Quaderni Communication, technologies, pouvoir 71 | Hiver 2009-2010 Le changemen

Quaderni Communication, technologies, pouvoir 71 | Hiver 2009-2010 Le changement climatique : les résistances à l'adaptation Télétravail : le travail fluide Sylvie Craipeau Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/quaderni/534 DOI : 10.4000/quaderni.534 ISSN : 2105-2956 Éditeur Les éditions de la Maison des sciences de l’Homme Édition imprimée Date de publication : 5 janvier 2010 Pagination : 107-120 Référence électronique Sylvie Craipeau, « Télétravail : le travail fluide », Quaderni [En ligne], 71 | Hiver 2009-2010, mis en ligne le 05 janvier 2012, consulté le 19 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/quaderni/534 ; DOI : 10.4000/quaderni.534 Tous droits réservés QUADERNI N°71 - HIVER 2009-2010 TELETRAVAIL : LE TRAVAIL FLUIDE .107 télétravail : le travail luide Institut Telecom Cetcopra Sylvie Craipeau T e c h n i q u e Le télétravail existe-t-il… enin? Qu’est devenu le télétravail, ce concept née aux États-Unis en 1976 ? Au moment où le concept de télématique, développé par le rapport Nora/ Minc est dépassé par son propre succès, puis- que le déploiement d’internet en a proposé une alternative au niveau mondial, peut-on toujours parler de télétravail ? Si ce concept existe tou- jours, recouvre-t-il la même réalité qu’il y a trente ans ? Inutile de tenter de compter, comme cela a été fait pendant des années, le nombre de télétravailleurs (première demande de l’Union Européenne en 1982, travaux de l’OCDE en 1991, etc.). S’engager dans cette tâche est difi- cile si ce n’est impossible, car cela nécessite de savoir précisément qui est télétravailleur, quelle déinition on donne au télétravail, et surtout, comment repérer une forme de travail qui est essentiellement non institutionnalisée. Si nous prenons le chiffre donné par le rapport de Chantal Rey sur le travail à domicile (Rey, C.,1999) nous pouvons dénombrer 16 000 télétravailleurs en 1993. Mais combien sont les télétravailleurs pen- dulaires, ceux qui alternent travail à domicile et travail au bureau, ou ceux qui « débordent » leur activité à leur domicile le soir ou le week-end, combien sont les travailleurs mobiles ? Le rapport Morel-A-Lhuissier signale que la faiblesse de la population concernée par le télétravail en France, (7 % de la population active salariée, contre 13% pour la moyenne européenne) vient de « motifs de stratégie de négociation ». 2% des salariés pratiqueraient le télétravail à domicile contre 5% en télétravail nomade (Morel-A-Lhuissier 2006). « Cette forme d’organisation est afichée avec une certaine ierté en Suède comme un moyen de mieux prendre en compte les contraintes des 108. TELETRAVAIL : LE TRAVAIL FLUIDE QUADERNI N°71 - HIVER 2009-2010 salariés, le terme est récusé en France pour les télétravailleurs mobiles en raison des risques ouverts par une négociation collective sur ce point » remarque Morel-A-Lhuissier. Est-ce pour cela que le télétravail est la plupart du temps clandestin1 ? Nous faisons l’hypothèse que cette dificulté à identiier le télétravail, particulièrement en France, indique ce qui est en jeu dans cette forme d’organisation du travail. Derrière les batailles de chiffres, identiions donc les logiques qui sous-tendent le développement des différentes formes de télétravail, leur reconnaissance ins- titutionnelle, leur légitimité. Cherchons donc à savoir ce qu’a été l’évolution du télétravail depuis une trentaine d’années, et ce qu’il représente aujourd’hui. Nous verrons alors que les utopies mises en avant par les acteurs politiques ainsi que les représentations véhiculées, en particulier par la presse sur la même période, ne correspondent pas à la réalité du télétravail et de son évolution. Pour faire cette analyse, nous nous appuyons sur une connaissance approfondie du domaine, connaissance de longue date, puisque nous avons mené une enquête européenne de 1982 à 1984, une recherche intervention de 1988 à 19902. Nous complétons ces travaux par une recherche et une analyse documentaire plus récentes. Celles-ci re- posent sur les recherches les plus récentes sur le sujet ainsi que sur les travaux menés à la demande du gouvernement français en 2006 (député Morel- A-Lhuissier 2006)3 et sur la dernière recherches menée sur le thème et publiée dans sociologie du Travail. Nous confronterons alors ces résultats d’enquête avec la façon dont le télétravail était appréhendé dans la presse quotidienne et la presse économique des années quatre-vingt, mais aussi avec la façon dont le thème du télétravail nous est donné à voir sur Internet de nos jours. Cette confrontation permettra de repérer les logiques qui ont sous-tendu le développement du télétra- vail et de mieux comprendre ce qu’a été la stra- tégie des acteurs de ce développement, ce qu’ils ont cherché à faire passer comme information, les valeurs qu’ils ont voulu associer au télétravail. Nous verrons que les utopies mises en avant par les