Bases neurologiques des troubles spécifiques d'apprentissage La notion de troub
Bases neurologiques des troubles spécifiques d'apprentissage La notion de troubles spécifiques d'apprentissage et son corollaire, l'étude des mécanismes neurobiologiques à leur origine, se sont développés dans le monde scientifique anglo-saxon à partir des années 60, avant d'être acceptés, de manière plus ou moins consensuelle, dans les milieux éducatifs des autres pays du nord de l'Europe, puis enfin, en France et dans les autres pays de culture latine. Cette évolution inégale des idées selon les cultures est un phénomène intéressant en soi, mais que nous ne discuterons pas ici, si ce n'est pour souligner que les récentes directives communes des ministères français de l'éducation et de la santé ont finalement et définitivement dissipé toute polémique en reconnaissant la spécificité du problème, du moins en ce qui concerne les troubles du langage (qui en représentent à la fois la forme la plus fréquente et la plus largement étudiée). L'accession de la dyslexie au statut de dysfonction cognitive susceptible d'être à l'origine d'un handicap a été un événement marquant de ces dernières années, dont une des répercussions a été de donner un élan considérable à la recherche scientifique consacrée aux troubles d'apprentissage. En retour, nous assistons actuellement à l'émergence d'une véritable recherche appliquée, avec comme objectif de mettre au point, à l'aide des outils et de la méthode scientifique moderne, de nouvelles méthodes thérapeutiques à l'efficacité certes pour le moment partielle, mais, fait notable, scientifiquement validée. Dans ce chapitre, nous envisagerons successivement la mise en place et la définition des concepts, les principales données de la recherche neurologique dans le domaine, avant de présenter les principales théories actuelles, leurs fondements expérimentaux, et les voies de recherche future qu'elles peuvent susciter. Troubles spécifiques d'apprentissage : quelques concepts Historiquement, la notion de trouble spécifique d'apprentissage (TSA), en anglais « specific learning disorder (SLD)», repose sur deux fondements théoriques et empiriques : le premier est la conception d'une organisation modulaire de la cognition, introduite par l'américain Fodor (1983), et faite sienne par une discipline médico-scientifique alors encore naissante, la neuropsychologie. Basée sur l'observation de patients souffrant de troubles mentaux ou cognitifs à la suite de lésions focales du cerveau, la neuropsychologie a fourni des preuves tangibles que l'organisation de la pensée dans le cerveau, dans la mesure où l'on accepte d'étudier de façon séparée des fonctions qui de toute façon, et sans contestation possible, ne peuvent pas exister isolément, cette organisation, donc, se fait de manière doublement modulaire : d'une part des modules cognitifs, représentations abstraites des différents secteurs de la pensée, et d'autre part des modules cérébraux, circuits ou ensembles de circuits censés sous-tendre le fonctionnement de ces modules cognitifs. Beaucoup plus récemment, le caractère doublement modulaire de cette organisation a reçu d'innombrables et éclatantes confirmations par les résultats de plus en plus précis fournis par les méthodes modernes d'imagerie fonctionnelle du cerveau (voir par exemple : Dehaene, 1997), dont nous serons amenés à reparler plus loin. Pour le moment, remarquons seulement que la notion même de circuits spécifiques sous- tendant des parties spécifiques de la pensée s'applique de manière imparfaite au cerveau de l'enfant, incitant à garder à l'esprit que les modules décrits chez l'adulte sont globalement et généralement moins bien différenciés et moins précis dans leurs relations réciproques sur le cerveau en voie de maturation. Cette remarque est d'autant plus valide que l'enfant est plus jeune, bien entendu. En tout état de cause, même en tenant compte de cette restriction, on ne peut qu'admettre le caractère inné, génétiquement programmé, de cette organisation modulaire, ce qui permet, par voie de conséquence, de concevoir le caractère également modulaire, circonscrit, de la dysfonction, lorsqu'elle survient. La deuxième notion historique à l'origine de nos conceptions actuelles sur les troubles d'apprentissage est celle de « minimal brain damage », issue de l'observation purement médicale d'enfants présentant de très discrets signes neurologiques suggérant que leur trouble d'apprentissage pouvait être mis ainsi en relation avec une dysfonction organique, volontiers attribuée à un problème médical péri-natal ayant endommagé ou entravé le développement de certaines zones du cerveau (voir Whitmore et al., 1999, pour un rappel historique de ces concepts). Actuellement, le concept de « minimal brain damage » n'est guère plus utilisé que dans certaines pathologies psychiatriques et dans l'explication de certains syndromes d'hyperactivité. Pour tous les autres types de troubles spécifiques d'apprentissage, la notion de lésion minime a largement cédé la place à la conception de mise en place défectueuse, en grande partie d'origine génétique, de certains circuits cérébraux. Définitions et