Panagiotis Dellis Ecole des Belles Lettres Section Grec Ancien et Latin Michel

Panagiotis Dellis Ecole des Belles Lettres Section Grec Ancien et Latin Michel Foucault Pour une bio-éthique de soi Michel Foucault Université de Jannina Année Universitaire 2010-2011 Michel Foucault Pour une bio-éthique de soi par Panagiotis Dellis 1 Michel Foucault Pour une bio-éthique de soi par Panagiotis Dellis I. L’êthos philosophique dans l’ontologie critique de Michel Foucault La critique, c’est bien l’analyse des limites et la réflexion sur elles. Ce qui, on le voit, entraine pour conséquences que la critique va s’exercer non plus dans la recherche des structures formelles qui ont valeur universelle, mais comme enquête historique à travers les événements qui nous ont amenés à nous constituer, à nous reconnaître comme sujets de ce que nous faisons, pensons, disons. En ce sens, cette critique n’est pas transcendantale, et n’a pas pour fin de rendre possible une métaphysique: elle est généalogique dans sa finalité et archéologique dans sa méthode. Archéologique, et non pas transcendantale, en ce sens qu’elle ne cherchera pas à dégager les structures universelles de toute connaissance ou toute action morale possible; mais à traiter les discours qui articulent ce que nous pensons, disons et faisons comme autant d’événements historiques. Et cette critique sera généalogique en ce sens qu’elle ne déduira pas de ce que nous sommes ce qu’il nous est impossible de faire ou de connaître; mais elle dégagera de la contingence qui nous a fait être ce que nous sommes la possibilité de ne plus être, faire ou penser ce que nous sommes, faisons ou pensons. Elle ne cherche pas à rendre possible la métaphysique enfin devenue science; elle cherche à relancer aussi loin et aussi largement que possible le travail indéfini de la liberté. C’est dire que cette ontologie historique de nous-mêmes doit d’un côté ouvrir un domaine d’enquêtes historiques et de l’autre se mettre à l’épreuve de la réalité et de l’actualité, à la fois pour saisir les points où le changement est possible et souhaitable et pour déterminer la forme précise à donner à ce changement. C’est dire qu’elle doit se détourner de tous ces projets qui prétendent être globaux et radicaux. Caractériserions donc l’êthos philosophique propre à l’ontologie critique de nous-mêmes comme une épreuve historico-pratique des limites que nous pouvons franchir et donc comme travail de nous-mêmes sur nous-mêmes en tant qu’être libres. L’expérience théorique et pratique que nous faisons de nos limites et leur franchissement possible est toujours elle-même limitée, déterminée et donc à recommencer. Les ensembles pratiques relèvent de trois grands domaines: celui des rapports de maîtrise sur les choses, celui des rapports d’action sur les autres, celui des rapports à soi-même. Cela ne veut pas dire que ce sont là trois domaines complètement étrangers les uns aux autres; et celui-ci implique toujours des relations à soi; et inversement. Mais il s’agit de trois axes dont il faut analyser la spécificité et l’intrication: l’axe du savoir, l’axe du pouvoir, l’axe de l’éthique. En d’autres termes, l’ontologie historique de nous-mêmes a à répondre à une série ouverte de questions, elle a affaire à un nombre non défini d’enquêtes qu’on peut multiplier et préciser autant qu’on voudra; mais elles répondront toutes à la systématisation suivante: comment nous sommes-nous constitués comme sujets de notre savoir; comment nous sommes-nous constitués comme sujets qui exercent ou subissent des relations de pouvoir; comment nous sommes-nous constitués comme sujets moraux de nos actions. Le travail critique nécessite, pensons, toujours le travail sur nos limites, c’est- à-dire un labeur patient qui donne forme à l’impatience de la liberté. Michel Foucault Pour une bio-éthique de soi par Panagiotis Dellis 2 II. Rationalisation et pouvoir politique Les hommes du XIXe siècle se demandèrent si la raison n’était pas en passe de devenir trop puissante dans nos sociétés. Ils commencèrent à s’inquiéter de la relation qu’ils devinaient confusément entre une société encline à la rationalisation et certaines menaces pesant sur l’individu et ses libertés, l’espèce et sa survie. Le lien entre la rationalisation et les abus du pouvoir politique est évident. Et nul n’est besoin d’attendre la bureaucratie ou les camps de concentration pour reconnaître l’existence de telles relations. Autrement dit, depuis Kant, le rôle de la philosophie a été d’empêcher la raison de dépasser les limites de ce qui est donné dans l’expérience; mais, dès cette époque, c’est-à-dire, avec le développement des Etats modernes et l’organisation politique de la société, le rôle de la philosophie a aussi été de surveiller les abus de pouvoir de la rationalité politique, ce qui lui donne une espérance de vie assez prometteuse. Chacun sait que dans les sociétés