1 Université Paris Ouest Nanterre La Défense Service d'enseignement À distance
1 Université Paris Ouest Nanterre La Défense Service d'enseignement À distance Bâtiment E - 3ème étage 200, Avenue de la République 92001 NANTERRE CEDEX COURS 2015-‐2016 Matière : Philosophie générale (L1) Code Enseignement : 3LHU1741 L’EXPERIENCE Claire Etchegaray CM et TD Chapitre 1 Table des matières en fin de document 36 pages Avertissement : Cette œuvre est protégée par le Code de la propriété intellectuelle. Toute diffusion illégale peut donner lieu à des poursuites disciplinaires et judiciaires. 2 CHAPITRE 1 : AVOIR DE L’EXPERIENCE – ou en quoi l’expérience propre est-elle source de savoir ? Dans l’introduction, l’on a distingué l’expérience vécue et l’expérimentation scientifique, mais l’on a également envisagé que la seconde s’enracine dans la première car pour faire une observation scientifique, il faut bien considérer que quelqu’un la perçoive. Dans un premier temps, alors, on considérera la valeur gnoséologique* de l’expérience propre (on en viendra aux conditions méthodologiques spécifiques à l’expérimentation seulement dans le second chapitre). Par expérience propre, on entend l’expérience que l’on se fait par soi-même. A/ L’EXPERIENCE NATURELLE : SOURCE DE CONNAISSANCE SUR LES CHOSES ? En philosophie, les mots doivent être bien pesés. Lorsque, dans une copie, vous posez la question « l’expérience est une source de connaissance ? », il faut préciser que la question peut s’entendre en deux sens car le terme « source » renvoie à deux choses différentes (mais pas nécessairement exclusives l’une de l’autre d’ailleurs) : origine et fondement. Le travail philosophique (du type de celui que vous devez mener dans une copie) consiste à définir précisément ces termes : - origine : ce à partir de quoi une chose apparaît, est et éventuellement continue à exister. Si l’expérience est à l’origine de la connaissance il faut alors comprendre comment elle peut engendrer ce savoir. - fondement : la raison d’une chose, que ce soit sa raison d’être ou sa justification. Dans ce cas, pour savoir si l’expérience est au fondement de la connaissance, il faut se demander si on peut tenir une opinion pour une connaissance en raison de l’expérience (si la seule expérience peut la justifier). Ainsi pour répondre à la question « l’expérience est-elle source de connaissance ? », il faut en réalité demander : « l’expérience est-elle à l’origine d’un processus intellectuel qui aboutit à la connaissance ? », et « permet-elle de justifier ou prouver un jugement ? ». Pour traiter ce double problème, deux auteurs majeurs vont être ici convoqués : Aristote (-384, -322) et Montaigne (1533-1592). 3 1. La perception et l’induction* La toile est célèbre. Raphaël, L’école d’Athènes. Le détail ci-dessus parle de lui-même. Platon, à gauche, et Aristote, à droite, indiquent chacun ce qu’est, selon eux, le domaine des objets de la connaissance. Du doigt, le Platon de Raphaël pointe le ciel intelligible des Idées quand son disciple Aristote désigne les objets qui nous entourent, le sensible ici-bas. Aristote est donc celui qui revalorise le sensible. Mais ces généralités sont encore trop vagues. Il faut donc entrer dans le détail de leurs arguments. Platon pensait que savoir ce qu’une chose est et ce qu’elle n’est pas c’était connaître une essence (en grec eidos, que l’on peut traduire aussi par idée). Ne peut être connu, selon Platon, que ce qui est et demeure tel qu’il est. Par exemple, savoir ce qu’est la justice c’est savoir la définir sans jamais que ce qui est défini comme juste ne devienne injuste. Ce