Cours de Marwan Rashed – Paris IV Le monde dans l’antiquité Ce cours doit perme

Cours de Marwan Rashed – Paris IV Le monde dans l’antiquité Ce cours doit permettre d’aborder des thèmes comme « pluralité, unicité du monde », « meilleur des mondes, théodicée », « auteur des mondes », « mondes possibles », « mathématisation du monde (physique, mathématique) », « monde comme objet perceptiviste » (monde comme ce sur quoi nous avons un point de vue) », « éternité du monde ». Cosmos, chaos, eros Le monde est une construction philosophique qui peut s’opérer de multiples manières. L’histoire de la philosophie grecque illustre doublement cette proposition : tout d’abord, en ne traitant pas du monde ès qualité (dans les premiers temps de la philosophie présocratique : le mot manque encore), en s’opposant, en étant le théâtre d’affrontements répétés sur la question de ce qu’il faut traiter comme monde. La question qui va nous intéresser est la querelle qui commence au début du 5ème siècle avec Parménide, puis Démocrite, Anaxagore et Empédocle, puis Platon et Aristote au 4ème siècle. Cette querelle sera structurante dans les systèmes hellénistiques (épicurisme, stoïcisme) et agira puissamment jusqu’à l’âge classique. Il ne faut pas exagérer les contrastes, c'est-à-dire trop régler la philosophie sur l’usage des mots et penser que parce que le mot n’existe pas, le monde n’était pas : l’accès des anciens à l’idée de monde passe par deux notions limitrophes, la totalité (to pan, ta anta) et celle de nature (phusis). Dans Paideia, Werner Jaeger a essayé de reconnaitre dans ANAXIMANDRE l’inventeur de la notion de monde, qui sera plus tard désignée comme cosmos en grec. C’est dans un témoignage, le « dit d’Anaximandre » que Jaeger localise l’apparition du monde, rompant avec la vision hésiodique, archaïque. T1 et T2. Trois idées essentielles : - Distinction de l’usage du mot cosmos et l’usage de la notion - Invitation à définir le monde comme l’homogénéité de la règle (entre régularité et normativité) - Invitation à ne pas interpréter la régularité comme une loi physique au sens moderne du terme mais comme une norme mondaine, c'est-à-dire comme l’expression d’un rapport éthiquement et théologiquement normé entre les événements (une norme éthico-théologique et non une loi physique). Le schème n’est pas celui de la cause et de l’effet physique, mais celui de la rétribution : l’objectif d’Anaximandre est de justifier le tout. C’est la première doctrine du monde d’après Jaeger : un monde est un tout justifié – un tout où règne la Dikè. Ce n’est pas le monde qui appelle à la théodicée, c’est plutôt la théodicée qui permet de déduire que monde il y a. Au plan philologique, dans la terminologie des premiers penseurs grecs, le verbe diacosmein (mettre en ordre) est antérieur à l’utilisation du mot cosmos (monde). Diacosmein est d’un usage courant et classique avant que le mot s’impose. Cosmos s’impose comme le déverbatif, c'est-à-dire qu’on a besoin de créer un substantif au verbe usité, d’offrir un objet à diacosmein. La théodicée précède le monde, qui pousse à exhiber les conditions de production du monde. Guthrie, école de Cambridge : T3. Ces quatre étapes, quelle que soit leur raideur, ont le mérite de laisser entrevoir les termes sémantiques de la question du monde en Grèce. L’idée de monde surgit lorsqu’on pense le tout comme bien ordonné, c'est-à-dire exprimant beauté et bonté (étroitement apparentée chez les grecs), khalos legatos. La justice d’Anaximandre est une façon pertinente de remonter de l’ordre à sa cause : Dikè est une émanation directe de Zeus. C’est pour cela que Zeus est si important en termes philosophiques, parce qu’il commande la justice universelle. Le sens (d) est d’une certaine manière le sens actuel : le monde, ou le cosmos, n’est pas forcément en tant que tel ordonné ; nous ne ressentons pas l’expression « monde aléatoire » ou « monde pourrie » comme un oxymore, ni « meilleur des mondes » comme un pléonasme. (Attention de ne jamais poser comme évident qu’il y a plusieurs mondes possibles). 1 Cours de Marwan Rashed – Paris IV  Certains grecs ont assumé l’oxymore : ils ont dit que le cosmos était régi par les mécanismes de la fortune. Certes, certains philosophes grecs placent le cosmos sous la « juridiction » de la fortune, mais avec le sens du paradoxe terminologique de l’expression.  