Lettre sur Heidegger àM. Daniel Halévy Author(s): R. Bespaloff Source: Revue Ph

Lettre sur Heidegger àM. Daniel Halévy Author(s): R. Bespaloff Source: Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, T. 116 (JUILLET A DÉCEMBRE 1933), pp. 321-339 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41084044 . Accessed: 31/07/2013 05:40 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue Philosophique de la France et de l'Étranger. http://www.jstor.org This content downloaded from 157.27.7.156 on Wed, 31 Jul 2013 05:40:53 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions Lettre sur Heidegger à M. Daniel Halévy1 Monsieur, Vous me demandez de vous raconter mon aventure avec Heidegger. Il faut vous obéir. Mais quelle entreprise périlleuse, et comment espérer que j'en viendrai à bout?... On peut, on doit essayer de traduire Heidegger : hélas! il est intraduisible. Prenez, par exemple, le mot « Erschlossenheit » : dévoilement, révé- lation? Ce n'est pas cela. « Erschlossenheit des Seins » signifie que l'Être est déjà découvert, qu'il est accessible, visible, éclairé {gelichtet), qu'il se donne à nous antérieurement à tout acte conceptuel, qu'à des degrés différents et dans des proportions variables, nous en avons intelligence. « Sein kann unbegriff en sein, aber es ist nie völlig unverstanden. » Le mot « Erschlossenheit », à lui seul, nous laisse entendre que la vérité n'est rien d'autre que la lumière dans laquelle baigne l'Être. C'est dans la non-dissimu- lation de l'Être {Die Unverborgenheit des Seins) que réside la vérité primordiale, la possibilité pour l'Existence humaine d' « être dans le vrai » : « Dasein ist in Wahrheit. » Ou encore, comment traduisez-vous « Verschlossenheit »? Direz- vous que l'Être est voilé, obscur, inaccessible, qu'il se dérobe et se refuse, qu'il nous est interdit de le saisir dans son intégrité, que l'Existence humaine, simultanément, est dans la vérité et dans le mensonge, que devant l'Être, elle est à la fois douée de clair- voyance, affligée de cécité? (Zur Faktizität des Daseins gehören Verschlossenheit und Verdecktheit). Tout ceci, pourtant, est impliqué dans « Verschlossenheit ». Comprenons que l'Être est i. Je crois devoir préciser que cette lettre a été écrite eu septembre 1932. 21 Vol. 116 This content downloaded from 157.27.7.156 on Wed, 31 Jul 2013 05:40:53 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 322 REVUE PHILOSOPHIQUE insaisissable parce qu'au cœur de l'Existence, il y a un défaut, une lacune, une nullité originelle. L'Existence a été jetée dans l'Être, elle ne l'a pas choisi : il lui a été transmis, livré (überantwortet). « Seiend ist das Dasein Geworfenes, nicht von ihm selbst in sein Dagebracht. » 11 y a cette « honte » à son origine. « Das Dasein ist nie existent vor seinem Grunde, sondern je nur aus ihm und als dieser. » L'Existence assume le fardeau de l'Être : en existant, elle est son propre fondement, mais elle ne Ta pas posé. Cette fissure par où s'introduit le néant, rien ne la peut combler : c'est la « Geworfenheit des Daseins ». Mais n'allons pas prendre ce néant pour une négation vide. Chez Heidegger, au contraire, le néant « est quelque chose ». « Ist es denn so selbstverständlich dass ein jedes Nicht ein Negativum im Sinne eines Mangels bedeutet. » La faute originelle de l'Existence, c'est d'être « das nichtige Grundsein einer Nichtigkeit ». Cette faute, le plus souvent, nous pouvons, nous voulons l'ignorer : c'est pourquoi l'Existence est à la fois dans la vérité - « Erschlossenheit » - et dans l'erreur - « Ver- schlossenheit ». Mais encore une fois, changeons de préfixe : Erschlossenheit. Verschlossenheit - Entschlossenheit. Esprit de décision, courage résolu? C'est sec, cela manque de grandeur, de tension, de poids. L' « Entschlossenheit » est l'effort difficile, souvent périlleux, qu'il faut accomplir pour s'arracher au mensonge originel. « Die Wahr- heit » (Entdecktheit) muss dem Seienden immer erst abgerungen werden. Das Seiende wird der Verborgenheit entrissen.... Entdeckt- heit ist gleischsam immer ein Raub. » Dévoiler l'existant, c'est le disputer aux apparences, lui extorquer, lui ravir son secret. 