LE DÉMON DE LA TAUTOLOGIE DU MÊME AUTEUR LE RÉEL, TRAITÉ DE L'IDIOTIE, « Critiq

LE DÉMON DE LA TAUTOLOGIE DU MÊME AUTEUR LE RÉEL, TRAITÉ DE L'IDIOTIE, « Critique », 1977. L'OBJET SINGULIER, « Critique », 1979. LA FORCE MAJEURE, « Critique », 1983. LE PHILOSOPHE ET LES SORTILÈGES, « Critique », 1985. LE PRINCIPE DE CRUAUTÉ, « Critique », 1988. PRINCIPES DE SAGESSE ET DE FOLIE,« Critique», 1991. EN CE TEMPS-LA, Notes sur Althusser, 1992. LE CHOIX DES MOTS, 1995. Chez d'autres éditeurs LA PHILOSOPHIE TRAGIQUE, P.U.F., «Quadrige», 1960. SCHOPENHAUER, PHILOSOPHIE DE L'ABSURDE, P. U .F ., « Quadrige », 1967. L'ESTHÉTIQUE DE SCHOPENHAUER, P.U.F., «Qua- drige», 1969. LOGIQUE DU PIRE, P.U.F., «Quadrige», 1971. L'ANTI-NATURE, P.U.F., «Quadrige», 1973. LE RÉEL ET SON DOUBLE, Gallimard, 1976. CLÉMENT ROSSET LE DÉMON DELA TAUTOLOGIE SUIVI DE CINQ PETITES PIÈCES MORALES LES ÉDITIONS DE MINUIT @ 1997 by LES ÉDmONS DE MINUIT 7, rue Bernard-Palissy, 75006 Paris En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l'éditeur ou du Centre français d'exploitation du droit de copie, 3, rue Hautefeuille, 75006 Paris. ISBN 2-7073-1615-6 AVANT-PROPOS Ce livre a pour point de départ l'idée de répondre briè- vement à deux objections qui m'ont souvent été faites. La première consiste à observer que je tiens toujours un peu le même discours (ce qui peut paraître une défaillance à certains, mais aussi une qualité à d'autres, comme Berg- son);- que ce discours lui-même est assez pauvre puisque se bornant à répéter que le réel est le réel ; - qu'enfin je ne me mets guère en peine de définir le sens précis que je prête à ce mot de réel. La seconde consiste à regretter mon silence en matière de morale et à soupçonner un tel silence de complicité implicite avec les massacres et autres abominations qui endeuillent quotidiennement l'histoire de l'humanité. Plus précisément, mes propos sur la joie et l'affirmation incon- ditionnelle de la vie auraient pour défaut d'entraîner dans leur sillage une justification - ou du moins une non-condamnation- des horreurs perpétrées par les hom- mes. 8 LE DÉMON DE LA TAUTOLOGIE La première objection me paraissant plus intéressante que la seconde, j'y accorderai plus d'attention et mettrai plus de soin à y répondre. Je mettrai sans doute moins de soin et plus d'humeur, dans la réponse à la seconde. LE DÉMON DE LA TAUTOLOGIE j j j j j j j j j j j j j j j j j j j Peu m'importe par où je commence car je reviendrai ici. PARMÉNIDE J'appellerai ici réel, comme je l'ai toujours fait au moins implicitement, tout ce qui existe en fonction du principe d'identité qui énonce que A est A. J'appelle irréel ce qui n'existe pas selon ce même principe : c'est-à-dire non seulement tout ce qui ne fait parade d'existence que sous le mode de l'imaginaire ou de l'hallucination, mais aussi et plus précisément ce qui semble bénéficier du privilège de l'existence mais se révèle illusoire à l'analyse pour ne pas répondre rigoureusement au principe d'identité (soit tout A qui ne se résume pas à l'A qu'il est, mais connote de certaine façon un B qu'il pourrait être aussi, voire plus subtilement un « autre » A, comme je le préciserai plus loin). C'est d'ailleurs selon moi la définition même de l'illusion que de ne jamais se résoudre, ou se résigner, à l'application stricte du principe d'identité (et c'est pour- quoi je pense que l'illusion est toujours marquée au coin du double, d'une duplication hallucinatoire de l'unique qui constitue précisément sa « duplicité »). Comme c'est la définition même du réel que d'être ce qui demeure soumis au principe d'identité sans aucune condition ni 12 LE DÉMON DE LA TAUTOLOGIE restriction, - au sens où, par exemple, Pascal parle dans Les Provinciales de «restriction mentale». On objectera évidemment aussitôt que définir ainsi le réel revient à se priver de la possibilité d'en jamais rien dire, puisque tout propos à son sujet semble faire par définition contradiction avec lui, par effet de « parole ajoutée » à un réel auquel il convient justement de ne rien ajouter. Cette objection est très sérieuse et contraint à admettre que, si le réel est bien tel que je le définis, force est de n'en rien dire, sinon rien que cela, qu'il est réel: le discours sur le réel sera tautologique ou ne sera pas, ou du moins n'aura pas de raison d'avoir lieu. C'est ce que recommande Wittgenstein dans le dernier et célèbre aphorisme de son T ractatus logico- philosophicus : « Ce qu'on ne peut dire, il faut le taire. » Reste