race et sciences sociales «Épreuves sociales» mettre les idées reçues à l’épreu

race et sciences sociales «Épreuves sociales» mettre les idées reçues à l’épreuve des réalités sociales Fidèle à ce qui fait l’objet même des sciences sociales depuis leur naissance au xixe siècle, l’objectif de la collection «Épreuves sociales» est de montrer le rôle déterminant que jouent les facteurs sociaux dans les formes de domination que subissent ceux d’en bas, sans occulter la diversité des facteurs qu’il faut prendre en compte (et combiner) pour comprendre les raisons d’agir des individus. Se tenant loin des conceptions éthérées et neutralisées des sciences sociales, notre collection espère éclairer les problèmes du monde actuel avec le recul du savoir et loin des raccourcis de l’actualité. Une place essentielle sera faite aux études reposant sur de véritables enquêtes empiriques et refusant tout dogmatisme théorique. «Épreuves sociales» veut ainsi aider tous ceux qui luttent pour un monde meilleur en leur fournissant connaissances et arguments. Stéphane Beaud & Gérard Noiriel * En couverture: Romare Bearden, Stamping Ground, 1971 © ADAGP, Paris, 2020 © Detroit Institute of Art, 2020 © Agone, 2021 BP 70072, F-13192 Marseille cedex 20 www.agone.org ISBN 978-2-7489-0450-5 Stéphane Beaud & Gérard Noiriel Race et sciences sociales Essai sur les usages publics d’une catégorie Nous remercions vivement nos collègues et ami(e)s qui ont accepté de lire certaines parties de ce livre, tout particulièrement la troisième: Éric Darras, Marie- Hélène Lechien, Michel Offerlé, Michel Pialoux, Frédéric Rasera, Daniel Rivet, Olivier Schwartz, Pierre-Emmanuel Sorignet. Nous tenons aussi à remercier Philippe Olivera pour son méticuleux travail de relecture et pour les longues discussions que nous avons eues avec lui au fil de l’écriture de ce livre; ainsi qu’Antoine Lablanche, pour l’avoir édité avec une grande minutie. Les notes de référence, en chiffres arabes, sont rassemblées par chapitre, infra, p. 379. Un index est disponible p. 395. Édition préparée par Raphaël Duraffourg, Antoine Lablanche, Paul Ligerot, Marie Laigle et Philippe Olivera. À la mémoire de Jean-Claude Chamboredon Introduction La question raciale a resurgi brutalement au cœur de l’actualité, le 25 mai 2020, lorsque les images du meurtre de George Floyd, filmé par une passante avec un smartphone, ont été diffusées en boucle sur les réseaux sociaux et les chaînes d’information en continu. L’assassinat de ce jeune afro-américain I par un policier blanc de Minneapolis a déclenché une immense vague d’émo- tion et de protestations dans le monde entier. Une multitude d’acteurs – militants antiracistes, journalistes, politiciens, intellec- tuels, experts, artistes, écrivains, etc. – sont intervenus aux États- Unis et ailleurs pour donner leur opinion sur ce crime et sur sa signification politique. En France, depuis une quinzaine d’années, la dénonciation publique de plus en plus fréquente des crimes racistes ou de faits nourrissant des suspicions de discrimination raciale prend régulièrement dans les médias la forme d’«affaires raciales» qui déclenchent immanquablement le même type de polémiques qui s’autoalimentent presque sans fin. I. Suivant en cela l’exemple de l’historien Emmanuel Debono, nous avons décidé, sauf dans les citations, d’écrire en lettres minuscules tous les noms désignant des appartenances de groupes pour éviter de présupposer l’existence d’une commu- nauté constituée, ce que véhicule l’usage de la majuscule. Cette précision suffit aussi à montrer d’emblée le rôle que joue le langage dans les constructions identitaires 1. 10 Race et sciences sociales La logique du système médiatique actuel explique le rôle majeur que joue la presse écrite dans l’orchestration des polé- miques identitaires relayées ensuite par les grands médias audiovi- suels. L’affaire George Floyd a fourni une nouvelle confirmation de ce processus. Après la pétition intitulée «Manifeste pour une République française antiraciste et décolonialisée», signée par cinquante-sept intellectuels et diffusée par le site Mediapart le 3 juillet 2020, l’hebdomadaire Marianne a riposté le 26 juillet 2020 en publiant un «Appel contre la racialisation de la question sociale», signé par plus de quatre-vingts personnalités et une vingtaine d’organisations. La comparaison des deux pétitions montre clairement com- ment fonctionne ce que Pierre Bourdieu appelait le jeu des «cécités croisées». La critique justifiée des violences racistes de certains policiers et du «racisme d’État» dans les colonies françaises jusqu’à la fin de la guerre d’Algérie conduit les péti- tionnaires de Mediapart à défendre un projet politique focalisé sur les questions raciales et décoloniales occultant complètement les facteurs sociaux. Inversement, les auteurs de l’appel paru dans Marianne rappellent à juste titre le rôle central que joue la classe sociale dans les inégalités qui touchent la France d’au- jourd’hui, mais leur propre combat identitaire, résumé par le slogan: «Notre République laïque et