1 PHRASÉOLOGIE ET ANALOGIE Mon propos consistera à donner un aperçu de la façon

1 PHRASÉOLOGIE ET ANALOGIE Mon propos consistera à donner un aperçu de la façon dont la linguistique analogique appréhende un certain nombre de questions relatives à la problématique phraséologique. Je tâcherai en particulier de dégager une reformulation de l’une des questions centrales en matière de phraséologie, celle de la compositionnalité. Il convient donc, au préalable, de préciser ce que j’entends ici par analogie. 1. LA PROBLÉMATIQUE ANALOGIQUE EN LINGUISTIQUE On considérera, en première analyse, qu’est analogique toute structure ou tout processus impliquant des similarités. Les structures et processus dont il est question ici sont d’abord des structures et processus cognitifs1. L’analogie est aujourd’hui considérée comme un processus central de la cognition humaine : The ability to make analogies lies at the heart of human cognition and is a fundamental mechanism that enables humans to engage in complex mental processes such as thinking, categorization, and learning, and, in general, understanding the world and acting effectively on it based on her/his past experience […]. The ability to see a novel experience, object, situation or action as being « the same » as an old one, and then to act in an approximately appropriate manner (and then fine-tuned to fit the novel experience), is, almost unquestionably, one of the capacities that sets humans apart from all other animals.2 C’est de ce cette centralité de l’analogie dans la cognition humaine que découle l’hypothèse selon laquelle l’examen systématique des structures et processus analogiques dans les langues et les discours permet d’obtenir des descriptions linguistiques réalistes, c’est-à-dire reflétant des phénomènes cognitifs effectifs chez les individus. En d’autres termes, cette visée réaliste se traduit par l’introduction d’un concept psychologique dans le métalangage. Si l’analogie est toujours fondée sur une similarité, toutes les similarités ne donnent pas lieu à des processus analogiques. La similarité est neutre : la constatation ou la mise en évidence d’une similarité entre deux entités ou structures X et Y permet de conclure aussi bien en faveur de l’identification (X et Y étant similaires, je les traite de la même façon) qu’en faveur de la différenciation (X et Y sont similaires mais restent perçus comme différents) entre X et Y. L’analogie correspond à la première de ces deux situations : elle est un processus consistant à considérer/traiter comme identiques (selon un certain point de vue ou dans un certain objectif) deux entités similaires (ou considérées, perçues comme similaires). Selon une tradition philosophique bien ancrée, la « véritable » analogie est nécessairement proportionnelle, et elle se distingue de la « simple » similarité3. Dans le cadre théorique que je propose, le rapport entre analogie est similarité est d’une toute autre nature. Il ne s’agit pas de deux façons d’envisager la ressemblance – une façon rigoureuse, l’analogie, et une façon non rigoureuse, la similarité – mais de construire une théorie générale de la ressemblance, dans laquelle la ressemblance qui conduit à une identification (l’analogie, donc) est considérée comme le fait crucial. En effet, dans le cas où la similarité ne conduit pas à une identification, les choses sont pour ainsi dire laissées en l’état. Il ne se passe rien, aucun processus ne se déclenche. Une similarité est admise entre X et Y, mais X et Y demeurent dans leur état initial de différentiation. Dans la perspective adoptée ici, la similarité est donc 1 Je reprends ici en partie la présentation de l’analogie que j’ai proposée dans Monneret (2014). 2 Le projet « Humans. The Analogy-Making Species », 2006-2010 (European Commission Grant FP6-NEST 029088), a impliqué neuf universités dans le monde et produit environ 200 publications. Ce projet est accessible à l’adresse suivante : http://cordis.europa.eu/search/index.cfm?fuseaction=proj.document&PJ_RCN=10456257 3 C’est aussi le cas dans les usages informatiques de l’analogie, car seules les analogies proportionnelles peuvent actuellement donner lieu à des calculs automatisés. L’impossibilité de donner un équivalent numérique ou informatique à l’analogie binaire est un verrou technologique qui semble encore à peine perçu, mais dont le dépassement, s’il se produit un jour, conduira certainement à une nouvelle ère informatique. 