R. Carnap La tâche d’une construction logique du monde « [0] Voici la maxime su
R. Carnap La tâche d’une construction logique du monde « [0] Voici la maxime suprême, lorsqu’on philosophe scien- stratégie de la philosophie scientifique tifiquement : Partout où cela est possible, il faut substituer des constructions logiques aux entités inférées. Russell1 1. Le but : système de constitution des concepts [1] Le but des présentes recherches est l’établissement d’un système, logique but : édifier un système de constitution d’objets-concepts et conforme à la connaissance, des objets ou des concepts, [i.e.] d’un “système de constitution”. L’expression “objet” sera constamment employé ici dans son sens sens large d’objet le plus large, à savoir pour tout ce à propos de quoi une proposition (Aussage) peut être faite. Aussi comptons-nous parmi les objets non seulement les choses, mais aussi les propriétés et les relations-intensionnelles (Beziehung), les classes et les relations-extensionnelles (Relation)2, les états et les processus, ce qui est réel et ce qui est non-réel3. [2] Le système de constitution n’a pas seulement par tâche, comme les autres double tâche : systèmes de concepts, de répartir les concepts en différentes espèces, ni de re- (1) classification chercher les différences et les relations(-intensionnelles) naturelles de ces espèces. Mais les concepts doivent être dérivés par degrés à partir de certains concepts fondamentaux, être “constitués”, de telle sorte qu’il en résulte un arbre généa- (2) dérivation arborescente logique des concepts, dans lequel chaque concept trouve sa place déterminée. Qu’une telle dérivation de tous les concepts est possible à partir d’un petit possibilité d’une dérivation des objets-concepts nombre de concepts fondamentaux, telle est la thèse principale de la théorie de la constitution, par laquelle elle se distingue le plus des autres théories des objets. 1Cette citation liminaire est extraite de l’article de Russell “La relation des données senso- rielles à la physique” (1914), réimprimé dans Mysticisme et logique, et autres essais (1918), p. 155. C’est ce principe qui inspire la philosophie scientifique de Russell, et Carnap en fait son guide méthodologique. Il redonne la citation, avec la référence au texte de Russell, au §3, dans l’alinéa [14]. (Note de l’éd.) 2Il y a deux mots allemands pour désigner la notion de relation, et les relations peuvent être entendues en deux sens, intensionnel ou extentionnel. Carnap a fait le choix d’associer chacun des deux mots allemands à chacun des deux sens de la notion de relation. (1) La relation au sens intentionnel, i.e. en tant qu’elle est exprimée formellement par une formule à deux variables libres (pour les relations binaires) ; par exemple la relation d’amour “x aime y”. (2) La relation au sens extensionnel, i.e. en tant qu’elle est exprimée par un ensemble (ou une classe au sens de Russell), l’ensemble des couples d’individus qui vérifient la relation au sens intensionnel ; en ce sens la relation d’amour est identifiée à l’ensemble des couples d’amoureux, ou plutôt, du moins, puisque la relation n’est pas logiquement symétrique, à l’ensemble des couples d’individus, dont le premier a la propriété d’aimer le second. Aussi, malgré la lourdeur traduirai-je “Beziehung” par “relation(-intensionnelle)” et “Relation” par “relation(-extentionnelle)”, quoique “relation” tout court aurait suffit par défaut pour renvoyer au second mot. Voir la définition qu’en donne Carnap au début du §34 : “L’extension [au sens de Frege] d’une fonction propositionnelle à plussieurs arguments, donc d’une relation(- intensionnelle) s’appelle une relation(-extensionnelle)” (Note de l’éd.) 3Les raisons, très constestables, d’identifier objet et concept seront explicitées au §5 : “Concept et objet”. Les objets carnapiens en ce sens très général constituent le monde selon Carnap. (Note de l’éd.) 1 2. Que veut dire “constituer” ? [3] Afin de pouvoir indiquer plus clairement le sens de notre but, le système de constitution, il convient d’élucider ici quelques concepts importants de la théorie de la constitution. Un objet (ou un concept) est dit “réductible” à un ou constituabilité ou réductibilité plusieurs autres objets, si toutes les propositions à son sujet peuvent être trans- formées en propositions sur les autres objets4. (Cette explication à l’aide du concep non-rigoureux de “transformation” suffit pour le moment ; les exemples suivants la rendent suffisamment claire. Les définitions rigoureuses de la réduc- tibilité et de la constitution seront données plus tard (§35 : “Réductibilité et constitution”) ; elles se rapporteront, non pas aux propositions, mais aux fonc- tions propositionnelles). Si a est réductible à b et b à c, alors a est réductible à transitivité de la réductibilité c ; la réductibilité est donc transitive5. [4] EXEMPLE6. Toutes les fractions sont réductibles aux nombres naturels (i.e. positifs, exemple : constitution des ensembles de nombres à partir des nombres naturels entiers) ; car toutes les propositions sur les fractions peuvent être transformées en propositions sur les nombres naturels. Ainsi, par exemple, 3/7 est réductible à 3 et 7, 2/5 à 2 et 5, et la proposition “3/7 > 2/5”, transformée en proposition sur les nombres naturels, veut dire : “pour deux nombres naturels quelconques x et y, on a 3x > 2y, si 7x = 5y7. 