Arthur Schopenhauer Les douleurs du monde Pensées et fragments Traduction Jean

Arthur Schopenhauer Les douleurs du monde Pensées et fragments Traduction Jean bourdeau Numérisation et mise en page par Guy Heff 13 juillet 2014 www.schopenhauer.fr Note : Nous donnons ici la liste des ouvrages où nous avons choisi les pensées et fragments qui suivent. En face de chaque indication bibliographique se trouvent les lettres abréviatives qui servent de revois aux passages correspondants du texte original. Die Welt als Wille und Vorstellung (4e édition. Leipzig, 1873). 2 vol…………….. W Die beiden Grundprobleme der Ethik (3e édition, Leipzig, 1874). 2 vol. ………… E Parerga und paralipomena (3e édition, Leipzig, 1874). 2 vol. …………. P Aus A. Schopenhauer’s handschriftlichem Nachlass (Leipzig, 1864). 1 vol..…. N Schopenhauer. Lichtstrahlen aus seinen Werken, von J. Frauenstaedt (3e édition, Leipzig, 1874). 1 vol. (pensées détachées extraites de tous les ouvrages de Schopenhauer)……….. L A. Schopenhauer. Von ihm. Ueber ihn, von Linder ; Memorabilien, von Frauenstaedt (Berlin, 1863) 1 vol. ………… M Schopneheuer’s Leben, von Gwinner (Leipzig, 1878). 1 vol.…….. G. 4 | L e s d o u l e u r s d u m o n d e Les douleurs du monde Si elle n'a pas pour but immédiat la douleur, on peut dire que notre existence n'a aucune raison d'être dans le monde. Car il est absurde d'admettre que la douleur sans fin qui naît de la misère inhérente à la vie et qui remplit le monde, ne soit qu'un pur accident et non le but même. Chaque malheur particulier paraît, il est vrai, une exception ; mais le malheur général est la règle. De même qu'un ruisseau coule sans tourbillons, aussi longtemps qu'il ne rencontre point d'obstacles, de même dans la nature humaine, comme dans la nature animale, la vie coule inconsciente et inattentive, quand rien ne s'oppose à la volonté. Si l'attention est éveillée, c'est que la volonté a été entravée et qu'il s'est produit quelque chose. — Tout ce qui se dresse en face de notre volonté, tout ce qui la traverse ou lui résiste, c'est-à-dire tout ce qu'il y a de désagréable et de douloureux, nous le ressentons sur-le-champ, et très nettement. Nous ne remarquons pas la santé générale de notre corps, mais seulement le point léger où le soulier nous blesse ; nous n'apprécions pas l'ensemble prospère de nos affaires, et nous n'avons de pensées que pour une minutie insignifiante qui nous chagrine. — Le 5 | L e s d o u l e u r s d u m o n d e bien-être et le bonheur sont donc tout négatifs, la douleur seule est positive. Je ne connais rien de plus absurde que la plupart des systèmes métaphysiques qui expliquent le mal comme quelque chose de négatif ; lui seul au contraire est positif, puisqu'il se fait sentir... Tout bien, tout bonheur, toute satisfaction sont négatifs, car ils ne font que supprimer un désir et terminer une peine. Ajoutez à cela qu'en général nous trouvons les joies au-dessous de notre attente, tandis que les douleurs la dépassent de beaucoup. Voulez-vous en un clin d'œil vous éclairer sur ce point, et savoir si le plaisir l'emporte sur la peine, ou si seulement ils se compensent, comparez l'impression de l'animal qui en dévore un autre, avec l'impression de celui qui est dévoré. La consolation la plus efficace, dans tout malheur, dans toute souffrance, c'est de tourner les yeux vers ceux qui sont encore plus malheureux que nous : ce remède est à la portée de chacun. Mais qu'en résulte-t-il pour l'ensemble? Semblables aux moutons qui jouent dans la prairie, pendant que, du regard, le boucher fait son choix au milieu du troupeau, nous ne savons pas, dans nos jours heureux, quel désastre le destin nous prépare 6 | L e s d o u l e u r s d u m o n d e précisément à cette heure, — maladie, persécution, ruine, mutilation, cécité, folie, etc.1 Tout ce que nous cherchons à saisir nous résiste ; tout a sa volonté hostile qu'il faut vaincre. Dans la vie des peuples, l'histoire ne nous montre que guerres et séditions ; les années de paix ne semblent que de courtes pauses, des entractes, une fois par hasard. Et de même la vie de l'homme est un combat perpétuel, non pas seulement contre des maux abstraits, la misère ou l'ennui ; mais contre les autres hommes. Partout on trouve un adversaire : la vie est une guerre sans trêve, et l'on