2 le terme qui vise à prendre en charge la condition nécessaire (mais pas suffisante) de l’analogie. Un processus analogique est un processus cognitif fondé sur des similarités ; une structure analogique est une structure dont la genèse implique un processus analogique. Les similarités pouvant elles-mêmes être de type binaire ou proportionnel, on distinguera deux types d’analogies : (i) L’analogie binaire (Ana (X,Y)), définie par les conditions suivantes : 1°) X et Y (entités ou structures) ne sont pas identiques (condition de différentiation), autrement dit il existe au moins une propriété (D) que possède X mais que ne possède pas Y : ∃ D / D (X) Λ  D (Y) Ex. X = cigarette ; Y = cigarette électronique D = présence de tabac, de papier, combustion du tabac etc. 2°) X et Y possèdent au moins une propriété commune (C) : ∃ C / C (X) Λ C (Y) Ex. X = cigarette ; Y = cigarette électronique C = s’utilise par aspiration et produit de la fumée, présence de nicotine4 Les conditions 1) et 2) expriment la condition de similarité (similarité fondée sur des attributs ou similarité de surface) 3°) il existe, selon un certain point de vue (s5), une hiérarchie entre les propriétés D et C, telle que D est perçue comme une propriété d’arrière-plan (ou générique) et C comme une propriété de premier plan (ou spécifique ou saillante) : [C > D]s Ex. Si l’on considère que les propriétés communes entre la cigarette et la cigarette électronique dominent hiérarchiquement les propriétés différentielles, on effectue une analogie entre ces deux types d’objets. Cette analogie peut être la base d’une législation concernant la cigarette électronique (objet nouveau qui, donc, requiert une évolution de la législation), fondée sur une extension à la cigarette électronique des interdictions s’appliquant à la l’usage de la cigarette. (ii) L’analogie proportionnelle, qui reprend une définition du même ordre, mais à partir de couples d’entités : Ana (X,Y) où X = [x,x’] et Y= [y,y’]. Cette configuration se formule de la façon suivante : « x est à x’ ce que y est à y’ ». 1°) [x,x’] et [y,y’] ne sont pas identiques (condition de différentiation). Il existe au moins une propriété (D) que possède [x,x’] et mais que ne possède pas [y,y’] : ∃ D / D ([x,x’]) Λ  D ([y,y’]) Ex : « la cigarette électronique n'est-elle pas à la tabagie ce que la poupée gonflable est à la luxure ? »6 x = la cigarette électronique ; x’ = la tabagie y = la poupée gonflable ; y’ = la luxure La relation impliquée par le couple « cigarette électronique / tabagie » est évidemment d’une nature différente de celle qui est impliquée par le couple « poupée gonflable / luxure ». Les espaces référentiels et les représentations associées sont clairement distincts. L’ensemble des propriétés différentielles est très vaste. 4 Certains produits utilisables dans les cigarettes électroniques ne contiennent pas de nicotine. Pour simplifier, je laisse ce cas de côté. Dans une analyse plus approfondie, il conviendrait bien sûr de ne pas négliger ce facteur, qui s’ajoute au nombre des propriétés différentielles entre cigarette et cigarette électronique. 5 Initiale de sujet. 6 http://forum.epsilog.com/viewtopic.php?p=116630 3 2°) [x,x’] et [y,y’] possèdent au moins une propriété commune (C), cette propriété commune étant une propriété que partagent deux relations (la relation [x,x’] et la relation [y,y’]) : ∃ C / C ([x,x’]) Λ C ([y,y’]) Dans notre exemple la propriété commune est une idée de substitution par rapport à une entité impliquée par le second membre de chaque couple. La notion de tabagie implique l’objet cigarette, par rapport auquel la cigarette électronique apparaît comme un substitut. La notion de luxure, réduite ici à la sexualité, implique la présence d’un être vivant avec lequel s’exerce la relation sexuelle, être vivant dont la poupée gonflable est un substitut. La propriété commune (C) est donc bien ici une propriété que partagent deux relations. Elle pourrait se formuler au moyen d’une expression comme : « est un substitut permettant l’exercice de » (la cigarette électronique est un substitut permettant l’exercice de la tabagie ; la poupée gonflable est un substitut permettant l’exercice de la luxure). Comme dans le cas précédent, les conditions 1) et 2) expriment la condition de similarité, mais il s’agit ici d’une similarité proportionnelle (ou structurelle). 3°) il existe, selon un certain point de vue (s), une hiérarchie entre les propriétés D et C, telle que D est perçue comme une propriété d’arrière-plan (ou générique) et C comme une propriété de premier plan (ou spécifique ou saillante) : [C > D]s Dans notre exemple, l’analogie semble n’avoir guère d’autre fonction que comique (d’un goût douteux, mais peu importe), cette valeur étant attribuable au rapprochement (fondée sur la propriété commune) de deux champs d’expérience très éloignés, l’éloignement étant la condition de l’effet de surprise produit par l’analogie. Mais on pourrait imaginer un usage moral de cette analogie. Dans un cadre représentationnel (au plan des représentations sociales) où l’usage d’une poupée gonflable serait moralement condamnable, ou au uploads/Philosophie/ monneret-phraseologie-et-analogie.pdf

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