Michel Canivet La déduction transcendantale de Kant au point de vue social In:
Michel Canivet La déduction transcendantale de Kant au point de vue social In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, Tome 75, N°25, 1977. pp. 49-73. Abstract Objective knowledge and knowledge valid for everyone can be envisaged, according to the statement in the Prolegomena, as interchangeable concepts (Wechselbegriffe). The Allgemein gültigkeit in which the objectivity of the object is then resolved supposes that its synthesis is effectuated by a subject invested with a public function and acting according to rules which are themselves public. Categories, schemes and principles of pure understanding can be interpreted as the whole of the dispositions of an original contract — there is no need to see in it an historical fact — instituting, in the critical sense, the function of the transcendental subject and, correlatively, the form of the transcendental object. It is a priori that men must be able to reach an agreement about what they understand by an object valid for everyone and about the point of view which they keep to in the synthesis of this object. It is likewise a priori that the rules of this aperceptive synthesis must be capable of being represented. Résumé Connaissance objective et connaissance valable pour chacun peuvent être envisagées, d'après le mot des Prolégomènes, comme des concepts interchangeables (Wechselbegriffe). L'Allgemeingültigkeit en laquelle se résout alors l'objectivité de l'objet suppose que sa synthèse soit effectuée par un sujet investi d'une fonction publique et agissant selon des règles elles-mêmes publiques. Catégories, schemes et principes de l'entendement pur peuvent être interprétés comme l'ensemble des dispositions d'un contrat originaire — il n'est pas besoin d'y voir un fait historique — instituant, au sens critique, la fonction du sujet transcendantal et, corrélativement, la forme de l'objet transcendantal. C'est a priori que les hommes doivent pouvoir s'accorder sur ce qu'ils entendent par un objet valable pour chacun et sur le point de vue auquel ils se tiennent dans la synthèse de cet objet. C'est a priori également que doivent pouvoir être représentées les règles de cette synthèse aperceptive. Citer ce document / Cite this document : Canivet Michel. La déduction transcendantale de Kant au point de vue social. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, Tome 75, N°25, 1977. pp. 49-73. doi : 10.3406/phlou.1977.5921 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1977_num_75_25_5921 La déduction transcendantale de Kant au point de vue social Comme à la tour de Babel, il est arrivé à la métaphysique deux choses en même temps, selon Kant: l'impossibilité de poursuivre la construction et la confusion des langues chez les bâtisseurs1. Le problème de la métaphysique, qui a donné son impulsion à l'œuvre critique, comporte ainsi une dimension sociale. Les textes initiaux de la Critique de la raison pure et des Prolégomènes, notamment, con statent amèrement que le désaccord règne chez les collaborateurs jusque dans la méthode à suivre2, que l'on se livre à des combats de parade où l'avantage reste toujours au dernier interlocuteur3, que le public se scandalise ou se désintéresse4, que les sceptiques comprom ettent les dogmes et le lien social que ceux-ci représentent5 et que, pour comble, le pouvoir politique menace, par ses ingérences, de supprimer la liberté de penser6. Les Prolégomènes, suivis en cela par l'introduction de la seconde édition de la Critique, posent le problème à la fois théorique et social de la métaphysique en termes de Wirklichkeit. Nous lisons par exemple: «il est heureux que, tout en ne pouvant pas admettre que la métaphysique soit, comme science, réelle (wirklich), nous puissions cependant dire avec assurance que certaines connaissances synthétiques pures a priori sont réelles et données (wirklich und gegeben), à savoir les mathématiques pures et la physique pure; car ces deux sciences ren ferment des propositions reconnues, d'une façon générale, comme 1 Cf. Critique de la raison pure, trad. A. Tremesaygues et B. Pacaud, Paris, P.U.F., 1965, p. 489 (dans les éditions originales: A 707, B 735). 2 Cf. C.r. pure, p. 15 (B vu). 3 Cf. C.r. pure, p. 18 (B xv) et p. 336 (A 442, B 450). 4 Cf. C.r. pure, p. 26 (B xxxiv). 5 Cf. C.r. pure, p. 6 (A ix) («burgerliche Vereinigung»). 6 Cf. C.r. pure, p. 26 (B xxxiv); voir aussi p. 507 (A 738, B 766) et suiv., la section sur l'usage polémique de la raison; voir encore l'écrit de 1786, Qu'est-ce que s'orienter dans la pensée?, trad. A. Philonenko, Paris, Vrin, 1967, p. 86. 