Histoire Epistémologie Langage VII-l (1985) LA SCHOLIE DE STEPHANOS. QUELQUES R
Histoire Epistémologie Langage VII-l (1985) LA SCHOLIE DE STEPHANOS. QUELQUES REMARQUES SUR LA THEORIE DES TEMPS DU VERBE ATTRIBUEE AUX STOICIENS l~ Françoise CAUJOLLE-ZASLAWSKY ABSTRACT : Although this testimony is isolated, the historians of ancient grammar, who are aware of the part played by the StoÏcs in the formation of an independent grammatical field, unreluctantly take for granted the indica- tions ofa scholium by Stephanos - the commentator on Dionysios Thrax - which imply the existence of stoÏc theory of verbal tenses; yet none of the reconstructions of this theory as the hasis of the scholium can he taken as conclusive, for want of complementary documents. This paper offers neither a new reconstruction nor a critical survey of former ones, hut tries to follow another path; it investigates whether elements which, in the scholium, are undouhtedly of stoic origin, did not stand up to the scholiast's skill in his attempt to integrate t~em within a framework which may he foreign to them. RESUME : Les historiens de la grammaire antique, avertis du rôle des stoÏ- ciens dans la formation d'une discipline grammaticale indépendante, admettent sans réticence ~ malgré le caractère isolé du témoignage - les indications d'une scholie de Stéphanos, commentateur de Denys le Thrace, impliquant l'existence d'une théorie stoïcienne des temps verbaux : mais aucune des reconstructions qui, à partir de la scholie, ont été tentées de cette théorie ne saurait être, en l'ahsence de documents complémentaires, réellement déci- sive. Je ne me suis donc proposé ici ni un nouvel essai de reconstruction, ni une critique des précédents, mais l'exploration d'une autre voie, en examinant si des éléments qui, dans la scholie, ont une origine incontestahlement stoï- cienne ne résistaient pas à l'hahileté du scholiaste travaillant à les intégrer à un certain cadre grammatical qui leur est peut-être étranger. 20' LA SCHOLIE DE STEPHANOS ET LES STOICIENS o. INTRODUCTION Le scholiaste Stéphanos attribue aux stoïciens, de la façon la plus explicite, un ensemble de désignations des temps verbaux grecs, ou plus exactement de définitions, laissant ainsi supposer que ces philosophes avaient dressé une sorte de tableau raiso.nné des temps du verbe, selon des critères spécifiquement stoïciens. Or, il semble que l'existence d'une telle théorie - dont Stéphanos se trouve être jusqu'ici l'unique témoin - soit couramment admise comme une réalité effective par les historiens contemporains de la grammaire antique, qui ne s'interrogent que sur la manière, incon- nue de nous faute de documents, dont elle a pu se raccorder aux conceptions philosophiques des stoïciens et, notamment, à leurs thèses générales sur le temps et le mouvement. Diverses recons- tructions de cette hypothétique grammaire stoïcienne des temps ont été ainsi proposées ; mais leur vraisemblance ou leur ingénio- sité ne peut combler l'insuffisance de notre information historique à ce sujet (1). C'est la raison pour laquelle, plutôt que de tenter à mon tour une reconstruction de plus ou de critiquer celles dont le défaut majeur réside seulement dans l'absence de preuves, j'ai préféré tenter une sorte d'expérience infirmante destinée à mettre éventuel- lement en évidence - sans préjuger du résultat - les éléments qui ne corroboreraient pas la thèse d'une théorie stoïcienne des temps du verbe. Cette étude n'est, à proprement parler, ni philologique ni linguistique ; elle relève plutôt de l'histoire de la philosophie, puisqu'elle va consister en une lecture de la scholie à la lumière des fragments qui nous sont parvenus de la pensée philosophique stoïcienne ou, si l'on préfère, en une confrontation des opinions attribuées aux stoïciens par Stéphanos et des thèses doctrinales que nous connaissons d'eux. Cette mise en parallèle sera d'un style quelque peu insolite compte tenu du fait que, notre scholie mise à part, nous ne possédons jusqu'ici aucun indice attestant que les stoïciens aient jamais construit, ou voulu construire, une théorie grammaticale des~ temps du verbe. Nous 'avons connaissance "_ de leur doctrine générale du teinps, au moins dans ses principales articulations et sous des divers aspects (logique, physique, éthique), mais nous ne trouvons pas de vestiges d'un éventuel traitement grammatical du problème. Toutefois, certaines remarques, bien que LA SCHOLIE DE STEPHANOS ET LES SrOICIENS 21 relevant directement et spécifiquement de la discipline philosophi- que vu leur généralité, peuvent trouver quelque application concrète en grammaire. Peut-êfre en discernerons-nous la trace chez Stépha- nos. Ce qui est sûr en tout cas, c'est que, dans la forme sous laquelle nous en disposons à ce jour, et quelle que soit leur cohérence entre elles, ces remarques ne se présentent pas