à Hamadan 12 Fondements philosophiques de la conception avicenniene de l’éducation SA CONCEPTION DE L’ÊTRE HUMAIN L’être humain, pour Avicenne, est l’expression du secret (sirr) et du patent (alin). Le patent nous est connu et il est tangible ; il s’agit de ce corps humain perceptible, avec ses organes et ses gamètes. 3 « Les sens renseignent sur son extérieur tandis que la dissection permet d’en connaître l’intérieur ; quant à son secret, il est constitué par ses facultés mentales. 13 » Ce sont ces facultés mentales de l’être humain qui le meuvent et font qu’il s’acquitte de ses différentes fonctions et a le comportement qui est le sien en tant qu’être humain. Cet homme avicennien, en tant que corps tangible quant à son extérieur et révélé par la dissection quant à son intérieur — ainsi qu’il apparaît dans des ouvrages tels que le Canon — nous n’éprouvons aucune difficulté à l’accepter. Restent les facultés mentales qui font se mouvoir ce corps. Les facultés mentales et leurs fonctions. Avicenne range ces facultés dans trois groupes : • D’abord, le groupe des facultés végétales, qui sont communes à l’être humain et aux plantes, et concernent la survie de l’être humain, son développement par l’alimentation et la conservation de son espèce par la reproduction. Elles englobent les trois facultés suivantes : faculté de nutrition, faculté d’accroissement et faculté de génération 14. • Vient ensuite le groupe des facultés animales par lesquelles les animaux sont supérieurs aux plantes et qui sont communes à l’être humain et aux animaux. uploads/Philosophie/ avicennf-ibn-sina 1 .pdf
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- Publié le Mai 11, 2022
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