cadre clinique Bien que le cadre des troubles spécifiques d'apprentissage soit plus ou moins extensible selon les équipes qui l'utilisent, plusieurs points doivent être gardés à l'esprit pour bien comprendre ce que possèdent en commun les différents syndromes qui seront cités plus bas. En premier lieu, et c'est ce qui justifie le terme, particulièrement crucial, de « spécifique », les différents troubles d'apprentissage dont il est question ici partagent le critère général d'absence de déficit intellectuel tel que mesurable par les méthodes classiques d'évaluation du quotient intellectuel (QI). Bien que sa pratique remonte au début du siècle dernier et que son interprétation dans certains contextes ait, à juste titre, fait émettre bien des réserves, la mesure du QI reste un élément fondamental autant pour le diagnostic des troubles d'apprentissage que pour permettre au clinicien d'émettre un pronostic et d'orienter la thérapeutique. Deux exemples : dans la plupart des cas de troubles d'apprentissage du langage, quelle qu'en soit la forme, le profil intellectuel est caractérisé par une dissociation des deux notes constitutives du QI, la note verbale, parfois très basse, et la note non-verbale (ou performance) généralement normale, seule cette dernière fournissant une idée fiable de la véritable intelligence d'un enfant dyslexique. Il est important dès lors de se pencher précisément sur l'écart entre les deux notes, et considérer que l'enfant est d'intelligence normale et mérite une rééducation intensive qui devrait lui assurer un avenir à la hauteur de sa véritable intelligence. Prenons l'exemple inverse d'un enfant dont le QI est au-dessus de 135, le plaçant, selon les conventions courantes, parmi la population des « intellectuellement précoces ». Si l'on s'en tient à ses facilités à suivre en classe et à son quotient intellectuel global, cet enfant sera sans doute considéré comme ne nécessitant pas de rééducation spécifique. En revanche, si on y regarde de plus près, il n'est pas rare qu'on décèle des dissociations au sein des différentes épreuves du QI, ce qui doit faire considérer les plus basses d'entre elles, même si leur valeur est encore dans la fourchette de la normalité, comme insuffisantes et méritant donc un travail spécifique destiné à tenter de les amener le plus près possible du niveau des épreuves les mieux réussies. En général, ce sont ici au contraire du cas précédent, certaines épreuves non verbales qui sont moins bien réussies, méritant ainsi une rééducation spécifique. Ces deux exemples illustrent en fait la notion de modularité appliquée aux troubles d'apprentissage : c'est en concevant le système cognitif de l'enfant comme fait de plusieurs sous-systèmes dont certains peuvent être totalement intacts, qu'on peut réellement comprendre la nature même du trouble et par voie de conséquence les voies de remédiation adaptées à chaque cas. Le dernier exemple illustre aussi un autre point de la définition des troubles spécifiques d'apprentissage : ces derniers ne sont en aucun cas synonymes d'échec scolaire : non seulement un enfant peut être en échec scolaire pour de nombreuses autres raisons que les troubles constitutionnels dont il est question ici, mais, à l'inverse, un déficit démontrable de façon formelle peut n'être responsable, au moins en apparence, d'aucun signe d'échec, et pourtant justifier une rééducation. Une fois admis le principe de base de la normalité du QI, le clinicien va se trouver confronté à des syndromes fort différents selon la nature du ou des systèmes neuro-cognitifs déficitaires. La figure 1 résume une conception moderne des troubles spécifiques de l'apprentissage. Figure 1 : la « constellation » dyslexie : divers syndromes peuvent être associés au trouble de la lecture avec lequel ils partagent des mécanismes communs La dyslexie, déficit spécifique de l'apprentissage de la lecture, est de loin la forme la plus fréquente, probablement parce que la lecture est, parmi les fonctions cognitives qui peuvent être spécifiquement altérées, celle qui retentit le plus nettement à court et long terme, sur les aptitudes académiques . On distingue habituellement les dyslexies phonologiques, de loin les plus fréquentes, qui relèvent d'une dysfonction des circuits du langage de l'hémisphère gauche, au même titre que des troubles du langage proprement dits, dysphasie, mais aussi tous les troubles moins sévères tels que retard articulatoire, faiblesse du vocabulaire ou de la fluence verbale. L'élément fondamental, liant de façon indissoluble dyslexie et langage oral, est l'observation quasi-constante, chez l'enfant dyslexique, de difficultés dites « métaphonologiques » traduisant le mauvais fonctionnement d'un système dont on connaît actuellement parfaitement à la fois les mécanismes cognitifs et les zones du cerveau qui les contrôlent. Ces dernières sont situées dans deux petites régions, l'une frontale inférieure (aire de Broca) et l'autre pariétale inférieure de l'hémisphère uploads/Philosophie/ bases-neurologiques 1 .pdf
Documents similaires
-
23
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jui 19, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2597MB