4Carnap n’emploie pas de mot “constituabilité” mais “possibilité de dériver” (ce qu’on ap- pelle “dérivabilité), ou “possibilité de constituer”. La relation de réductibilité est la réciproque de la relation de constituabilité ou la même relation, selon que l’on utilise la voie active ou passive : a est constituable à partir de b, ou b est susceptible de constituer a ssi a est réductible à b. (Note de l’éd.) 5La propriété de transitivité de la relation de réductibilité est très importante ; c’est elle qui permet à Carnap de réduire tous les objets-concepts du système de constitution à une base d’objets-concepts primitifs, fondamentaux ou irréductibles, la base du système de constitution. (Note de l’éd.) 6Carnap est sensé suggérer, dans le présent exemple destiné à élucider la notion de réduc- tibilité, comment tous les ensembles de nombres peuvent être construits les uns à partir des autres, selon l’ordre de la relation d’inclusion et, par transitivité, comment tous ces ensembles de nombres peuvent être construits à partir de ou réduits à l’ensemble des nombres naturels, soit N ⊂Z ⊂Q ⊂R ⊂C : d’abord, les nombres relatifs, qui forment une structure d’anneau ; ensuite, les nombres rationnels, qui forment une structure de corps (ce qui revient à dire que l’on peut y faire, sans restriction, toutes les opérations arithmétiques, lorsqu’elles ont un sens déterminé) ; puis, l’ensemble des nombres réels, qui forment une structure de corps totalement ordonné, complet (pour la métrique euclidienne, ou équivalemment, pour la valeur absolue qui étend celle du corps des nombres rationnels ; enfin, les nombres complexes, qui forment un corps algébriquement clos (i.e. on peut y résoudre toutes les équations algébriques ou, équivalemment, tout polynôme de degré n admet n racines, distinctes ou confondues). Cette réduction ou inversement cette construction de tous les ensembles de nombres usuels à partir de l’ensemble des nombres naturels était acquise vers 1870, comme en témoigne le slogan de L. Kronecker : “Le bon Dieu a créé les nombres naturels, mais l’homme (mathématicien) a fait le reste”. Je ne puis indiquer dans le cadre de cette note, déjà trop longue, comment se fait, à chaque étape, la construction successive de ces ensembles de nombres. La procédure de construction d’un ensemble de nombre à partir de celui qui le précède immédiatement (pour la relation d’inclusion) consiste à définir une relation d’équivalence entre les nombres anciens, puis des classes d’équivalence qui formeront les nombres nouveaux. Le mathématicien fait ces constructions de modèles de nombres une bonne fois pour toutes dans sa vie, car cela est inutile pour son travail quotidien, mais cela le rassure psychologiquement, car il se persuade ainsi comment il peut créer ces objets mathématiques que sont les différents ensembles de nombres. Surtout, les vérifications des propriétés sont exrêmement fastidieuses et, de ce fait, presque toujours laissées en exercice. En revanche, la caratérisation axiomatique de ces structures de nombres sont le pain quotidien du mathématicien. Rectifions toutefois des imprécisions dan- gereuses de Carnap : une fraction n’est pas un nombre, mais un représentant d’un nombre rationnel. (Note de l’éd.) 7Extrêmement maladroit, docteur Carnap ! Avec une telle définition, la relation d’ordre entre les fractions ne peut pas être décidée de façon effective. La bonne définition est celle-ci : 2 [5] De plus, tous les nombres réels, même les irrationnels, sont réductibles aux fractions. Enfin, toutes les formations (Gebild) de l’arithmétique et de l’Analyse sont réductibles aux nombres naturels. [6] Si un objet a est réductible aux objets b et c, alors d’après l’explication précédente, les propositions sur a sont transformables en propositions sur b et c : “réduire a à b et c”, ou “constituer a à partir de b, c” doit signifier : établir règle de transformation = règle de traduction = règle de constitution une règle générale, qui indique de quelle manière, dans chaque cas particulier, on doit transformer une proposition sur a, pour obtenir une proposition sur b, c. Nous appelons cette règle de traduction une “règle de constitution” ou une “définition constitutive (konstitutional)” (puisqu’elle a la forme d’une définition, cf. §38 : “La constitution se produit par la définition”). uploads/Philosophie/ carnap.pdf
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- Publié le Jul 31, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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