D’autres penseurs grecs sont allés plus loin encore, et ont tenu cette thèse pour contradictoire. Platon a ainsi soutenu qu’un cosmos ne pouvait être, par définition, aléatoire (se différant à des questions modales essentielles – voir épicurisme et stoïcisme). Pour les tenants de cette thèse, l’expression de « meilleur des mondes » n’a aucun sens puisque le monde est par définition (au sens fort) parfait, optimal. C’est aussi absurde de dire que notre monde est le meilleur que de dire que le sommet d’un cône est le plus haut de ses piques ( ?). L’inintelligibilité confine au non-être : toutes les philosophies qui placent l’eidos au centre de la compréhension tiendront cette thèse. Selon Jaager, l’idée de monde est intimement liée à la notion de justice et de justification. C’est dire que la pensée du monde est une théodicée. Penser le monde, dans ce cadre, c’est le justifier, c'est-à-dire expliquer pourquoi et comment sa structure est la plus juste, la plus belle, la meilleure possible. Le débat grec sur ce qu’est le monde dépend ultimement d’un débat préalable portant sur ce qu’on doit considérer comme bon et juste. Au plan doxographique, il y a deux prétendants au titre d’inventeur de la tradition des sens (b), (c), (d) de Guthrie, c'est-à-dire de dépassement du sens (a) (ornement, décoration, ordre) : - Anaximène : le fragment a l’air très inauthentique. T4 - Pythagore : encore une fois, la forme du fragment semble inauthentique. T5. Le doxographe se borne à dire que Pythagore a nommé « monde » l’enveloppe du tout (« ce qui tient tout autour »), c'est-à-dire le ciel étoilé, et non l’ensemble de la sphère du monde. En toute rigueur ce fragment ne signe pas une innovation terminologique radicale, mais la première spécification de ce terme à la « voûte étoilée ». Le point est douteux ; mais si ce fragment était authentique, on verrait pour la première fois une connexion établie entre la pensée du cosmos et la structure mathématique de l’ordre du ciel, c'est-à-dire la 1ère association entre une régularité mathématique (les trajets astraux) et le monde. Nous y reviendrons, car les partitions d’Aristote et Socrate (division entre supralunaire et sublunaire) s’inscrivent dans cette verticalité, dans cette ligne, initiée par cette pensée pythagoricienne. Dans toute la philosophie présocratique depuis Héraclite, cosmos désigne le monde comme structure ordonnée. Il y a un débat assez vain chez les philologues sur la question de savoir si l’emploi du terme « cosmos » chez les présocratiques est contextuel ou propre : - Contextuel : est-ce que c’est toujours le sens d’ordre, d’ornement, parure qui est prioritaire - Propre : est-ce que l’on parle déjà de l’univers en tant que tel Ce débat s’appuie sur un sophisme considérant que le terme peut être employé contextuellement par des auteurs aussi divers, et sur un arc de temps et un espace géographique aussi grand (un siècle et demi, de l’Asie mineure à la Sicile). A supposer même que l’usage du terme cosmos soit contextuel, le contexte en question est assez fort pour qu’on perde dès le 5ème siècle la sensation d’une simple métaphore : on en est venu à penser le monde comme ordre ou ornement sans y penser. A titre d’hypothèse, on pourrait suggérer l’explication suivante : dans les modèles théogoniques archaïques, notamment chez Hésiode, l’ordre est conçu comme succédant au chaos (T6). Avant toute chose, il y a béance, chaos primordial, avant que n’apparaisse la terre et Eros. Nous aurions ici la matrice qui explique généalogiquement les développements philosophiques ultérieurs, l’insistance avec laquelle les philosophes ultérieurs ont recours au mot cosmos. La désignation comme ordre ou ornement se comprend très bien comme une déthéologisation d’Hésiode, qui n’en gomme pas le point de départ philosophique. Avec la philosophie proprement dite, on ne parlera plus de développement à partir du chaos. Mais on inscrira la réflexion entre deux pôles : le chaos et son autre. C’est ainsi que s’explique l’usage contextuel du terme cosmos : le cosmos n’est autre que la parure, l’ornement, dont se revêt le chaos pour devenir l’univers que nous connaissons. Aristote lui-même écrit au Livre I de la Métaphysique (T7). Aristote cite le vers central de la Théogonie d’Hésiode ; il interprète la théologie d’Hésiode comme procédant d’un dualisme entre informité primordiale et organisation ultérieure, produite par une forme amoureuse. Eros, dans ce schème, devient médiateur entre chaos et cosmos : c’est une leçon qui agira en profondeur dans la première philosophie grecques. Cependant chez Hésiode, la médiation d’Eros est aussi temporelle (phases) ; dans la philosophie, et son geste d’autonomisation réside en ce point, cette médiation est conceptuelle et non plus temporelle. Autrement dit, le chaos n’est plus un état chronologiquement primitif voué à être dépassé ; il est plutôt un uploads/Philosophie/ le-monde-dans-lantiquite.pdf

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