Judith Miller Métaphysique de la physique de Galilée Bien qu~ préparé par les p
Judith Miller Métaphysique de la physique de Galilée Bien qu~ préparé par les progrès de l'astronomie, par la physique c pari- sienne », l'Ecole d'OXford et la physique de l'impetus, le passage de la physi- que aristotélicienne, et des physiques tolérées par elle, à la physique classique est une révolution, comme telle, totalitaire et systématique; et ce qui semble se perpétuer des unes à l'autre, en fait, change radicalement de sens. C'est pourquoi ce moment de partage où se constitue la physique scientifique mérite le nom de coupure épistémologique au sens de Bachelard. De part et d'autre de cette coupure, la théorie de la connaissance, la définition du réel, l'ontologie virent du tout au tout. La métaphysique qui, non thématisée, soutient la physique classique se pose dans le même temps, selon la loi énoncée par J ules V uillemin dans sa Philosophie de l'Algèbre (p. 505) : « Toute connaissance, quelle qu'elle soit, est de part en part métaphysique, en ce qu'elle implique à son principe des décisions et des choix qui n'appar- tiennent pas eux-mêmes à la juridiction de cette connaissance. » Faire venir au jour ces décisions, reconnaître ces choix, dans lè Dialogue sur les deux plus grands systèmes du monde, où Galilée expose les termes du partage, en un temps où la révolution peut être considérée comme achevée, 1632, tel est notre propos. Le titre seul fait problème : comment entre l'avant et l'après de la cou- pure, quelque chose comme un dialogue est-il possible? Car le nom de coupure a pour fonction précisément de désigner l'absence d'un code com- mun entre l'ancienne et la nouvelle physique : elles ne peuvent pas plus se rencontrer, ni même polémiquer, que l'ours polaire et la baleine du dicton que cite Freud : c L'ours polaire et la bàleine ne peuvent se faire la guerre, car, chacun étant confiné en son propre élément, ils ne peuvent se rencontrer. » (c L'Homme aux loups », in Cinq psychanalyses. Paris, Denoël et Steele, p. 408) Il n'y a pas de terrain neutre ouvert à l'auteur du Dialogue, dont la fin n'est pas une négociation mais une capitulation de l' adversaire (et, effecti- vement l'adversaire capitule). C'est pourquoi, entre l'aristotélicien Sim- plicio et Salviati-Galilée, un troisième est nécessaire, par qui ils peuvent communiquer : Sagredo. On voit par là que la fonction de Sagredo ne Métaphysique de la physique de Galilée peut être comprise à partir du schéma thèse-antithèse-syrithèse : Sagredo n'est pas le produit du compromis entre l'aristotélisme et le galiléisme, mais leur médiateur, la Bona Mens. li en a fini avec l'Ecole, il a brisé les chaînes des préjugés de l'aristotélisme et du sens commun, et s'est rendu accessible le savoir de la science nouvelle: s'il ne le possède pas, il en est susceptible. La Bona Mens désigne la disposition d'un esprit qui, ayant franchi les obstacles épistémologiques, a, du même coup, Franchi le seuil de la connaissaQce du vrai; chacun possède la vérité sans le savoir et doit l'expliciter. Sagredo se place donc dans l'après de la révolution de ce qu'il est passé par les fourches caudines qui en conditionnent l'entrée. Sa pensée s'est modifiée dans sa forme pour se modifier dans son objet, dirons-nous en paraphrasant Bachelard. Si Sagredo peut former ceux qui n'ont pas encore assimilé la révolution, ou qui la refusent comme le fait Simplicio, il a encore à être enseigné. C'est de cette position de maître-élève que Sagredo tient la fonction de médiateur entre deux interlocuteurs qui, sans lui, ne pourraient qu'établir un dialogue de sourds. La vitesse Révolutionnaire quant à la forme, Sagredo a la ~che ardue d'être à l'égard de Simplicio un maître, et donc un contradicteur, dans la discipline formelle par excellence: la logique, où le disciple d'Aristote se trouve fort à l'aise; ~che d'autant plus ardue qu'elle est stratégiquement cruciale dans le Dia- logue considéré comme « œuvre de philosophie» (Koyré), puisque ce point de yue le convertit, comme nous allons tenter de le démontrer, en une polémique sur le statut ontologique à attribuer aux principes de contra- diction et d'identité. Nous examinerons d'abord comment procède la logique de Sagredo, à partir d'un exemple qui pour être caractéristique n'est pas unique - celui de la définition de la vitesse 1. Écoutons Salviati-Galilée produire l'énoncé le plus illégitime qui soit pour les logiciens, une contradiction. D'une part, il est parvenu à établir ~u' « un mobile se meut plus rapidement par la perpendiculaire que par 1 inclinée ». D'autre part, il prétend dire le vrai en posant qu'« absolument les deux vitesses des deux mobiles qui descendent l'un par la verticale, l'autre par