meurt les armes à la main. Au tourment de l'existence vient s'ajouter encore la rapidité du temps qui nous presse, ne nous laisse pas prendre haleine, et se tient derrière chacun de nous comme un garde chiourme avec le fouet. — Il épargne ceux-là seulement qu'il a livrés à l’ennui. Pourtant, de même qu'il faudrait que notre corps éclatât, s'il était soustrait à la pression de l'atmosphère, de même si le poids de la misère, de la peine, des revers et des vains efforts était enlevé à la 1 « Nous sommes des victimes condamnés toutes à la mort ; nous ressemblons aux moutons qui bêlent, qui bondissent en attendant qu’on les égorge. Leur grand avantage sur nous est qu’ils ne se doutent pas qu’ils seront égorgés, et que nous le savons. » Voltaire (Note du traducteur) 7 | L e s d o u l e u r s d u m o n d e vie de l'homme, l'excès de son arrogance serait si démesuré, qu'elle le briserait en éclats ou tout au moins le pousserait à l'insanité la plus désordonnée et jusqu'à la folie furieuse. — En tout temps, il faut à chacun une certaine quantité de soucis, de douleurs, ou de misère, comme il faut du lest au navire pour tenir d'aplomb et marcher droit. Travail, tourment, peine et misère, tel est sans doute durant la vie entière le lot de presque tous les hommes. Mais si tous les vœux, à peine formés, étaient aussitôt exaucés, avec quoi remplirait-on la vie humaine, à quoi emploierait-on le temps ? Placez cette race dans un pays de cocagne, où tout croîtrait de soi-même, où les alouettes voleraient toutes rôties à portée des bouches, où chacun trouverait aussitôt sa bien-aimée et l'obtiendrait sans difficulté, — alors on verrait les hommes mourir d'ennui, ou se pendre, d'autres se quereller, s'égorger, s'assassiner et se causer plus de souffrances que la nature ne leur en impose maintenant. — Ainsi pour une telle race nul autre théâtre, nulle autre existence ne sauraient convenir... Dans la première jeunesse, nous sommes placés devant la destinée qui va s'ouvrir devant nous, comme les enfants devant un rideau de théâtre, dans l'attente joyeuse et impatiente des choses qui 8 | L e s d o u l e u r s d u m o n d e vont se passer sur la scène ; c'est un bonheur que nous n'en puissions rien savoir d'avance. Aux yeux de celui qui sait ce qui se passera réellement, les enfants sont d'innocents coupables condamnés non pas a la mort, mais à la vie, et qui pourtant ne connaissent pas encore le contenu de leur sentence. — Chacun n'en désire pas moins pour soi un âge avancé, c'est-à-dire un état que l'on pourrait exprimer ainsi : « aujourd'hui est mauvais, et chaque jour sera plus mauvais — jusqu'à ce que le pire arrive. » Lorsqu'on se représente, autant qu'il est possible de le faire d'une façon approximative, la somme de misère, de douleur et de souffrances de toutes sortes que le soleil éclaire dans sa course, on accordera qu'il vaudrait beaucoup mieux que cet astre n'ait pas plus de pouvoir sur la terre pour faire surgir le phénomène de la vie qu'il n'en a dans la lune, et qu'il serait préférable que la surface de la terre comme celle de la lune se trouvât encore à l'état de cristal glacé. On peut encore considérer notre vie comme un épisode qui trouble inutilement la béatitude et le repos du néant. Quoi qu'il en soit, celui-là même pour qui l'existence est à peu près supportable, à mesure qu'il avance en âge, a une conscience de plus en plus claire qu'elle est en toutes choses 9 | L e s d o u l e u r s d u m o n d e un disappointment, nay, a cheat, en d'autres termes qu'elle a le caractère d'une grande mystification, pour ne pas dire d'une duperie... Quiconque a survécu à deux ou trois générations se trouve dans la même disposition d'esprit que tel spectateur assis dans une baraque de saltimbanques à la foire, quand il voit les mêmes farces répétées deux ou trois fois sans interruption : c'est que les choses n'étaient calculées que pour une représentation et qu'elles ne font plus aucun effet, l'illusion et la nouveauté une fois évanouies. Il y aurait de quoi perdre la tête, si l'on observe la prodigalité des dispositions prises, ces étoiles fixes qui brillent innombrables dans l'espace infini, et n'ont pas autre chose à faire uploads/Philosophie/douleurs-du-monde-schopenhauer.pdf

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