truisme apparent a des conséquences métaphysiques et gnoséologiques importantes chez Platon : comme les choses sensibles sont indéfiniment changeantes - d’une part parce qu’elles sont variées (un lit n’est jamais le même qu’un autre lit) et d’autre part parce que chacune d’elle est variable (le lit vieillit, se corrompt) – seul ce qui est au principe des choses sensibles peut être, à ses yeux, objet d’une véritable connaissance. Ces essences1 (la Justice en soi, c’est-à- dire l’Idée de justice par exemple, mais aussi la Science en soi, le Lit en soi, etc.) sont les seuls objets qui doivent retenir l’attention du philosophe2. Aristote renverse cette position. Il admet certes, comme on va le voir, que la connaissance consiste à saisir l’essence des choses. Mais il refuse de considérer que cette 1 Platon parle aussi de Formes ou d’Idées (cela pourra être utile de s’en souvenir plus loin, chez Montaigne). 2 Plus exactement, ainsi que le montrent les trois passages bien connus de la République (le texte de la ligne de la connaissance (Rép. VI 509 c – 511e), celui de la caverne et celui de l’image du soleil (Rép. VII, 514 a – 517c)), la philosophie consiste à considérer les choses sensibles comme des images qui ne font que participer à une essence universelle, laquelle est l’unique objet du savoir. 4 essence, universelle, est nécessairement une substance séparée des choses sensibles. Pour la saisir, selon le Stagyrite3, il ne faut donc pas négliger la perception, il faut même l’utiliser. Nous formons les notions universelles des choses, et ce, en les percevant d’abord dans leurs singularités. Par exemple, je n’ai l’idée de rose que parce que j’ai d’abord perçu les qualités sensibles de roses singulières. Comment ? Aristote propose une explication célèbre dans son traité De l’âme : l’âme est comme un morceau de cire où s’impriment les images des choses. Par chacun des cinq sens, l’âme reçoit « les formes sensibles sans la matière, comme la tablette de cire reçoit l’empreinte de l’anneau sans le fer ni l’or » (De l’âme, II.5, 417b15-16). Quand bien même les présupposés psychologiques d’Aristote paraissent datés, il reste qu’il y a là une thèse promise à une longue fortune dans l’histoire de la pensée occidentale : la sensation est tenue pour la réception de qualités émanant de l’objet, qualités qui (puisque je n’ai pas le stylo dans l’œil !) sont formelles et non matérielles4. Mais la perception a ses limites. Aristote précise en effet qu’elle est incapable de nous donner le savoir (Sec. Anal., I.31, 87b). Cela pourrait sembler contradictoire avec ce qui vient d’être dit, mais ce ne l’est pas : la connaissance des essences (des choses sensibles) vient de la perception mais la perception ne suffit pas pour avoir cette connaissance. En tant que telle une perception n’est pas la connaissance d’une essence. Elle n’est qu’une image que l’on reçoit d’une chose singulière. Elle ne perçoit jamais que cette rose, ce bébé, ce stylo, etc. Mais alors comment savoir ce qu’est cette chose ? Pour savoir que cette chose est une rose, que faut-il ? Soit il faut déjà avoir l’idée de rose (mais on retombe sur notre problème : comment cette idée a pu se former ?), soit il faut comprendre qu’elle est une parmi d’autres qui lui ressemblent, i.e. il faut déjà rapprocher telle perception d’une autre (et l’idée se formera en regroupant toutes ces choses dans un même genre, auquel on pourra donner un même nom, ici rose)5. Ce rapprochement, selon Aristote, 3 On utilise souvent cette dénomination pour désigner Aristote. Celui-‐ci est en effet né à Stagyre, en Grèce. Sachez donc qu’il s’agit de lui si vous trouvez l’expression dans un texte. 