« CONTRAT SOCIAL » Serge Champeau Presses Universitaires de France | « Cités »
« CONTRAT SOCIAL » Serge Champeau Presses Universitaires de France | « Cités » 2002/2 n° 10 | pages 159 à 167 ISSN 1299-5495 ISBN 9782130525530 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-cites-2002-2-page-159.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Autant dire qu’il importe de restituer l’histoire de cette notion si l’on veut donner un contenu précis à l’appel- lation de contractualisme, sous laquelle on range à la fois les théories politi- ques des XVIIe et XVIIIe siècles qui ont fait un usage nouveau du concept de contrat social pour fonder en raison l’État de droit et celles, contemporai- nes et tout aussi diverses, qui s’en ré- clament et entendent poursuivre, sur de nouvelles bases, un projet voisin. Les historiens de la philosophie se sont attachés à interpréter l’émergence du concept de contrat social dans le discours de la philosophie politique moderne. Les synthèses sur les doctri- nes contemporaines qui se réclament de cette tradition sont moins nom- breuses. Jusqu’à une époque récente, celle où les pratiques et théories socialistes et welfaristes de l’État étaient dominantes, des études (celle de S. Goyard-Fabre, par exemple) pouvaient conclure sur l’idée de déclin du concept de contrat social, qui n’aurait pas résisté aux critiques conju- guées de Hegel, de la sociologie du XIXe siècle, du positivisme juridique et des doctrines socialistes. Mais la florai- son des théories du contrat social dans les philosophies de langue anglaise, depuis les années 1970, après le reflux du socialisme et la crise du Welfare State (et de l’utilitarisme auquel, sou- vent, il se référait), est venue démentir ce diagnostic. L’effort philosophique de justification du libéralisme poli- tique a pris la forme, avec Rawls, Scanlon, Gauthier et bien d’autres, 159 « Contrat social » S. Champeau Cités 10, Paris, PUF, 2002 © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 02/11/2020 sur www.cairn.info (IP: 196.89.123.163) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 02/11/2020 sur www.cairn.info (IP: 196.89.123.163) d’une réélaboration du concept de contrat social. Il n’est pas impossible de partir de cette histoire contemporaine du thème contractualiste pour éclairer brièvement en retour, en prenant ap- pui sur des études récentes, l’histoire de ce thème à l’époque moderne. Le renouveau du thème contractua- liste ne doit cependant pas faire ou- blier trois traits fondamentaux de la philosophie politique contemporaine : la diversité des théories du libéralisme qui se réclament du concept de contrat social, le fait que toute justification du libéralisme politique ne prend pas la forme d’une théorie contractualiste et, enfin, l’existence de doctrines critiques à l’égard de ce concept et du libéra- lisme politique auquel il est associé. Le contractualisme est assez vaste, aujourd’hui, pour accueillir l’idée d’un contrat entre individus moraux (chez J. Rawls, par exemple) et celle d’un contrat entre individus animés par la recherche de leur intérêt (chez D. Gauthier, par exemple). La Théorie de la justice (1971) de Rawls est une étape essentielle dans le renouveau du courant contractualiste. Rawls présente lui-même sa tentative comme un prolongement des théories modernes du contrat. L’ouvrage déve- loppe la thèse selon laquelle les mem- bres des démocraties libérales ont des intuitions sur la justice qui dérivent d’une compétence morale, qu’il appar- tient à la théorie de restituer. Rawls re- prend ainsi des éléments importants du contractualisme : nos conceptions de la justice se laissent comprendre si nous faisons l’hypothèse que nous nous considérons comme des indivi- dus dans une position originelle sous voile d’ignorance (faisant abstraction de leurs intérêts particuliers pour se traiter mutuellement comme des êtres libres et égaux) et que nous choisissons ensemble les principes fondamentaux de justice qui, selon Rawls, régissent les démocraties libérales (la distribu- tion égale des libertés fondamentales et la distribution inégale des biens, à la condition que cette dernière satisfasse à l’égalité des chances et qu’elle profite finalement aux plus défavorisés). Les commentateurs n’ont pas manqué ce- pendant de souligner que le rapport de Théorie de la justice au contractualisme moderne est plus problématique qu’il n’y paraît : Rawls n’entend pas, à la différence de Locke ou