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Tous droits réservés © Laval théologique et philosophique, Université Laval, 1995 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Document generated on 06/18/2021 6:52 p.m. Laval théologique et philosophique Philosophie hégélienne de l’actualité et actualité de la philosophie hégélienne Bernard Bourgeois Hegel aujourd’hui Volume 51, Number 2, juin 1995 URI: https://id.erudit.org/iderudit/400911ar DOI: https://doi.org/10.7202/400911ar See table of contents Publisher(s) Faculté de philosophie, Université Laval ISSN 0023-9054 (print) 1703-8804 (digital) Explore this journal Cite this article Bourgeois, B. (1995). Philosophie hégélienne de l’actualité et actualité de la philosophie hégélienne. Laval théologique et philosophique, 51(2), 229–238. https://doi.org/10.7202/400911ar Laval théologique et philosophique, 51, 2 (juin 1995) : 229-238 PHILOSOPHIE HÉGÉLIENNE DE L'ACTUALITÉ ET ACTUALITÉ DE LA PHILOSOPHIE HÉGÉLIENNE Bernard BOURGEOIS RÉSUMÉ : La philosophie hégélienne de l'actualité est telle qu'elle reste actuelle, non seulement en sa forme, mais encore, pour une bonne part, en son contenu même, au point que, en son originalité même, notre époque continue de hégélianiser. H egel s'est voulu un philosophe de l'actualité. Sa première publication (la traduction commentée des Lettres de Cart sur la situation en Suisse) et sa dernière publication (l'article sur le Reformbill anglais) sont des écrits d'actualité ; il fut lui-même pendant dix-huit mois le rédacteur en chef du Journal de Bamberg, et ce au lendemain même de la composition de la Phénoménologie de Vesprit, c'est- à-dire en osant en quelque sorte incarner immédiatement le savoir absolu, dont celle- ci fondait l'affirmation, dans cette culture de l'actualité qui constitue le travail du journaliste ; il justifie cette identification en la médiatisant, à travers un célèbre aphorisme de la période d'Iéna, par l'évocation du culte religieux : car, si la lecture des gazettes est la traduction réaliste de la prière du matin, elle est bien en soi philosophique puisque la philosophie se veut elle-même, en Hegel, la rationalisation de la religion ! En tant qu'une telle philosophie de l'actualité, le hégélianisme — comme nous le rappellerons en un premier moment de cet exposé — fixe les traits essentiels, généraux, formels, de ce qu'il consacre ainsi comme l'objet privilégié de son affirmation, et de toute affirmation sensée des choses, d'une manière telle qu'il permet aux actualisations ultérieures de cette affirmation, même les plus critiques à l'égard de lui-même, de se réclamer encore pourtant de lui : Marx savait bien qu'il hégélianisait encore en reniant Hegel, et, chez Merleau-Ponty comme chez Foucault et bien d'autres, la pensée contemporaine se reconnaît encore déterminée par lui, au cœur même de ses efforts pour lui échapper. Toutefois, une semblable actualité 229 BERNARD BOURGEOIS de la philosophie hégélienne de l'actualité reste, comme l'objet dont elle incarne la forme dans un autre contenu, une actualité elle-même purement formelle. Demi- actualité qui ne semble d'ailleurs pouvoir être accordée que si l'on néglige ce qui — dans la forme même de l'actualité de l'être telle que la conçoit Hegel — exige la clôture du contenu historique destiné à la remplir : le caractère total du système hégélien n'exclut-il pas que l'on puisse être hégélien à moitié ? Aussi bien, des disciples non parricides de Hegel — songeons à Kojève — ont-ils affirmé que le contenu actuel du monde était celui-là même que le philosophe de la fin de l'histoire avait présenté comme le contenu définitif de l'actualité éclose en son temps. Il conviendra donc, dans un deuxième moment de l'analyse, de rechercher en quoi notre temps peut paraître réaliser le temps décrit par Hegel comme achevant l'his- toire universelle. Enfin, au cours d'une troisième et dernière considération, il restera à examiner si et comment, en faisant retour à la théorie hégélienne de la forme de l'actualité, il ne serait pas possible de confirmer, à travers même les démentis matériels apportés par notre présent à la philosophie de Hegel, la thèse même de son actualité. Alors, dans le cas de Hegel, la philosophie de l'actualité assurerait l'actualité de sa philosophie. « Concevoir ce qui est, telle est la tâche de la philosophie1 », mais — comme le soulignent aussi les Principes de la philosophie du droit — cet être dont la philosophie doit être la pensée ne peut se réduire à l'être pensé, seulement pensé, à l'essence qui aurait hors d'elle