sociale, une chance pour tous!» les pousse à affirmer que «notre pays n’a jamais connu la ségrégation», affirmation qu’aucun historien, aucun sociologue sérieux ne pourraient cautionner. Ces affrontements identitaires, où chaque camp mobilise sa petite troupe d’intellectuels, placent les chercheurs qui défendent l’autonomie de leur travail dans une position impossible. Dans un contexte de grande tension autour de ces questions, il nous a semblé urgent de défendre l’autonomie de la recherche en science sociale pour aider les lecteurs à clarifier les enjeux qui sont au cœur des polémiques publiques, en nous limitant au seul cas franco-français. Introduction 11 Toute la première partie du livre montre comment la race s’est progressivement constituée en domaine du savoir depuis la fin du xviie siècle, mais surtout comment elle devient un objet d’étude dans la deuxième moitié du xixe siècle en lien étroit avec l’émergence des sciences sociales à cette époque. Il fallait remon- ter aussi loin pour contester l’idée qu’en France, la «question raciale» aurait été longtemps occultée. Les enjeux actuels ont une histoire et les affrontements d’aujourd’hui autour de la race se sont souvent déjà joués dans le passé. À côté du rejet précoce par les institutions républicaines de l’anthropologie physique souvent associée à la science allemande, les questions raciales sont régu- lièrement réactivées au gré des enjeux coloniaux, migratoires ou plus directement politiques. Le livre montre comment la science sociale d’Émile Durkheim, de Max Weber et aussi de W. E. B. Du Bois se distingue fortement sur ces questions de la science poli- tique d’André Siegfried ou des études démographiques d’Alfred Sauvy. Remonter aux origines de la «question raciale» permet aussi de prendre la mesure du tournant des années 1970. La deuxième partie du livre analyse l’émergence d’un nouvel antiracisme à cette époque avec l’apparition des notions de racisme systémique et de racisme ordinaire, tout en montrant comment se prépare le grand retournement des années 1980. À l’hégémonie de longue durée de l’idéologie de gauche dénonçant surtout les inégalités sociales succède alors celle de la droite focalisée depuis la fin du xixe siècle sur l’identité nationale. Le déclin des luttes sociales et l’impuissance de la gauche de gouvernement face à la montée du chômage ont favorisé le retour en force des logiques identitaires, impulsées par la classe dominante, mais alimentées aussi par les dominés qui se sont placés sur ce terrain pour développer de nouvelles formes de résistance. C’est dans ce contexte qu’après une longue éclipse sur le terrain des sciences sociales, l’objet «race» réapparaît pour y prendre une place croissante jusqu’à nos jours. Dans cette deuxième partie du livre, nous revenons sur 12 Race et sciences sociales les débats que ce retour a provoqués depuis les années 1970, dont nous sommes tous les deux parties prenantes. L’une des questions essentielles qui ont été posées dès ce moment-là, notamment par Pierre Bourdieu et ses proches, concerne la relation entre le travail des chercheurs et les logiques ou l’agenda médiatiques et politiques. Plutôt que d’en proposer un survol actuel, ce qui supposerait de disposer des enquêtes qui restent largement à faire, nous avons choisi de présenter dans la troisième partie du livre l’étude approfondie de «l’affaire des quotas» qui a secoué le football français en 2011, un «scandale racial», créé et alimenté par la presse sans tenir aucun compte du contexte historique ni du cadre institutionnel concerné. Cette étude particulière est un moyen de montrer comment se jouent concrètement, en acte, les enjeux de savoir que nous avons voulu soulever tout au long de l’ouvrage. Pour bien faire comprendre la démarche qui est la nôtre dans ce livre, il est sans doute utile de dire un mot sur les contextes de nos socialisations intellectuelles et politiques respectives, et leurs effetssurnostravauxderechercheultérieurssurdesobjetsproches de ce l’on désigne aujourd’hui comme la «question raciale». Dans des contextes différents du fait de notre (faible) écart d’âge,maisdenotre(grande)différencedegénération,nousavons été très tôt confrontés à l’enjeu du racisme et de l’antiracisme. Gérard Noiriel a eu dix-huit ans en mai-juin 1968, un événement déclencheur qui le fait ensuite participer activement comme étu- diant d’histoire à l’université de Nancy II aux combats politiques de sa génération avec, pour sa part, un engagement au début des années 1970 à l’Union des étudiants communistes (UEC) et au PCF. À cette période, comme on le rappelle dans le chapitre 3, la question coloniale et postcoloniale était déjà centrale pour tous les intellectuels antiracistes. C’est la raison pour laquelle il a souhaité faire son service militaire en tant que VSN (volontaire du service national) dans une ancienne colonie française (la répu- blique populaire du Congo). Alors qu’il cherchait uploads/Philosophie/ beaud-noiriel-quot-race-et-sciences-sociales 1 .pdf

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