La religion Le problème de la mystique1 Maurice Blondel Philopsis : Revue numér
La religion Le problème de la mystique1 Maurice Blondel Philopsis : Revue numérique http://www.philopsis.fr Les articles publiés sur Philopsis sont protégés par le droit d’auteur. Toute reproduction intégrale ou partielle doit faire l’objet d’une demande d’autorisation auprès des éditeurs et des auteurs. Vous pouvez citer librement cet article en en mentionnant l’auteur et la provenance. Par quelle méthode, dans quelle mesure est-il accessible à l’examen de la raison et quelle peut être en ce domaine la contribution de la philosophie ? Il y a, ce semble actuellement malgré bien des apparences toutes contraires, renouveau et progrès des études de mystique. Il y a, ce semble aussi, renouveau et floraison de la vie mystique elle-même. Les preuves ? – Elles sont nombreuses et convergentes, quoique d’origine et de valeur diverses : succès paradoxal de revues et d’ouvrages consacrés à la science d’états ou de phénomènes que naguère encore on avait trop souvent traités par le dédain ou l’ironie ; vocations multiples et vocations accrues pour la vie contemplative ; direction spirituelle plus méthodiquement orientée vers les cimes ; manifestation d’une foule d’âmes (turba magna) élevées aux intimes formes de l’union divine ; recherches historiques, psychologiques, pathologiques sur les expériences de cette nature ; controverses philosophiques ou théologiques et essais de systématisation spéculative ; même dans le monde littéraire ou artistique, 1 Le texte présenté ici en version numérisée a été l’objet de deux publications antérieures : la première dans les Cahiers de la nouvelle journée, n° 8, Qu’est-ce que la mystique ? (janvier 1925), la seconde dans un ouvrage intitulé G. Berger, M. Blondel, L. Lavelle, Chant nocturne. Saint Jean de la Croix, mystique et philosophie, textes réunis par M.-J. Coutagne et Y. Périco, Editions Universitaires, 1991. Le texte de Maurice Blondel est reproduit ici avec l’autorisation du professeur Claude Troisfontaines et des Archives Maurice Blondel Le texte est accompagné de quelques notes de commentaire, présentées par une astérisque. Ces notes ont été rédigées par Pascal Dupond – avec l’avis éclairé de son ami Jacques Bardou pour les traductions du latin en français. www.philopsis.fr © Philopsis – Maurice Blondel 2 parmi le grand public, jusque dans la presse quotidienne, ce qu’on appelle (souvent à tort d’ailleurs) « le mysticisme »2, que ce soit pour l’éloge ou le blâme, apparaît comme une des forces, d’autres disent comme l’un des dangers de l’heure présente. Les causes ? – Très complexes, elles requéreraient, même du point de vue purement naturel, de longues analyses s’il fallait tenir un compte équilibré des influences presque toujours impondérables qui, de l’excès du positivisme régnant, par les épreuves exceptionnelles de ce temps de luxure et de sang, sous les oppressions et les abaissements d’une civilisation scientifiquement matérialisante, font remonter certains besoins indestructibles des âmes inassouvies. D’autre part et en même temps, il n’est que juste de reconnaître la légitimité, la beauté de ce fécond désir de savoir précis qui porte tant de nos contemporains à la dissection histologique des états de conscience, quels qu’ils soient, infimes ou sublimes, maladifs ou sains, afin de discerner les lois vitales de cet étrange « composé humain » que nous sommes. Mais, à cause même de l’intérêt que prennent à la mystique tant de témoins curieux et passionnés qui, malgré leur incompétence et leurs partialités, s’érigent volontiers en juges, combien de confusion sont commises jusque sur le sens du mot, à plus forte raison sur la nature profonde et la valeur de ce qu’il doit désigner précisément et uniquement ! Parce qu’il signifie quelque chose de « caché » ou de « secret » ; parce qu’il s’applique à des connaissances ou à des élans qui paraissent obscurs au commun des hommes vivant dans leur clarté superficielle, alors qu’aux vrais mystiques, dans le calme et la lumière, c’est cette clarté qui est obscurité ; parce qu’il évoque ainsi trop aisément l’image d’une sorte de mystérieuse effervescence au sein de ce que le Pseudo-Denys, (lui qui a créé presque tout le vocabulaire de la mystique avec l’orchestration de métaphores qui l’accompagne 3), appelait, mais par antiphrase, « la Grande Ténèbre », 2 Je n’emploierai guère ce terme équivoque et dont on abuse ; car d’ordinaire les mots en isme indiquent non des faits ou des réalités, mais des abstractions ou des explications tendancieuses, voire même exclusives. 