l'être purement empirique du phénomène. Pour une philosophie qui fait représenter la vérité absolue par la doctrine chrétienne du Dieu incarné, l'être n'est plénier qu'autant qu'il inclut dans sa totalité le moment décisif de Vempirique : l'absolu est ici et maintenant, ce qui devient, advient, sur- vient, le vrai est événement. Cependant, si Vêtre est ainsi, absolument, présent — à tel point que le philosophe, en tant que penseur de ce qui est, n'a affaire « ni avec ce qui, seulement, a été, ni avec ce qui, seulement, sera, mais avec ce qui est2 » —, tout ce qui est présent n'est pas absolument. Ce qui est présent n'est dans son présent que : 1) s'il est lié à ce qui est passé et à ce qui est futur — car le présent est le futur passé —, donc s'il est la présence même du devenir ; 2) si, pour être, le devenir surmonte son evanescence en se fixant, en s'identifiant dans sa différence d'avec soi, c'est-à-dire en s'intériorisant ou réfléchissant dans son sens ; et 3) si ce sens du devenir s'identifie à lui-même comme sens total n'ayant rapport qu'à soi, ce qui le constitue en raison éternelle. Ce qui est présent empiriquement n'est qu'autant qu'il réfléchit en son devenir 1'effectuation de soi de la raison éternelle : « concevoir et qui est, telle est la tâche de la philosophie, car ce qui est, c'est la raison3 », et « nous avons affaire [...] dans la philosophie, avec ce qui est et qui est 1. HEGEL, Grandlinien der Philosophie des Rechts [Principes de la philosophie du droit], J. Hoffmeister, éd., Hambourg, F. Meiner Verlag, 1962, p. 16. 2. ID., Die Vernunft in der Geschichte [La raison dans l'histoire], J. Hoft'meister, éd., Hambourg, F. Meiner Verlag, 1963, p. 210. 3. Cf. ci-dessus, note 1. 230 PHILOSOPHIE HÉGÉLIENNE DE L'ACTUALITÉ étemel, avec la raison4 ». L'actuel, c'est le présent empirique en tant que, et seule- ment en tant qu'il est l'actualisation de soi du sens total de la raison éternelle. Le sens de l'actualité est donc en quelque sorte la rationalisation quotidienne de l'Incarnation. Le vrai journaliste, c'est le philosophe, mais le philosophe ne peut se faire le vrai journaliste qu'en assumant l'héritage de la religion et de la théologie. L'aphorisme d'Iéna soulignait bien la convergence de la lecture des journaux et de la prière du matin dans le fait que, à travers toutes deux, « on oriente son attitude face au monde selon Dieu ou selon ce qu'est le monde » de telle sorte qu'« on sache où l'on en est5 ». Alors, on peut appréhender, et exploiter pratiquement, le sens du présent en saisissant dans celui-ci ce par quoi il est un moment du sens total ou absolu : l'actualité du présent se livre au regard rempli de l'esprit universel, de l'esprit divin-providentiel ou de l'esprit du monde proprement dit, de cet esprit qui agit dans les grands hommes de l'histoire mondiale et qui se réfléchit chez le philosophe de cette histoire. C'est un tel regard, qui réconcilie l'identité à soi — divine — du sens et la réalité — mondaine — de la différence, dans l'identification immanente de la différence pourtant reconnue comme telle, c'est-à-dire dans le processus dialectique, que Hegel a défini et mis en œuvre à l'aube de la modernité. En donnant à la dialectique historique un contenu tout autre que ne l'avait fait Hegel, le marxisme, à travers aussi la dénégation qu'il a suscitée, l'a cependant popularisée à tel point que la vision hégélienne de l'actualité comme actualité, en sa forme d'actualité, est aujourd'hui, pour une large part, après la négation de la négation marxiste du hégélianisme, encore actuelle. L'attention au présent de nos contemporains consiste bien à l'assumer en son actualité comprise formellement à la manière de Hegel, c'est-à-dire comme advenir progressif sensé, intelligible, nécessaire, de la raison qui n'a rapport qu'à soi en sa vie totale ainsi libre. L'affirmation d'une telle actualisation nécessaire progressive de la liberté s'implique elle-même dans ce qu'elle affirme et, par conséquent, se vit comme un vouloir de plus en plus libre dans la reconnaissance de plus en plus lucide de son conditionnement historique. Le déclin de l'historicisme marxiste libère alors la conscience de soi philosophante de l'actualité ainsi comprise dans un sens qui — quoi qu'elle pense parfois — ramène bien plutôt à Hegel qu'elle n'en éloignerait à travers le rejet de sa « réalisation » dialectique : car la philosophie hégélienne de la philosophie définit bien uploads/Philosophie/bernard-bougeois-atualidade-da-filosofia-de-hegel.pdf

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