A partir de l'oeuvre de Christian Metz (1931-1993) IDIXA.NET Depuis l'article "

A partir de l'oeuvre de Christian Metz (1931-1993) IDIXA.NET Depuis l'article "Le cinéma, langue ou langage ?" publié en 1964 dans un numéro célèbre de la revue Communications, le nom de Christian Metz est associé à la sémiologie du cinéma. Enseignant à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), il a développé le projet sémiologique en s'appuyant d'abord sur la linguistique structurale puis sur la psychanalyse lacanienne. Au cinéma, le spectateur sait qu'il est dans un film et que ce film est un film de fiction. Il sait que ce n'est pas un rêve, et pourtant il se laisse aller comme si c'était un rêve, une rêverie éveillée. Si Christian Metz s'est suicidé en 1993 à l'âge de 62 ans, c'est peut-être en partie parce qu'il s'interrogeait sur la pertinence de ses choix sémiologiques (on peut opposer à la sémiologie du cinéma les mêmes objections que celles d'Hubert Damisch dans ses huit thèses sur la sémiologie de la peinture)... mais qui sait ce qui peut pousser au suicide? 1 I. Le cinéma règle le rapport au désir Le cinéma de notre époque contribue à régler le rapport au désir. Privilégiant l'individuel sur le social, il incarne un imaginaire intensément vécu, où le spectateur trouve des points d'appui pour préserver et entretenir son propre désir. Alors que le roman ou le théatre préservaient la personnalité du lecteur, le cinéma demande au spectateur de renoncer à ses capacités critiques pendant le temps du film. Sur l'écran, nous voyons des objets qui, en réalité, sont absents. C e clivage de la croyance nous émerveille et libère notre imagination. Nous en jouissons comme d'un fétiche. Nous entrons dans le fantasme d'autrui, tel qu'il a été stabilisé par le scénario et la mise en scène. Des désirs ou des pulsions usuellement refoulés peuvent être, selon les cas, flatté ou déçus; en tout état de cause, ils sont réactivés. En exigeant du spectateur l'immobilité, la suspension de ses investissements d'objets habituels et la prise de distance par rapport à la projection, en le réduisant à un pur regard où à l'immédiaté d'un acte de perception, le cinéma favorise des facteurs inconscients o u fantasmatiques qui, dans la vie courante, ne viennent pas à la surface. Tout-puissant, tout- percevant, en état de faiblesse ou invité à regarder des scènes qui fonctionnent comme scènes primitives, le sujet est conduit à s'identifier à des personnages ou à des héros dont la liberté est factice. Il est plongé dans un monde hallucinatoire. Les mouvements de la caméra contribuent à affaiblir et même parfois détruire son unité subjective. 2 Tout film est un film de fiction qui réélabore certains contenus inconscients. Le fait que la rêverie soit éveillée oblige à structurer ces contenus, à les subordonner à une impression de réalité, mais ne les détruit pas. Le spectateur se laisse aller au film dans ses trous de conscience. Il peut vivre une autre relation d'objet, un autre érotisme, un autre rapport à l'amour. Les censures ne sont plus les siennes, mais celles du film. Il y a là une obscénité irréductible. Quand nous adhérons à un film, nous nous identifions à d'autres corps que le nôtre - sans pour autant tomber dans l'illusion d'un rapport objectal plein. Par le cinéma, nous nous nous accoutumons à des codes hétérogènes auxquels nous pouvons nous identifier. 3 Le cinéma préserve et entretient le désir Le désir renaît vite après son apparente extinction, il se nourrit de lui-même, il a ses rythmes propres. Il est indépendant du plaisir obtenu. Pour survivre, il maintient le manque. Les objets réels ne sont toujours que des substituts à son objet : ils peuvent être nombreux et interchangeables. Tous les arts et moyens d'expression fondés sur la vue et l'ouïe (peinture, musique, opéra, théatre) s'appuient sur ces traits. Mais le cinéma fait un tour de plus : il offre des spectacles et des sons particulièrement variés, il a une affinité particulière avec l'imaginaire. Il est incompatible avec l'illusion de combler la béance. Il repose sur la poursuite infinie de l'objet absent, sur l'évocation symbolique et spatiale de la déchirure fondamentale. Ce que le cinéma propose à la perception est absent (contrairement au théatre). Il est d'emblée inaccessible, dans un ailleurs primordial, un infiniment désirable et jamais possessible. A cette scène absente s'ajoute un autre retrait : le temps du film, j'abandonne mes désirs et mes identifications habituels. D'autres voies s'ouvrent au désir. 