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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : info@erudit.org Article « La philosophie de la nature de Charles De Koninck » Pascal Ide Laval théologique et philosophique, vol. 66, n° 3, 2010, p. 459-501. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/045335ar DOI: 10.7202/045335ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Document téléchargé le 4 octobre 2015 05:29 Laval théologique et philosophique, 66, 3 (octobre 2010) : 459-501 459 LA PHILOSOPHIE DE LA NATURE DE CHARLES DE KONINCK Pascal Ide Rome RÉSUMÉ : Cet article, qui fut d’abord une conférence prononcée lors du Colloque sur Charles De Koninck, à l’Université Laval, du 29 au 31 janvier 2010, se propose d’introduire aux thè- mes majeurs de la philosophie de la nature de l’ancien doyen de la Faculté de philosophie. Se fondant sur la récente édition de ses écrits cosmologiques et épistémologiques, notamment sur un texte de jeunesse (1936), Le cosmos, devenu introuvable et profus en intuitions neuves, l’exposé se propose d’y discerner trois couches de plus en plus profondes. La première expose avec bonheur et pédagogie la philosophie de la nature aristotélico-thomasienne. La deuxième se situe à la croisée féconde de cette première perspective et de l’apport philosophiquement intégré des sciences actuelles, notamment l’histoire du cosmos et de la vie (l’évolution). Enfin, l’étude émet l’hypothèse que, dès ses premières années d’enseignement, Charles De Koninck a ébauché une approche inédite et inachevée touchant les principes même de sa philosophie, que l’on pourrait intituler de manière programmatique : une cosmologie de l’amour. ABSTRACT : This article stems from a lecture delivered in the colloquium on Charles De Koninck which took place at Université Laval, at the end of January 2010. Its purpose is to provide an introduction to the major themes of the philosophy of nature of the former Dean of the Faculté de philosophie. It is based on the recent edition of his cosmological and epistemological writ- ings, notably on an early text (1936), Le cosmos, impossible to find today yet profuse in novel intuitions. It purports to discern three more and more profound layers in it. The first layer is a felicitous and skilful presentation of philosophy of nature in the Aristotelian perspective. The second is at the fertile crossroads between that first perspective and the import, philosophi- cally integrated, of present-day sciences, especially as regards the history of the cosmos and of life (evolution). Finally, this study suggests that, in his first years of teaching already, Charles De Koninck succeeded in sketching a novel though yet incomplete approach bringing out the very principles of his philosophy, which one could venture to entitle provisionally : a cosmol- ogy of love. ______________________ Qu’est-ce que la nature ? Il suffit de poser cette innocente question pour que ceux qui ont quelques connaissances en matière d’histoire de la philosophie soient pris de crainte, à moins qu’ils ne se détournent immédiatement d’un chemin où l’on voit les traces de ceux qui l’ont pris, mais pas celles de ceux qui seraient revenus d’une telle expédition1 ! Le nom de « Nature » […] est la parole fondamentale qui nomme quelques relations es- sentielles de l’homme occidental (l’homme de l’Histoire) à l’étant — que ce soit l’étant 1. Éric WEIL, « De la nature », dans Philosophie et réalité. Derniers essais et conférences, Paris, Beauchesne (coll. « Bibliothèque des Archives de philosophie », 37), 1982, p. 343. PASCAL IDE 460 qu’il n’est pas, ou bien celui qu’il est lui-même. Cela devient visible à simplement énu- mérer des couples d’oppositions devenus canoniques : Nature et Grâce (Sur-nature), Na- ture et Art, Nature et Histoire, Nature et Esprit2. INTRODUCTION ai découvert la pensée de Charles De Koninck (29 juillet 1906-13 février 1965) voici trente-cinq années, alors que j’étais tout jeune étudiant à la Sorbonne et à l’Institut de Philosophie Comparée. J’ai lu avec passion, mais non parfois sans quel- que difficulté, ses écrits épistémologiques (notamment « L’introduction à l’étude de l’âme3 »), politiques (spécialement De la primauté du bien commun contre les per- sonnalistes4). Plus tard, j’ai découvert ce grand écrit théologique qu’est La piété du Fils5 et, professeur de philosophie à la Faculté Notre Dame, à Paris, j’ai enseigné avec fruit la fine distinction entre philosophie et sciences