cependant à se demander si c'est une même chose que de faire un discours vide et de tenir un discours tauto- logique. li est possible qu'un discours tautologique, tenu à ne rien énoncer de plus que A = A, ne soit pas nécessaire- ment un discours pauvre. Telle est la thèse que je me pro- pose de défendre ici. A s'en tenir aux analyses wittgensteiniennes de la tauto- logie, qui occupent une place assez importante au cœur du Tractatus logico-philosophicus, force serait de conclure à la pure et simple pauvreté du discours tautologique (ou, dirait Wittgenstein, de la proposition tautologique). On sait que cette dernière constitue le « centre dénué de substance » (substanzloser Mittelpunkt, op. cit., 5.143) de tout le système propositionnel dont la contradiction, également dénuée de substance, constitue la « bordure externe ». Et, comme Wittgenstein se propose de montrer qu'il n'y a pas de ren- seignement intéressant à glaner dans l'ensemble du système propositionnel, il prend soin d'enfermer l'ensemble des pro- positions à l'intérieur d'un système de possibilités de vérité (4.31 et sq.) oscillant entre les deux limites, externe et interne, de toutes les propositions, c'est-à-dire la contradic- tion et la tautologie, qui ne disent rien ni l'une ni l'autre LE DÉMON DE LA TAUTOLOGIE 13 - en sorte que toute possibilité de vérité constitue un inter- médiaire également attiré, quoique à des degrés divers, par les deux pôles extrêmes du discours que sont la contradic- tion (qui, toujours fausse, n'apprend rien) et la tautologie (qui, toujours vraie, n'apprend rien non plus). La contra- diction et la tautologie sont« vides de sens» (sin/os, 4.461), et les propositions qui ne se ramènent ni à l'une ni à l'autre sont elles-mêmes peu sensées, ou du moins peu renseignan- tes, puisqu'elles participent toutes de l'une et de l'autre. Toutefois, les réflexions de Wittgenstein sur la tautologie, dans le Tractatus logico-philosophicus, sont plus complexes et, même si elles concluent en gros à l'inanité de la tauto- logie, méritent un examen un peu moins sommaire qui pourra me servir utilement d'entrée en matière. A suivre Wittgenstein de plus près dans son exposé de la tautologie, on s'aperçoit que sont distingués dans le Tracta- tus non pas un mais trois grands caractères de la tautologie, qu'il nous faut successivement examiner. Le premier caractère de la tautologie est celui qui a déjà été dit : la tautologie constitue une proposition creuse et vide, et à la limite ne constitue pas même une proposition. Elle est la « dissolution » de la connexion des signes inhé- rente à toute proposition de vérité, comme le dit Wittgens- tein en 4.466. Wittgenstein répète l'idée de manière signi- ficative, qui ne laisse aucun doute sur la pauvreté absolue de la tautologie à ses yeux et sur la vanité qu'il y aurait selon lui à en attendre quelque enseignement ou quelque richesse que ce soit. Cet arrêt s'autorise d'un double attendu, sous forme d'alternative. Ou bien la tautologie dit tout, c'est- à-dire énonce une vérité qui est sans exceptions et régit ainsi la totalité de toute chose existante ; mais alors elle ne dit rien, étant riche d'une qualité si omniprésente qu'on man- que de repère extérieur pour la qualifier elle-même. Si la tautologie est la forme universelle du vrai, on ne voit plus bien en quoi consiste la vérité de la tautologie, puisque celle-ci ne trouve plus de forme de fausseté à laquelle 14 LE DÉMON DE LA TAUTOLOGIE s'opposer. Si tout est vrai, rien n'est vrai; ou, comme le disait V. Jankélévitch, si tout est rose rien n'est rose. Ou bien la tautologie ne dit rien, c'est-à-dire se contente de répéter son propre fait sans y ajouter la moindre information (A est A, une chose est une chose, le réel est le réel). Et dans ce cas la tautologie ne dit naturellement rien non plus, selon en tout cas Wittgenstein qui a à ce sujet une formule décisive et apparemment sans appel : « Dire d'une chose qu'elle serait identique à elle-même, c'est ne rien dire du tout» (5.5303). Nous verrons plus loin s'il n'y a pas moyen d'interjeter appel d'un tel jugement. Mais, en second lieu, la tautologie, qui est et restera vraie dans tous les cas et dans tous les mondes possibles, doit être aussi considérée comme un modèle de vérité (de fait, elle est la seule proposition à laquelle Wittgenstein, qui est proba- blement le penseur le uploads/Philosophie/le-demon-de-la-tautologie-clement-rosset 1 .pdf

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