4 Le cinéma nous ouvre l'accès à l'inconscient visuel, comme la psychanalyse nous ouvre l'accès à l'inconscient pulsionnel Depuis Freud, on prête attention aux lapsus ou à certains aspects de la conversation qui passaient complètement inaperçus avant lui. Le cinéma élargit de manière analogue le monde des objets dans l'ordre visuel, et aussi dans l'ordre auditif. Le film permet d'isoler les éléments d'une performance à un degré beaucoup plus élevé que le théatre, de façon presque scientifique (comme la photographie, ou la façon dont l'image a pu être utilisée à la Renaissance, par exemple par Léonard de Vinci). Il peut inventorier la réalité par des gros plans, faire découvrir de nouvelles formes de mouvement par le ralenti (glissants, aériens ou surnaturels), faire apparaître des détails que la conscience usuelle ne repère pas. --- Benjamin emploie une formule presque identique quand il évoque le hic et nunc de la photographie : l'appareil photographique révèle un espace élaboré de manière inconsciente, qui diffère de l'espace consciemment travaillé, tel qu'il parle à l'oeil. 5 Au cinéma, le voyeur ne peut pas s'appuyer sur la complaisance de l'objet vu, qui est absent Le cinéma est apte à traiter les scènes érotiques [ou pornographiques] qui reposent sur le voyeurisme direct, non sublimé. Il est à la même place que le voyeurisme, mais installe une nouvelle figure du manque. Si l'objet vu est absent, il ne peut pas y avoir de rapport objectal. Cette illusion est détruite. L'acteur était présent lorsque le spectateur ne l'était pas, et vice- versa. Le rendez-vous du voyeuriste et de l'exhibitioniste est manqué. Leurs démarches ne se rejoignent plus. L'ailleurs devient vraiment inaccessible. Le voyeur se retrouve vraiment seul - comme dans une scène primitive, ou avec d'autres voyeurs, ce qui est pire. Le film se laisse voir sans se faire voir. Le spectateur est privé de l'accord réhabilitant, du consensus réel ou supposé avec l'autre. L'acteur ne salue pas, il ne regarde jamais le public, il ne laisse qu'une trace. Tout érotisme exploite la distance à l'objet vu. Le cabaret ou le strip- tease supposent une certaine complicité perverse de l'objet, une identification croisée. Il y a toujours dans le voyeurisme une part de sadisme, car il induit le masochisme : "Puisqu'il est là, c'est qu'il le veut bien" se dit le voyeur avec ou sans hypocrisie. L'exhibitionnisme de l'objet et l'interchangeabilité des places sont des fictions, mais elles sont nécessaires à l'illusion d'une pseudo- plénitude du rapport objectal. 6 Le cinéma est fétichiste : sa machinerie fait oublier l'absence de l'objet devant lequel le spectateur s'émerveille Comme la perversion, le cinéma repose sur un clivage de la croyance. Son fétiche est l'outillage du cinéma tout entier, qui engendre un véritable fétichisme de la technique. Son appareillage, ses accessoires, ses pratiques spécialisées, ses effets spéciaux, ses exploits, font oublier l'absence de l'objet (remplacé par son reflet). Ils désavouent un manque et du coup l'affirment sans le vouloir. Le cinéma est d'autant plus technique qu'il est plus pervers. Sa force de présence repose sur ces prouesses. Le plaisir qu'il procure est lié à dimension industrielle. Le fétiche a pour fonction de restaurer le bon objet. Il masque l'effrayante découverte du manque et couvre la blessure. L'objet devient désirable sans trop de peur. D'où le plaisir cinématographique. Parce qu'il tente de désavouer le témoignage des sens, le fétiche témoigne que ce témoignage a bien été enregistré. Il n'a pas seulement valeur de désaveu, mais aussi de connaissance. 7 L'identification cinématographique primaire est l'identification du spectateur à son propre regard Pour l'enfant, le miroir est le lieu de l'identification primaire. Il se voit dans le miroir comme un autrui avant de s'identifier à son propre regard. Cette dernière identification, secondaire pour l'enfant, est fondatrice pour le cinéma : il faut que le spectateur soit réduit à un pur regard (sujet transcendantal) pour que l'illusion se produise. Ainsi le spectateur trouve-t-il d'autres identifications que son propre corps, par exemple les personnages de la fiction. Ces identifications se diversifient : par exemple les regards des personnages dans le champ n'induisent pas le même type d'identification que ceux qui sont hors-champ. Des lignes d'identifications successives se dessinent dont l'ensemble constitue l'identification cinématographique secondaire. 8 L'écran du cinéma est un miroir où le spectateur peut trouver d'autres identifications que son propre corps Dans l'expérience du miroir telle que décrite par Lacan, l'enfant s'identifie à lui-même comme objet. Il se voit dans son unité, mais comme un autrui, cet autre être humain qui est dans la glace. Le cinéma peut être comparé à cette expérience primordiale par plusieurs aspects : - le spectateur est uploads/Philosophie/ christian-metz-synthese-d-x27-un-cinema-psychanalyse.pdf

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