comme un système unifié, mais de façon ponctuelle et dispersées à travers différentes analyses. Maintenant Stéphanos, quant à lui, a une façon d'exposer les choses qui fait spontanément croire à l'existence effective d'un modèle stoïcien du classem'ent des temps. Il mentionne en effet la conception stoïcienne de chaque temps verbal en la rapportant chaque fois à ce qui lui correspond dans le tableau des temps ver- baux grecs tel que l'ont, à leur tour, dressé les grammairiens de métier. Cette présentation de forme comparative donne à penser que le système des grammairiens aurait été obtenu par modification d'un. système stoïcien antérieur. Stéphanos paraît en effet vouloir souligner une sorte de correspondance terme à terme, qu'on ne saurait établir qu'entre deux systèmes comparables. Il va même, dans cette direction, jusqu'à oublier de percevoir, pour ainsi dire, la divergence profonde qui fait que l'EXTENSIF des grammairiens (notre imparfait), qui est incontestablement un passé, n'a pas grand-chose à voir avec «l'extensif passé» des stoïciens (attribué aux stoïciens) - qui comporte un futur et qui ne représente donc pas un passé, mais un temps curieux, chevauchant l'instant présent et beaucoup plus conforme, apparemment, à la première partie de son nom qu'à la seconde. C'est pourtant quelque chose d'autre qui frappe d'emblée le lecteur quand il parcourt la scholie «du point de vue» de la doctrine stoïcienne : l'analyse de je fais en je fis et je ferai lui saute aux yeux, pour ainsi dire, car elle fait écho à un passage de Plu- tarque, dans son commentaire critique de la notion de temps chez les stoïciens (2). 1. La notion stoïcienne de présent Plutarque, citant expressément le nom de Chrysippe (3), rapporte sa description très paradoxale du présent (non point dans l'acception grammaticale où ce mot désigne un temps du verbe, mais au sens où l'on parle de l'instant présent), résumée d'après 22 LA SCHOLIE DE STEPHANOS ET LES STOICIENS différents ouvrages de sa physique. Voici donc le-point qui intéresse directement notre étude : Chrysippe affirmerait (et les stoïciens à sa suite (4)) qu'il n'y a pas d'instant présent, pas de (~maintenant» qui soit une partie actuelle, réelle et indivisible du temps. Tout ce qu'on s'imagine saisir et penser comme étant présent est en réalité, pour une partie futur et pour l'autre partie passé : il ne reste pas la moindre parcelle entre les deux, qu'on puisse déclarer en vérité présente. Tout ce qu'il y a de temps actuel est passé ou futur: le présent, par contraste, n'a aucune réalité. Or, comme les actions se divisent en correspondance avec le -temps, de même que le pré- sent est passé pour une part et futur pour l'autre, toute action en cours est action faite (parfait) pour une part, et action qu'on fera (futur) pour l'autre part (5). Plutarque illustre immédiatement ce propos par des exemples concrets: «celui qui déjeune déjeuna (aoriste) et déjeunera (...) celui qui se promène se promena (aoriste) et se promènera» (6). Voilà donc à première vue confirmé le témoignage de Stéphanos sur ce point précis. Toutefois, si on examine, derrière l'aspect extérieur de ces exemples, le sens qui leur est donné dans leurs contextes respectifs, on aboutit à une conclusion quelque peu différente. Du discours de Plutarque, en effet, il ressort avec évidence que l'intention de Chrysippe, en «traduisant» l'action présente· en action passée et en action future, n'était nullement de déter- miner, de constituer, une notion de présent: elle était au contraire de déclarer l'inanité d'une telle notion. L'idée nouvelle que Chry- sippe cherchait à faire comprendre, c'est qu'il n'y a pas de réalité physique du présent. Celui qui s'efforce de penser le présent s'ima- gine saisir, sous ce vocable, quelque chose d'objectif, mais en fait il se forge une image ; et, -en la composant sur le modèle du passé et du futur, illaisse échapper une différence essentielle, à savoir que les représentations de ces deux derniers correspondent à quelque chose dans la nature, alors qu'à la représentation du pré- sent correspond une expérience exclusivement humaine, sinon subjective. Il n'y a pas de présent, seulement un sentiment du pré- sent, ou plutôt un sentiment de présence. (On pourrait même suggérer que le stoïcisme tend à substituer au concept de présent celui de- représentation, parce que la représentation est le seul mode d'existence du présent et que se représenter les choses consiste pour chacun à se les rendre présentes qu'elles soient passées, futures ou imaginaires (7). «Se'représenter», c'e'st faire comme si la réalité LA SCHOLIE DE STEPHANOS ET LES STOICIENS 23 était présente: mais il n'y uploads/Philosophie/ caujolle-zaslawsky-stephanos-1984-pdf.pdf
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- Publié le Aoû 20, 2021
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