11 y faut une décision courageuse : voilà ce qu'est 1' «Entschlossenheit ». Même ce qui est déjà découvert, offert, il importe de le redécou- vrir, de se l'approprier. « Das Dasein muss wesenhaft das auch schon Entdeckte gegen den Schein zueignen. » Mais tout d'abord, Y Entschlossenheit, c'est la volonté-d'avoir- conscience de notre intime néant : « Gewissen-haben-wollen ». Et nous voici revenus à notre point de départ : cette volonté d'avoir conscience du néant de l'Existence est, en tant que com- préhension de soi-même, un aspect - et non le moins grave, le moins important - de Y Erschlossenheit des Daseins. Tout ceci pour trois préfixes.... This content downloaded from 157.27.7.156 on Wed, 31 Jul 2013 05:40:53 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions R. BESPALOFF. - LETTRE SUR HEIDEGGER A M. DANIEL HALÉVY 323 Essayons maintenant de cerner, de très loin, la signification du mot « Welt » chez Heidegger. La poignante grandeur de ce philosophe, c'est que d'em-blée, avec une audace inégalée, il se situe dans l'inextricable; il ne feint pas de trancher le nœud de l'Existence, il nous en révèle la complexité. Sa conception du monde respecte cet irrémédiable enchevêtrement. Le monde, chez Heidegger, n'est pas « nature », n'est pas davan- tage o. représentation » : c'est un caractère ontologique de l'Exis- tence. Dans l'apparition du monde se manifeste la transcendance. « Transcendenz bedeutet Überstieg. » Gomment traduire Über- stieg! Dépassement...? C'est insuffisant, cela ne donne pas l'idée d'un précipice à enjamber, d'un abîme à franchir (übersteigen). La transcendance atteint toujours une totalité qui peut n'avoir pas été appréhendée dans sa cohérence mais qui n'est aucunement la somme de tout l'existant. Elle ne pose pas la chose-en-soi, elle est TÉtre-dans-le-Monde : « das In-der-Welt-sein ». Ce que l'Existence transcende, ce n'est pas seulement l'existant qui la cerne de toute part, c'est d'abord l'existant qu'elle est elle- même : « Im Überstieg kommt das Dasein allererst auf solches Seiendes zu das es (L'Existence même) ist, auf es als es selbst ». Du même mouvement qui suscite, fait vivre et agir un monder l'Existence, dans la transcendance, fonde le soi, « die Selbstheit ». « Weltbildend», et simultanément, « selbstbildend », elle s'élance au-devant d'elle-même dans le monde où elle se déploie. Exister signifie êlre-dans-le-monde, être pris, happé par l'exis- tant qui s'y découvre, y nouer des liens, s'y frayer une voie, y supprimer des distances (ent-fernen), y trouver des objets (Zeuge) dont nous faisons usage dans un but précis. C'est cela que Hei- degger nomme la « Zuhandenheil ». L'existant tel qu'il est en soi, c'est d'abord le « Zuhanden », ce qui est à portée de ma main, qui me concerne, dont je me soucie (Besoteen). Ce monde, il faut encore que je le partage avec « autrui », queje me heurte à d'au- tres existences semblables à la mienne, que je subisse leur rythme ou que je leur impose le mien, que je me perde ou me retrouve en elles. « Die Welt des Daseins ist Mitwelt. » L'Être-dans-le-monde implique l'Être-avec-autrui : « Mitdasein ». Ainsi Heidegger, fait son profit du prodigieux redressement This content downloaded from 157.27.7.156 on Wed, 31 Jul 2013 05:40:53 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 324 REVUE PHILOSOPHIQUE opéré par Husserl et met fin à des problèmes périmés : dépassant le dualisme de l'immanence et de la transcendance, il découvre dans le phénomène même une révélation de l'Être. Il dédaigne de construire un bel édifice sur les ruines de notre expérience sordi- dement quotidienne et nous évite la petite manœuvre qui consiste à renier à peu près tout ce que nous sommes pour n'entraîner que notre ombre dans les merveilleux dédales de la spéculation, quittes à Ty abandonner dès que nous retournons à nos humaines demeures. C'est, au contraire, l'Existence quotidienne (die A Möglichkeit) dans son nivellement, sa moyenne (die Durchschnittlichkeit) carac- térisée par Y « Aufgehen in der Welt » la dissipation, qu'il analyse minutieusement pour en extraire les structures onto- logiques de TÊtre humain. « Das Dasein ist zunächst und zumeist von seiner Welt benommen. » L'existence quotidienne est absorbée par le monde, elle s'y disperse et s'y perd. Mais qui donc se dissi- mule sous « r Alltäglichkeit des Daseins » (la quotidienneté (?) de l'Existence)? C'est l'anonyme, le « On » (das Man). Insinuante, insaisissable, omniprésente, la dictature du « On » nous soumet tous à ses décrets. Ne répondant de rien, elle ne craint pas d'as- sumer les responsabilités qui nous effraient; elle facilite, rassure, soulage, nous décharge de la peine d'être uploads/Philosophie/ bespaloff-lettre-sur-heidegger-a-m-daniel-halevy-pdf.pdf

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