de Rousseau, dégager un fondement du pouvoir po- litique souverain, mais dériver d’abord d’une morale préexistante (celle des hommes dans la position originelle sous voile d’ignorance) les principes fondamentaux du droit auxquels de- vrait se conformer un tel pouvoir1 ; il oscille entre l’idée d’un accord sans débat, entre des individus sous voile d’ignorance convergeant vers les mê- mes principes, et un accord résultant d’un débat, voire d’une négociation ; enfin, la dérivation rationnelle des principes semble relever aussi bien, dans Théorie de la justice du moins, 160 Lexique politique 1. Cf. R. Sève, dans Individu et justice sociale (Le Seuil, 1988). La dernière version de la théorie de Rawls (Justice as Fairness) se présente plus explicitement comme une théorie de la légitimité. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 02/11/2020 sur www.cairn.info (IP: 196.89.123.163) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 02/11/2020 sur www.cairn.info (IP: 196.89.123.163) d’un raisonnement proprement moral (en ce qui concerne les libertés fonda- mentales) que d’un calcul d’intérêt, certes sous voile d’ignorance (pour la distribution des biens, justifiée par l’argument du maximin : si j’ignore ma position dans la société, j’ai inté- rêt à maximiser le revenu des plus dé- favorisés). Ces ambiguïtés – que dissipe Justice as Fairness (2001) – ont conduit des philosophes à explorer d’autres voies, soit en éliminant tout recours au calcul d’intérêt (T. M. Scanlon), soit, comme le fait D. Gauthier dans Morals by Agreement (1986), en reprenant sur de nouvelles bases, celles de la théorie contemporaine de la rationalité, le contractualisme de Hobbes. Refusant de présupposer, comme le fait Rawls, des prémisses morales, il entend mettre en évidence, dans une perspective ex- plicitement déductive et normative, que des individus rationnels (et non plus raisonnables), conscients de leurs intérêts et désirant les satisfaire, en viendraient à choisir l’ensemble des normes morales et des institutions constitutives des sociétés libérales, cela par « un accord ex ante entièrement volontaire » : le marché, la coopération en vue de l’avantage mutuel (que les échecs du marché rendent nécessaire), le respect des engagements (condition des deux interactions précédentes), la reconnaissance d’une dotation initiale attribuant à chacun des droits fonda- mentaux sur son corps, ses capacités et ses biens (droits pensés comme les conditions de possibilité de tout ac- cord, lequel ne peut avoir lieu sur la base d’une situation entérinant une violence antérieure). La tentative de D. Gauthier, qui entend dériver l’en- semble des institutions libérales et la morale sur laquelle elles reposent de prémisses non morales, et ainsi récon- cilier Locke et Hobbes, témoigne que le contractualisme, dans sa version hobbesienne, est aujourd’hui encore au centre de l’effort de justification du libéralisme politique. La richesse du contractualisme contemporain est telle qu’il en existe de nombreuses autres versions. Mais toute justification rationnelle des insti- tutions démocratiques n’a pas recours au concept de contrat social. Celle de R. Dworkin par exemple, l’une des plus ambitieuses aujourd’hui, entend, à la suite de Locke, reformuler l’idée de la priorité des droits (pensés comme des atouts que les individus peuvent opposer au pouvoir) sans faire interve- nir aucun des thèmes majeurs du con- tractualisme. On a ainsi pu opposer les théories contractualistes et éthiques du libéralisme1. Dans le courant communautarien, enfin, le refus du contractualisme est étroitement associé à la critique de l’individualisme libéral. M. Sandel, lointain descendant de Hegel, oppose à Rawls une autre conception de l’individu, défini par son appartenance à une communauté et agissant à par- tir d’une conception substantielle du bien. 161 « Contrat social » S. Champeau 1. Cf. P. Kelly dans The Social Contract from Hobbes to Rawls. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 02/11/2020 sur www.cairn.info (IP: 196.89.123.163) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 02/11/2020 sur www.cairn.info (IP: 196.89.123.163) Il apparaît donc que les théories du libéralisme politique, lorsqu’elles font appel à des thèmes contractualistes, ne se uploads/Philosophie/ cite-010-0159.pdf
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- Publié le Oct 02, 2021
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