le plan incliné, sont égales. » Comme Simplicio, Sagredo, au nom de la logique, se refuse à accorder à Salviati que la conjonction de ces deux propositions puisse être vraie. C'est pourtant la démarche logique de Sagredo qui fournit à Salviati les moyens de démontrer que ces deux propositions sont « la vérité même ». Salviati interroge ses interlocuteurs, convaincus qu'il ne peut etre que 1. Galilée, Dialogues et lettres chois/es, p. 123. Judith Miller dans l'erreur, sur le concept qui est au fondement des deux propositions qu'il a à justifier, celui de la vitesse1• A la question de Salviati: «Mais, dites- moi, Signor Simplicio, quand vous imaginez un mobile plus rapide qu'un autre, qu'avez-vous à l'esprit? », Simplicio répond en donnant une définition de la vitesse dont l'exactitude est aussi peu contestable que l'étroitesse. Cette étroitesse tient au mode de production aristotélicien de la définition : «Je me figure le premier parcourant dans le même temps un espace plus grand que l'autre, ou dans un temps moindre, un espace égal », à savoir une défi- nition adéquate à des cas particuliers à envisager, mais non déduite du cas le plus général. Or, c'est d'une telle définition que Salviati veut accoucher son interlocuteur, et c'est pourquoi il pose à Simplicio une seconde question concernant ce qu'il entend, non plus par une vitesse plus grande qu'une autre, mais par une vitesse égale à une autre. A quoi, derechef, Simplicio fait une réponse exacte, mais dont la portée est encore restreinte : des mobiles également rapides « parcourent des espaces égaux en des temps égaux ». Remarquons que Salviati, dont la première question peut légitimement être entendue comme appelant une réponse particulière, est à l'égard de Simplicio un mauvais accoucheur d'âmes - et pour cause: c'est à la Bona Mens de fournir la bonne réponse - mais ce tort est compensé par son insis- tance à propos de la seconde réponse de Simplicio :« Vous n'avez pas d'autre idée que celle-ci?» Non, dit Simplicio, qui ne conçoit pas qu'une définition différente des vitesses égales soit possible. C'est alors seulement qu'intervient Sagredo : « Ajoutons pourtant cette autre : des vitesses sont dites égales quand les espaces parcourus sont entre eux dans le même rapport que les temps employés à les parcourir. Ce sera là une définition plus universelle. 2. Cette intervention marque un temps essentiel: l'universalité de la défi- nition produite par Sagredo permet de l'instancier et par là de démontrer 1ue le~ propositions contradictoires, en tant qu'instanciation légitimes d'une meme proposition vraie, sont, l'une et l'autre, vraies. Avant d'examiner les implications de cette définition « plus universelle », poursuivons un peu plus rapidement le débat dont le départ nécessitait le rapport détaillé, pour en arriver à sa conclusion. Simplicio ne perçoit pas les effets de l'universalisation de sa définition, Salviati les explicite : « Vous voyez donc que si nous disons : « Le mouvement par la perpendiculaire est plus rapide que par l'inclinée " c'est là une proposition qui ne se vérifie pas dans tous les cas, mais seulement pour les mouvements qui se produisent à partir du terme initial, c'est-à-dire du repos. Si cette condition n'est pas remplie, la proposition est inexacte au point que sa contradictoire peut être 1. Cette interrogation maïeutique est un des signes les plus manifestes par lesquels Galilée se déclare le sectateur du platonisme; signe trop manifeste pour que l'on pnisse s'y fier : si Galilée-Salviati se réclame du platonisme, c'est d' « un certain platonisme " qui est un mathématisme, dit Koyré (ÉtuJes Galiléennes, Paris, Hermann, 1939, III, p. 53, note 4,) ce que nous expliquerons. 2. Ici, comme par la suite, c'est nous qui soulignons le texte de Galilée. Métaphysique de la physique de Galilée I4I vraie, autrement dit : que le mouvement est plus rapide par l'inclinée que par la perpendiculaire, puisque nous pouvons prendre, sur l'inclinée, un espace parcouru par le mobile en moins de temps que le même espace pris sur la perpendiculaire. Et puisque le mouvement par l'inclinée est en cer- tains endroits plus rapide que par la perpendiculaire, et en d'autres moins, le temps employé par le mobile pour parcourir certains espaces de l'inclinée sera avec le temps employé pour parcourir certains espaces suivant la verticale, en proportion tantôt plus grande, tantôt moins grande qu'entre les espaces par- courus. Supposons par exemple que deux mobiles partent du uploads/Philosophie/ metaphysique-de-la-physique-de-galilee.pdf
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- Publié le Jan 06, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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