opérée par l’important arti- cle « Les sciences expérimentales sont-elles distinctes de la philosophie de la na- ture6 ? » ou l’ouvrage fondamental d’un de ses disciples, Émile Simard, Nature et portée de la méthode scientifique7. En répondant à l’invitation de participer à ce colloque sur la pensée de Charles De Koninck, je suis heureux de pouvoir à la fois rendre hommage à celui qui a guidé mes pas dans le délicat apprentissage de l’épistémologie et, plus encore, de la philo- sophie de la nature, ainsi que lui manifester ma gratitude — sans oublier que la dette de la piété filiale est insolvable. Pour cela, je partirai du premier volume du premier tome8 en son édition fran- çaise qui est thématique (alors que l’édition simultanée en anglais obéit astucieuse- ment à un autre principe d’ordre, chronologique). En le lisant, j’ai découvert un texte que j’ignorais, car il s’agit de notes de cours que, bien que datant de 19369, le jeune et nouveau professeur à la Faculté de philosophie de l’Université Laval (nommé 2. Martin HEIDEGGER, « Ce qu’est et comment se détermine la phusis », trad. François Fédier, dans Ques- tions II, Paris, Gallimard, 1968, p. 178. 3. « L’introduction à l’étude de l’âme », Laval théologique et philosophique, 3, 1 (1947), p. 9-65. Il s’agit de l’introduction de l’ouvrage de Stanislas CANTIN, Précis de psychologie thomiste, Québec, PUL, 1948. Réédité dans Yves LAROCHELLE, éd., Œuvres de Charles De Koninck, t. 1, Philosophie de la nature et des sciences, vol. 1, Québec, PUL, 2009, p. 155-230. 4. De la primauté du bien commun contre les personnalistes. Le principe de l’ordre nouveau, Québec, Fides, PUL, 1943. 5. Québec, PUL, 1954. Cet ouvrage regroupe les nombreux textes de Charles De Koninck en théologie, textes qui lui ont valu un doctorat en théologie de l’Université Laval en 1962. 6. Charles DE KONINCK, « Les sciences expérimentales sont-elles distinctes de la philosophie de la nature ? », Culture, II, 4 (décembre 1941), p. 465-476. Republié dans Œuvres de Charles De Koninck, t. 1, vol. 1, p. 141-152. 7. Émile SIMARD, Nature et portée de la méthode scientifique. Exposé et textes choisis de philosophie des sciences, Québec, PUL, 19582. Bien que datant d’il y a plus d’un demi-siècle et malgré les importants ap- ports d’un Popper, d’un Kuhn, d’un Lakatos, d’un Feyerabend, etc., cette étude me semble toujours aussi riche. L’ouvrage s’est notamment inspiré de notes de cours inédites de Charles DE KONINCK, Méthodolo- gie scientifique, Québec, Université Laval, 1940-1941. 8. Tous les chiffres entre parenthèses dans le texte renvoient à cette édition. 9. Je reviendrai plus loin sur cet intrigant paradoxe. J’ LA PHILOSOPHIE DE LA NATURE DE CHARLES DE KONINCK 461 en 1935, il n’a pas encore trente ans) n’a jamais voulu publier et qui se trouve enfin à la disposition du grand public : Le cosmos. Une surprise m’attendait. Je croyais me retrouver devant un traité de scolastique sinon sans fraîcheur, du moins sans nouveau- té. Or, quels ne furent pas mon étonnement et bientôt mon bonheur de constater qu’il n’en était pas ainsi. Les enthousiasmes de jeunesse n’ont pas déçu les clairvoyances plus grandes de la maturité (pour autant que j’ai accosté aux rivages de celle-ci). Partant de ce texte de jeunesse — non sans y laisser résonner bien des œuvres successives —, je proposerai une lecture en quelque sorte stratifiée du De natura de Charles De Koninck. J’y discernerai trois couches de plus en plus profondes : l’une proprement aristotélicienne et thomasienne, l’autre à la croisée féconde de cette pre- mière perspective et de l’apport philosophiquement intégré des sciences actuelles, la dernière, originale, que je qualifierai en son temps. En traitant de la cosmologie, ce texte abordera aussi l’épistémologie10 qui l’accompagne — comme l’intention se- conde suit l’intention première — et, inversement, la commande — un peu comme la logique, dans l’ordo disciplinae médiéval, introduit aux autres sciences11. I. À L’ÉCOLE D’ARISTOTE ET DE SAINT THOMAS Le titre Le cosmos pourrait tromper tant le terme est associé à l’astronomie. Certes, la première partie de l’ouvrage résume les grands acquis scientifiques relatifs à l’univers (celui-ci devant d’ailleurs s’entendre en son sens englobant, car il y est aussi traité de l’évolution du vivant)12, mais la deuxième partie, quatre fois plus volu- mineuse que la première, est uploads/Philosophie/ charles-de-konninck.pdf

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