CHAPITRE III : LA DIVERSITÉ LINGUISTIQUE EN ALGÉRIE ET AU LIBAN Introduction L’
CHAPITRE III : LA DIVERSITÉ LINGUISTIQUE EN ALGÉRIE ET AU LIBAN Introduction L’Algérie et le Liban sont des pays qui connaissent une situation linguistique intéressante. Ils sont « officiellement » monolingues, avec l’arabe classique comme langue officielle. Mais cela n’a pas empêché la présence sociale d’autres langues. Ces dernières ont longtemps « combattu » pour leur survie. Ces langues restent présentes dans le patrimoine culturel des deux pays. Il s’agit en l’occurrence de l’arabe dialectal (que certains nomment algérien, libanais), du berbère pour l’Algérie (langue nationale à partir d’avril 2002) avec toutes ses variantes et du français ainsi que de l’anglais. C’est à travers ces différents idiomes/langues que les citoyens se sont exprimés, car comme la présente Grandguillaume, la langue est le lieu d’expression et de construction de la personnalité individuelle et collective, c’est un lien temporel entre le passé et le présent, le miroir de l’identité structurant des lois de la personnalité (in Benrabah, 1999: 19). La langue, marqueur social par excellence, est considérée comme étant un des facteurs déterminants dans la construction de toute identité, qu’elle soit personnelle, collective, groupale, régionale ou même nationale. Le processus d'identification, qui inscrit l'individu dans une sphère sociale particulière, se traduit par les pratiques langagières. Dans ce cadre, la langue peut être perçue comme étant véhiculaire de l'identité. Dans le présent chapitre nous traiterons des univers linguistiques algérien et libanais ainsi que des études portées sur la présence des langues, notamment l’aspect conflictuel, nous nous intéresserons tout particulièrement au poids symbolique que peuvent véhiculer les représentations, qu’elles soient d’ordre linguistique ou à visée idéologique. I. La diversité linguistique Pour traiter des phénomènes de contact des langues, que ce soit sur le plan individuel ou groupal, le fait qu’une personne ou groupe de personnes utilisent deux langues est considéré celui de bilingue ou bilinguisme. De nos jours ces termes tendent à être remplacés par ceux de plurilingue, plurilinguisme. Tabouret-Keller, citée dans Baylon (1996 : 146), donne la définition suivante du bilinguisme/plurilinguisme : « Par bilinguisme ou plurilinguisme, il faut entendre le fait général de toutes les situations qui entraînent un usage, généralement parlé et dans certains cas écrit, de deux ou plusieurs langues par un même individu ou un même groupe. "Langue" est pris ici dans un sens très général et peut correspondre à ce qu'on désigne communément comme un dialecte ou un patois » Cette approche incite, à la fois, à une recherche purement structurale linguistique d’un côté, et psychosociologique qui s’intéresse aux locuteurs et aux situations de contact langagiers et d’évolution d’un autre, à cela s’ajoute l’apport des sciences du langage (neurolinguistique, acquisition langagière…) et de la didactique des langues secondes et étrangères. Les spécialistes traitent de bilinguisme/plurilinguisme individuel, lorsqu’il s’agit, sur le plan individuel, de l’utilisation de deux ou plusieurs langues par un individu, et de bilinguisme/plurilinguisme social, lorsque la majorité des sujets, d’une société donnée, sont amenés à utiliser deux ou plusieurs langues. Le terme diglossie (polyglossie) s’applique seulement au niveau social, mais généralement, il est associé à une dimension conflictuelle. I.1. L’étude de la pluralité linguistique Afin d’analyser les cas de présence sociale de deux ou plusieurs langues, les études sociolinguistiques tendent à opposer le terme de bilinguisme, perçu comme non conflictuel, à celui de contact de conflit diglossique. Les modèles de traitement du bi ou du plurilinguisme, sont considérés comme des constructions théoriques qui s’inspirent de configurations linguistiques réelles, que subissent des individus et des groupes. Le terme de diglossie d’origine grecque désigne aussi une situation sociolinguistique où les deux systèmes linguistiques sont bien maitrisés, mais jouissant de modalités spécifiques sujettes à des représentations et attitudes. Pour Psichari, dans les années 1920, la diglossie est une configuration linguistique, où deux variétés d’une même langue sont en concurrence, l’une est plus valorisée (dominante) que l’autre (dominée). La sociolinguistique européenne doit à ce chercheur le fait qu’il a introduit l’aspect idéologique et conflictuel en relation avec ce phénomène. Pour Ferguson (1959), représentant de la sociolinguistique américaine, la diglossie est envisagée comme un instrument conceptuel utilisé lors de l’analyse sociolinguistique, pour spécifier le caractère concurrentiel existant entre deux variétés d’une même langue et qui jouirait d’un statut différent, l’une est langue relative aux usages quotidiens et de communications ordinaires (L pour Low) et l’autre plus officielle relative aux systèmes : scolaire, judiciaire, médiatique, etc. (H pour High) (Boyer, 2001). C’est un état accepté par la communauté, plus ou moins, stable qui peut perdurer dans le temps, mais cela n’empêche pas le fait qu’il puisse exister des dynamiques dues aux : contact des populations, la scolarisation, l’édification d’une langue nationale