acteurs politiques, les représentations véhicu- lées en particulier par la presse, ne correspondent pas à la réalité du télétravail telle qu’elle se donne à voir en 2007. Nous verrons que le télétravail, tel qu’il apparaît en 2007, ne correspond pas aux représentations qu’en a données en particulier la presse depuis trente ans. Tout d’abord le télétravail concerne plus les hommes que les femmes, alors que ces dernières apparaissaient comme la cible privilé- giée d’une forme de travail qui leur permettrait de concilier vie de famille et activité professionnelle. Mais le nombre supérieur d’hommes correspond au fait que ce sont surtout les ingénieurs et cadres, catégories socio professionnelles salariées les plus élevées, qui forment la plus grande part des télétravailleurs5. Enin, ce n’est pas le travail à domicile mais le télétravail occasionnel et surtout, le travail mobile qui dominent. Deux secteurs sont particulièrement concernés, le secteur inancier et les services aux entreprises (16%de travailleurs nomades). Surtout, le développement du télé- travail, soutenu par les acteurs socio-politiques dans une visée de développement de territoire, d’économie d’énergie et de lutte contre la pollu- tion n’est pas la igure clé du télétravail actuel. Les entreprises qui ont investi dans ce domaine ont surtout poursuivi une logique d’économie QUADERNI N°71 - HIVER 2009-2010 TELETRAVAIL : LE TRAVAIL FLUIDE .109 de coûts ixes et d’augmentation de la lexibilité du travail. Par ailleurs on peut considérer que l’image dominante du télétravail comme travail à domicile, développée dans les années soixante- dix, ne correspond pas à la réalité actuelle du télétravail, mais révèle inalement une logique dominante du développement de cette igure or- ganisationnelle depuis trente ans, igure essentiel- lement implicite : une certaine dérèglementation du travail salarié. Le télétravail comme offre de services et d’outils L’exploration du terme télétravail sur Google nous donne à voir, dès la première page, les dimensions clés auxquels il renvoie pour l’in- ternaute, cette approche permet d’illustrer ce que devient la représentation dominante de cette igure de travail. La première occurrence consiste en une offre commerciale de logiciel de collabo- ration. Or le télétravail a bien été inventé par un opérateur de télécommunications, ATT, et mis en avant par nombre d’opérateurs, en particulier en France, pour développer la demande de réseaux et les lux de télécommunications. Puis une annonce propose à l’internaute de gagner rapidement de l’argent, d’autres proposant de l’aide pour trouver un emploi ou des partenaires, le télétravail étant souvent associé au travail en freelance, en réseaux d’experts, c’est-à-dire qu’il renvoie à des sites de recrutement ou de recherche d’emploi. Un exemple, « Teletravailonline se positionne à la fois comme le site communautaire des télétravailleurs…et comme un centre de res- sources pour les différents publics (entreprises, salariés, télétravailleurs, indépendants, porteurs de projets, collectivités locales…) par l’existence de son répertoire de candidats et d’offres de missions ». Ce premier contact est donc riche d’informa- tions : le télétravail est une notion intégrée dans le quotidien des personnes, ou plutôt des internautes (et il serait nécessaire de savoir qui va sur cette page, qui cherche ce type d’information). En tout état de cause, il constitue une offre : offre de services, offre d’outils informatiques. L’arti- cle de Wikipédia, quant à lui, situe le télétravail directement du côté du travail à domicile dès les premiers mots de l’article : « le télétravail ou tra- vail à domicile est le fait d’exercer ou d’organiser un travail à distance par le biais des technologies de l’information ». Sur une page d’écran, nous avons ce qui compose la réalité du télétravail tant dans son développement actuel que dans un sens qui lui est donné depuis plus de trente ans. C’est-à- dire une réalité qui renvoie au développement des technologies de l’information, et aux transformations du travail telles qu’elles sont à l’œuvre sur cette période. Dans le même temps, nous restons dans une déinition très étroite, restrictive, de ce mode de travail. En effet, depuis ses premiers développements dans les années soixante-dix, le télétravail renvoie à un projet, parfois une utopie, paradoxal : l’association de techniques et de modes d’organisation qui transforment complètement les façons de concevoir temps et espace de travail d’un côté, de l’autre une tendance à considérer le télétravail comme une possibilité de revenir au travail à domicile, igure du travail antérieure à l’industrialisation. Cette association du télétravail 110. TELETRAVAIL : LE TRAVAIL FLUIDE QUADERNI N°71 - HIVER 2009-2010 à domicile est dominante, tant dans les premiers développements et dans les premières rélexions que maintenant, uploads/Philosophie/ quaderni-534.pdf

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