50 Michel Canivet vraies»7. L'emploi du terme «wirklich» est audacieux en ce qu'il paraît identifier le consensus scientifique avec la scientificité même. On peut voir que ce terme sert néanmoins au déploiement de la problématique. Mathématique, physique pure et métaphysique renferment des jugements synthétiques a priori. Les deux premières sont réelles, c'est- à-dire unanimement reconnues en fait comme en droit. On se demande si la troisième, bien qu'elle ne réalise pas l'unanimité, a du moins une prétention légitime à cet égard. Est-elle du moins possible! Pour ce qui est des deux autres, «qu'elles doivent être possibles (môglich), c'est démontré par leur réalité (Wirklichkeit)»8. Que l'on recherche donc ce qui dans les sciences réelles les rend possibles, c'est-à-dire justifie le consensus réalisé autour de leurs jugements synthétiques a priori, et l'on pourra voir si ces conditions de possibilité se retrouvent en métaphysique. La solution du problème particulier de la métaphysique requiert ainsi le déploiement de la problématique aux dimensions d'une quaestio inris portant sur la connaissance a priori en général. Et cette question consiste non seulement à se demander de quel droit notre connaissance a priori nous ouvre à quelque objet mais encore à se demander de quel droit elle nous ouvre à l'accord nécessaire avec autrui. Dans ce rappel de la problématique, un grand poids est accordé à ce que Kant appelle la méthode analytique ou régressive, qui part d'un consensus constaté et accepté dans les sciences dites réelles9. Il faut tenir pour secondaire la démarche que Kant appelle synthétique ou progressive et qui consiste à donner et à justifier d'emblée les éléments a priori du savoir dans le but de décider ensuite de la valeur d'un savoir qui serait fondé sur eux. On a coutume d'attribuer la première méthode aux Prolégomènes et l'autre à la Critique de la raison pure10. Cela n'est vrai qu'au niveau de la présentation. Le titre 7 Prolégomènes à toute métaphysique future qui pourra se présenter comme science, trad. J. Gibelin, Paris, Vrin, 1967, pp. 32-33; voir aussi p. 9 et C.r. pure, pp. 15-17 (B vii-xii) et 44 (B 20). 8 C.r. pure, p. 44 (B 20). 9 Cf. A. Philonenko, L'œuvre de Kant, 2 vol., Paris, Vrin, 1969, tome I, p. 91 : «ce qui est 'réel' ce sont les résultats des calculs des mathématiques, les 'raisons de l'astronomie' pour parler comme Descartes — et ce réel est, en même temps, con naissance: l'objet authentique est la science elle-même, donnée et considérée comme factum, et l'ensemble des lois qui la constituent». 10 De même on attribue souvent la méthode analytique ou régressive aux Fondements de la métaphysique des mœurs par opposition à la Critique de la raison pratique. La déduction transcendantale de Kant au point de vue social 51 d'Elementarlehre donné par Kant à la majeure partie de la Critique ne doit pas induire en erreur. Il ne s'agit nullement de fonder enfin le savoir sur des bases élémentaires, mais bien plutôt de mettre au clair les valeurs qui s'y trouvent déjà, et cela afin d'empêcher qu'on y pêche en eau trouble. Le fond de l'argumentation reste toujours l'existence des sciences réelles, auxquelles Kant souscrit et suppose que son lecteur souscrit également. Prenons l'exemple, dans YEsthé- tique transcendantale, de la thèse de l'apriorité de l'espace. Il est peu probable que l'argument tienne dans le fait purement psychologique que l'on «ne peut jamais se représenter qu'il n'y ait pas d'espace, quoique l'on puisse bien penser qu'il n'y ait pas d'objet dans l'espace » 1 1. En revanche, l'argument suivant est d'une autre qualité: «En effet, si cette représentation de l'espace était un concept acquis a posteriori qui serait puisé dans la commune expérience externe, les premiers principes de la détermination mathématique ne seraient rien que des perceptions. Ils auraient donc toute la contingence de la perception; et il ne serait pas nécessaire qu'entre deux points il n'y ait qu'une seule ligne droite, mais l'expérience nous apprendrait qu'il en est toujours ainsi»12. Certes, cet argument ne prouvera l'apriorité de l'espace que pour celui qui accepte la valeur de la géométrie existante avec sa prétention à la nécessité. Heureusement, Kant n'a rien à craindre et a toutes les chances de rencontrer cette acceptation chez le lecteur puisqu'il s'agit d'une science «réelle», bien établie. Il en va de même au début de Y Analytique des concepts, lorsqu'il est reproché à Hume et à Locke d'avoir méconnu l'apriorité des catégories: «la déviation empirique, à laquelle ils eurent tous deux recours, ne peut se concilier avec la réalité {Wirklichkeit) des connaissances scientifiques a priori que nous avons, la mathématique pure et la physique générale, et par conséquent elle est contredite par le fait » 1 uploads/Philosophie/ canivet-la-deduction-transcendantale-de-kant-au-point-de-vue-social.pdf
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- Publié le Jan 27, 2021
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