témoin de revendications identitaires et linguistiques, cette approche est adoptée, de nos jours par la sociolinguistique française pour traiter des aspects dynamiques et politiques. (Baylon, 1996) A travers les études de Gumperz (1962) et Fishman (1967), la diglossie fut plus liée à l’aspect sociologique, c’est désormais une situation sociolinguistique où deux langues (idiomes) de statut socioculturel différent, la première est vernaculaire et la seconde est imposée par les autorités. Seule une partie de la population peut y être affectée, par exemple ceux qui n’utilisent que l’idiome vernaculaire ne sont pas conscients de cette dualité et les individus qui ne parlent que la langue imposée qui jouit du prestige, ainsi que ceux qui sont bilingues individuels vivant dans une communauté unilingue ayant appris l’autre langue par le biais des parents ou de l’école. La sociolinguistique suisse propose, une nouvelle approche de la diglossie, critiquant la vision Fergusonienne jugée comme étant trop restrictive, l’équipe de Lüdi (1997) va offrir une conception plus souple, amoindrissant l’aspect prestige lié à une langue par rapport à une autre et favorisant le concept de choix de langue dans tout contact inter-linguistique, qui est le résultat d’un travail interactif fondé sur l’interprétation et la définition, c’est le degré de liberté accordé à chaque individu qui détermine son choix linguistique. Lüdi voudrait réduire l’aspect conflictuel de la diglossie, selon lui, il existe une forme de diglossie consensuelle, présente par exemple au sein du panorama helvétique. C’est la conflictualité ou non de la diglossie qui est le point divergent entre la sociolinguistique suisse et la sociolinguistique périphérique, avec les travaux de Lafont et Boyer, qui a porté sur les situations catalane et occitane qui valorisent l’aspect conflictuel politico-idéologique relatif aux représentations sociolinguistiques. Pour Loubier (2008) le concept de diglossie est nécessaire dans l'analyse des situations sociolinguistiques, car il permet de voir et de démontrer l'inégalité socioéconomique des langues en coexistence à travers l'examen de leurs fonctions, de leur statut et de leurs champs d'utilisation à l'intérieur des espaces sociaux. Pour cet auteur, ce concept offre une dimension proprement sociologique en favorisant la désignation d’une situation sociolinguistique où l’emploi des langues en coexistence (ou variétés de langues) renvoie à une répartition fonctionnelle qui fait qu'une, ou plusieurs langues, jouissent d’un statut socioéconomique supérieur à une autre ou à d'autres langues. L’analyse des situations diglossiques est particulièrement intéressante dans l’étude des dynamiques sociolinguistiques des collectivités plurilingues. Sur un plan individuel, et d’un point de vue didactique, l’acquisition de deux ou plusieurs langues est généralement présentée comme étant un enrichissement personnel et culturel, dans cette optique, le sujet parlant sera capable d’élargir sa vision du monde, d’enrichir sa capacité d’agir, d’influer, d’accroitre le cercle des individus avec lesquels, il est, potentiellement, prêt à communiquer, comme le confirme Jean Duverger, dans son article sur l’enseignement bilingue à l’éducation plurilingue, pour qui « Le fait d’utiliser deux langues très jeune pour travailler, apprendre, jouer, permet de vivre vraiment et en profondeur l’altérité linguistique, le caractère arbitraire du signe, la relativité des lexiques (souvent on le sait, les champs sémantiques ne se recouvrent pas), mais aussi celle des grammaires, des syntaxes, des codes. Parce que le fait de vivre au quotidien les problèmes de traduction, d’interprétation, le fait de chercher des relations entre les langues, des transparences, des dissemblances, des étymologies, toutes ces activités métalinguistiques permanentes ne peuvent que favoriser le développement de compétences d’ouverture à d’autres langues et donner à penser au niveau de la relation langue/culture.» Néanmoins, cela n’empêche que certains spécialistes s’accordent pour dire qu’être bilingue n’est pas toujours chose facile. Seuls les individus appartenant à une élite et possédant un bon niveau culturel peuvent faire du bilinguisme une source d’enrichissement, car le risque d’interférences, d’emprunts, d’erreurs, etc. peut engendrer l’appauvrissement de la pensée du locuteur qui vacillera entre ces deux mondes linguistiques et sera obligé d’être constamment vigilant et sur ces gardes, et cette situation peut être source d’une éventuelle souffrance. « Quelle que soit sa maitrise de l’une ou l’autre langue, un locuteur vit rarement dans la sérénité, avec l’écartèlement de son moi entre plusieurs champs linguistiques. On observe cela, dans le monde, dans de nombreuses situations dites de multilinguisme institutionnalisé. » (Yaguello, 1988 : 83) Cet écartèlement peut provoquer sur le plan culturel des conflits, du fait que le risque « d'affrontement » entre les différentes visions, véhiculées par les langues, devient intéressant à étudier, parce qu'il fait, dès lors, appel à des opérations que Camilleri nomme "stratégies identitaires", dans uploads/Philosophie/ boubakour-s-chapitre3.pdf
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- Publié le Fev 19, 2022
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