européennes le pouvoir politique a évolué vers des formes de plus en plus centralisées. Des historiens étudient cette organisation de l’Etat, avec son administration et sa bureaucratie, depuis plusieurs décennies. Bref, le problème politique est celui de la relation entre l’un et la multitude qui se trouve entre l’Etat, comme type d’organisation politique, et ses mécanismes, à savoir le type de rationalité mis en œuvre dans l’exercice du pouvoir d’Etat. Voudrions suggérer ici la possibilité d’analyser une espèce de transformation touchant ces relations de pouvoir. Cette transformation est peut-être moins connue. Mais croyons qu’elle n’est pas non plus sans importance, surtout pour les sociétés modernes. En apparence, cette évolution est opposée à l’évolution vers un Etat centralisé. Songeons, en fait, au développement des techniques de pouvoir tournées vers les individus et destinées à les diriger de manière continue et permanente. Si l’Etat est la forme politique d’un pouvoir centralisé et centralisateur, appelons pastorat le pouvoir individualisateur.1 Le gouvernement des hommes par les hommes - qu’ils forment des groupes modestes ou importants, qu’il s’agisse du pouvoir des hommes sur les femmes, des adultes sur les enfants, d’une bureaucratie sur une population - suppose une certaine forme de rationalité, et non une violence instrumentale. Ce qui est frappant, c’est que la rationalité du pouvoir d’Etat était réfléchie et parfaitement consciente de sa singularité. Elle n’était point enfermée dans des pratiques spontanées et aveugles, et ce n’est pas quelque analyse rétrospective qui l’a mise en lumière. Elle fut formulée, en particulier, dans deux corps de doctrine: la raison d’Etat et la théorie de la police. La rationalité politique s’est développée et imposée au fil de l’histoire des sociétés occidentales. Elle s’est d’abord enracinée dans l’idée de pouvoir pastoral, puis dans celle de raison d’Etat. L’individualisation et la totalisation en sont des effets inévitables. La libération ne peut venir que de l’attaque non pas de l’un ou l’autre de ces effets, mais des racines mêmes de la rationalité politique. Von Justi associe la « statistique » (la description des Etats) et l’art de gouverner. De l’autre part, il est absurde d’invoquer la « raison » comme l’entité contraire de la non-raison. Enfin, parce qu’un tel procès nous piégerait en nous obligeant à jouer le rôle arbitraire et ennuyeux du rationaliste ou de l’irrationaliste. Pour nous résumer, la raison d’Etat n’est pas un art de gouverner suivant les lois divines, naturelles et humaines. Ce gouvernement n’a pas à respecter l’ordre général du monde. Il s’agit d’un gouvernement en accord avec la puissance de l’Etat. 1 Le christianisme, pour sa part, conçut la relation entre le pasteur et ses bredis comme une relation de dépendence individuelle et complète. C’est assurément l’un des points sur lesquels le pastorat chrétien diverge radicalement de la pensée grecque. Si un Grec avait à obéir, il le faisait parce que c’était la loi, ou la volonté de la cité. S’il arrivait de suivre la volonté de quelqu’un en particulier (médecin, orateur ou pédagogue), c’est que cette personne l’avait rationnellement persuadé de le faire. Et cela devait être dans un dessein strictement determiné: se guérir, acquérir une compétence, faire le meilleur choix. Michel Foucault Pour une bio-éthique de soi par Panagiotis Dellis 3 C’est un gouvernement dont le but est d’accroître cette puissance dans un cadre extensif et compétitif. Telle fut la « ligne de conduite » dans le précédent travail de Michel Foucault: analyser les rapports entre des expériences comme la folie, la mort, le crime ou la sexualité, et diverses technologies du pouvoir. Son travail porte désormais sur le problème de l’individualité, ou, devrions-nous dire, de l’identité en rapport avec le problème du « pouvoir individualisant ». Même si les Lumières ont été une phase extrêmement importante dans notre histoire, et dans le développement de la technologie politique, nous croyons que nous devons nous référer à des processus bien plus reculés si nous voulons comprendre comment nous nous sommes laissés prendre au piège de notre propre histoire. En revanche, il semble, c’est en tout cas l’hypothèse que nous voudrions explorer ici, qu’il y a tout un champ d’historicité complexe et riche dans la manière dont l’individu est appelé à se reconnaître comme sujet moral de la conduite sexuelle. III. Pratiques et techniques de soi Foucault distingue des techniques de soi qui permettent à des individus d’effectuer, par eux-mêmes, un certain nombre d’opérations sur leur corps, leur âme, leurs pensées, leurs conduites, et ce de manière à produire en eux une transformation, une modification, et à atteindre uploads/Philosophie/ pour-une-bio-ethique-de-soi-2010.pdf

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