3 Voir le Vocabulaire de la Société française de Philosophie, au mot MYSTIQUE (chez A. Colin). * M.B. est l’auteur du commentaire qui y est donné sur « Mystique et mysticisme » : « C’est au pseudo-Denys l’Aréopagite qu’est dû le mot mystique (Noms divins, II, 7 et Théologie mystique, I, 4) et la plupart des termes qui sont devenus classiques dans la “mystique”. Après avoir montré que, pour atteindre l’être, il faut dépasser les images sensibles, les conceptions et les raisonnements de l’esprit, il affirme, en se fondant sur une expérience qui n’a rien de dialectique, mais qui semble l’expression d’un contact intimement éprouvé, “cette parfaite connaissance de Dieu qui s’obtient par ignorance en vertu d’une incompréhensible union ; et ceci a lieu quand l’âme, laissant toute chose et s’oubliant elle- même, s’unit aux clartés de la ‘gloire divine’ ” (Noms divins, VII, 3). C’est cette science obtenue, non par les raisonnements, mais par une union pleine d’amour que Denys appelle “la doctrine mystique qui pousse vers Dieu et unit à Lui par une sorte d’initiation qu’aucun maître ne peut apprendre” (Ep., IX, 1). […] Ce qui paraissait, dans l’état inférieur, lumineux et réel n’est plus que voile ténébreux et apparence, et ce qui semblait nul et nocturne se révèle comme l’immense lumière et l’absolue unité à laquelle communie l’âme “conviée au banquet divin” ». Et M.B. ajoute : « l’idée fondamentale du mysticisme semble donc celle-ci : les images ni les concepts ne nous donnent la réalité ; il faut traverser les choses sensibles, les représentations intellectuelles comme des voiles ; et lorsque par la vie purgative et ascétique on s’est dépouillé de soi et des choses, lorsqu’on s’est offert nu au vide, ce vide, cette nuit obscure révèlent la plénitude d’une vie qui ne semble cachée et “mystique” qu’à ceux qui, selon le mot de Newman, n’ont pas émigré de la région des ombres et des images. – L’aspect www.philopsis.fr © Philopsis – Maurice Blondel 3 beaucoup se persuadent pouvoir indistinctement étiqueter sous ce terme tout ce qui est pathos et Patmos : fumeuses ardeurs de l’instinct, troubles effusions du sentiment, nuageuses sublimités de la passion, le mauvais et le bon romantisme, les extases de la chair et les ravissements de l’esprit. Rien d’étonnant, dès lors, si, chez nombre de gens rassis, la défiance persiste, si l’hostilité domine contre ces puissances incontrôlées qui tendent à usurper le rang de Sagesse suprême. Or, mon dessein, c’est de montrer qu’à maints égards, la mystique n’est rien de cela, qu’elle est le contraire de cela. Plus il se rencontre ici d’apparentes obscurités et de confusions, plus il importe de recourir à la lucidité de la critique, afin d’exclure les contrefaçons : oui, au sens natif et fort du mot, des contrefaçons. Car si, d’ordinaire, les illusions se fondent sur des ressemblances feintes, ici, pour qui sait voir, les dissemblances sont profondes, les contradictions sont réelles entre « le faux mysticisme » et la vraie et seule mystique. C’est cette opposition radicale que nous rendrons manifeste en étudiant ce qu’en termes techniques (dont j’espère justifier le sens légitime et l’opportunité) l’on peut appeler le rôle non seulement extrinsèque mais intrinsèque de la raison, et un rôle qui intéresse non seulement la science de la mystique, mais encore (paradoxe plus fort) la réalité mystique elle-même. Il peut sembler téméraire de chercher un élément raisonnable et même rationnel là où beaucoup ne trouvent que déraison ou du moins irrationalité, et où d’autres ne voient que surnature pure sans intervention ni coopération de l’être humain puisque le mystique se dit lui-même lié en ses puissances propres et passivement livré au bon plaisir divin. Et cependant, sans empiéter le moins du monde sur les initiatives de la grâce opérante, bien mieux, afin de réserver plus complètement le caractère transcendant des « secrets du Roi », il sera utile de porter le regards jusqu’à l’extrême bout de ce que la philosophie peut viser, ne fût-ce que pour éviter de confondre les hauteurs encore humaines avec les véritables élévations divines, celles qui sont, non point même seulement surnaturelles, mais spécifiquement mystiques. Il se pose, en ces très complexes matières, bien des questions où les hommes de science et de raison ont leur humble mot à dire. Dans le champ de la psychologie normale ou pathologique, des gains précieux ont été obtenus en ces derniers temps ; peut-être faudrait-il dire : davantage encore dans le domaine de la métaphysique religieuse. De leur côté, les théologiens les plus avertis reconnaissent que les controverses récentes ont, sur divers points importants qu’ils ont débattus entre eux, amené convergence d’efforts et progrès harmonieux de solutions. Prenons-en confiance et profit ; ne laissons pas perdre ou menacer de nouveau ces résultats, uploads/Philosophie/ blondel-la-religion-le-probleme-de-la-mystique.pdf
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- Publié le Sep 21, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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