4 Puisqu’une image, néanmoins, n’est pas suffisante pour définir une sensation, il faut bien qu’il y ait une capacité de sentir (sans laquelle il n’y aurait pas de sensation), c’est ce qu’Aristote nomme le « sens commun », qui unifie les différentes images des différents sens pour nous donner l’idée d’un seul et même objet. 5 Evidemment une perspective platonicienne défendrait la première option : selon Platon l’âme a toujours déjà eu connaissance des Idées parce qu’il est de sa nature de les contempler, il lui faut seulement s’en souvenir. Il lui suffit de redécouvrir les Idées à partir des images sensibles, mais elle n’a pas à les construire, car elle a déjà vu ces Idées comme telles. Platon développe cette thèse dans les passages mythologiques et 5 se fait par l’induction*. Le terme grec est epagogè, formé à partir de agein (amener) et epi (à, au-dessus). En d’autres termes, l’induction désigne chez Aristote l’acte de l’esprit qui amène à concevoir une généralité ou un universel (par-delà le particulier). Le mouvement de l’esprit par lequel on passe d’une chose à une autre se nomme plus communément raisonnement. On peut donc définir l’induction de la façon suivante chez Aristote : Raisonnement qui, à partir d’observations simples généralise naturellement une affirmation. Ce raisonnement a la particularité d’être très commun6. C’est celui que l’on fait spontanément dans notre expérience personnelle, pour se forger un jugement, c’est pourquoi l’illustration qu’en donne Aristote est souvent très prosaïque. Le feu brûle, une rose a des épines, les cygnes sont blancs. Mais c’est aussi un raisonnement qui peut être utile au philosophe (qui se demande ce que c’est que savoir) : ainsi, dit-il dans les Topiques, si on constate que le plus habile pilote est celui qui a aussi le savoir du pilotage, et également que le plus habile cocher est aussi celui qui sait mener un attelage on conclura de façon générale qu’habileté uploads/Philosophie/ chapitre-1 3 .pdf
Documents similaires
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/y1rdwskNNiHFZ2buHf5zbnUhx6dkbvAOeTlIjoHexj2MK486vofvQvY8Fy52sU39WNy3IoZdxMrSn0RxtFPwmL3m.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/KUE7ZgvskFF8Zwz78agw5Z4VwBjym4cQhkJwEFRgAi78eGIFYQ8wlPFlNO9iYnqn2dJGamzVAssWMJn7kEajig0T.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/2NHLsFhmSk1JNNYB7hRKJFgjB5HF0N1Odt33ZFcPwFRud6sWTwlzczrUzVJWFKyRgCGcQGWPuc5pwxrjQ7KJMcYh.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/JmlmRyRqq1fFqWtLB5GJibCq7lHdnNKvhRmLxPadXvLB9cjJGQCsejNqsCmiMBem2aJlbfSkH6R1yjf9fECllEse.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/B5obXJv5eFfJ7Y9k27QpY0IRlzfGp5e7oC0xuFQK0REXDGyL9lLj6trAhyBkkehDSCyhu9fjsioyYmAFYRHKy8ce.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/k29lYZww8MF9n6JSwEwdwcO7505hOIa8D4mAComZaQMAwcDzs4qU1Wj0NCl5QTacQrvfs8L3R9XyuoarCbuA2o3n.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/AuSzu3YZX9Q8s171WWZJDvg93Aasb8b75jE0zn05SfWKUSnzW5YdAPe5ljAC49F3sTTvG1u1NBUK7zxSOAqrLk08.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/hO0j9tzifeNt8pRQEpFA1hoPVhSwjtuqweGKRfuxMHNoBTA42QsoUiXIX3x3S720u1WcMtW12V0in5r05Ud7hyRh.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/IPJxMk78XMNWIBTojakKw450JtpTb8GRPzIg40J2UZSiKLTJouBslb3l4ANsXXV9YmKF179jnYEpXCLRl1P08cvc.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/bMhrPPpBrag9zOqy4lm2VZoW9flAae3DgnhUdFZrvQw8iKKRVkDDBg9lHEgRXbPUBvWnrHpsdMfCLH6jkyhmqZzO.png)
-
22
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Sep 05, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 1.3928MB