Lexikos 20 (AFRILEX-reeks/series 20: 2010): 202-211 L'ingénierie lexicale ou la
Lexikos 20 (AFRILEX-reeks/series 20: 2010): 202-211 L'ingénierie lexicale ou la description d'un objet entre l'invention et la découverte* Jean-Nicolas De Surmont, Université de Leeds, Leeds, Royaume-Uni (jdesurmont@yahoo.fr) Résumé: Résoudre des problèmes théoriques constitue également résoudre des problèmes lexicaux. C'est ce que nous avons baptisé l'ingénierie lexicale, processus d'évaluation et de descrip- tion d'une activité ou d'une discipline et de création de termes ou de lexies pouvant satisfaire les besoins théoriques du chercheur. La nécessité de recourir à l'ingénierie lexicale peut apparaître dans différents contextes scientifiques notamment les études transdisciplinaires, les études dia- chroniques, l'harmonisation interlinguistique, etc. Nous présentons donc différents cas de figures notamment dans le cadre de nos travaux sur la poésie vocale. Mots-clés: INGE⁄NIERIE LEXICALE, RE⁄SOLUTION DE PROBLEŸME (LEXIQUE), LEXICO- LOGIE, TERMINOLOGIE, E⁄PISTE⁄MOLOGIE Abstract: Lexical Engineering or the Description of an Object between Invention and Discovery. Solving theoretical problems also involves solving lexical prob- lems. This we have named lexical engineering, a process of evaluation and description of an activity or a discipline and the creation of terms or lexical items, which have to satisfy the theoretical needs of the researcher. The necessity to resort to lexical engineering becomes apparent in different scien- tific contexts, notably transdisciplinary studies, diachronic studies, interlinguistic harmonization, etc. We therefore present different kinds of figurative senses notably as part of our work on vocal poetry. Keywords: LEXICAL ENGINEERING, SOLUTION OF (LEXICAL) PROBLEMS, LEXICOLOGY, TERMINOLOGY, EPISTEMOLOGY L'ingénierie lexicale: définition Loin de nous l'idée de défendre une quelconque hypothèse nominaliste ou réaliste du langage semblable aux célèbres thèses soutenues par Cratyle et Hermogène dans Platon si ce n'est que de montrer que l'ingénierie lexicale * Ce texte constitue la version écrite d'une présentation ayant eu lieue lors d'une journée d'études organisée à Cergy-Pontoise intitulée «La lexicographie, rayonnement d'hier à demain et lexiculture» le 20 novembre 2009. Des éléments présentés ici reprennent les idées développées dans l'ouvrage Chanson: son histoire et sa famille dans les dictionnaires de langues française, Berlin/New York, Walter de Gruyter, 2010. L'ingénierie lexicale ou la description d'un objet entre l'invention et la découverte 203 s'inscrit dans une démarche intellectuelle faite de conventions et de vide lexical (syntagme que j'emploie par analogie à vide juridique). L'ingénierie lexicale répond aux besoins des linguistes et théoriciens des sciences humaines qui créent des dénominations, étudient le sens en contextes ou les significations de dénominations préexistantes. Ainsi à partir d'une étude sur la définition pro- totypique de grève dans les dictionnaires courants actuels, Tournier (2002: 277) en vient à la conclusion suivante: Seule une définition prototypique, établie à partir de réponses faites à un ques- tionnaire sociolinguistique, serait vraiment synchroniste, donc structuraliste. Une véritable enquête interrogeant un panel représentatif de la population fran- çaise adulte est seule légitimée à apporter ces réponses. Elle ferait peut-être apparaître qu'aujourd'hui la grève est ressentie comme un phénomène plus général et moins spécialisé qu'autrefois. Elle montrerait sans doute aussi le flou des significations qui préside à l'usage des mots. Voilà résumé les problèmes auxquels Tournier a été confronté en faisant une analyse diachronique de certains lexèmes du champ sémantique et des co- occurents de grève. Devant une telle situation que ce soit l'analyse d'un phénomène social ou d'une discipline, le théoricien bénéficie souvent du travail du métalexicographe comme le montrent les nombreux ouvrages d'introduction ou synthétique en sciences humaines, commençant par une définition très succincte de la disci- pline étudiée, définition souvent extraite, en langue française, du Petit Larousse ou du Petit Robert. Mais il faut constater les limites de ces définitions lorsque le théoricien en vient aux prises à des problèmes similaires à ceux que soulève Tournier. Pour cette raison j'ai créé le terme «ingénierie lexicale», et expliqué l'activité de résolution de problèmes théoriques. Ainsi, l'activité néologique propre à l'ingénierie lexicale constitue un ensemble de prises de décisions cher- chant à répondre aux problèmes soulevés lors de l'enquête terminologique en diachronie. Ingénierie terminologique Dans la première partie de notre texte nous avons évoqué l'utilité de l'ingénie- rie lexicale afin de proposer des solutions aux problèmes rencontrés dans le cadre d'une activité reliée à l'usage des vocabulaires de spécialité en diachronie. La création d'un vocabulaire supradisciplinaire constitue l'un des objectifs de l'ingénierie terminologique. Dans ce cadre, elle peut s'avérer une solution socioterminologique en satisfaisant les impératifs nominatifs et conceptuels d'une communauté linguistique et culturelle. En partant du concept d'ingénie- rie lexicale j'en ai déduit celui d'ingénierie terminologique. L'ingénierie termi- nologique consiste à étudier globalement un champ disciplinaire afin d'y pro- poser des solutions empiriques, par exemple la création néologique ou la créa- tion d'archi-concepts opératoires. Sur le plan cognitif, l'ingénierie terminologi- 204 Jean-Nicolas De Surmont que se décline en un va-et-vient épistémologique, une négociation sémantique qui va de l'onomasiologie à la sémasiologie, de l'induction et de la déduction. Traugott (1998: folio 5) affirme à ce sujet: «Ultimately of course, semasiology presupposes onomasiology, and onomasiology presupposes semasiology, since domains have members, and over times individual form-meaning pairs come to be used to express those domains […].» Traditionnellement l'activité du ter- minologue consiste à l'élaboration du fichier de dépouillement par le repérage des unités terminologiques ce qui constitue en quelque sorte une activité de cartographie pré-sémasiologique d'un champ disciplinaire. Les données méta- terminologiques sont extraites des monographies, dictionnaires de spécialités et servent à la réflexion sémasiologique lors de l'enquête terminologique. Même si en apparence, la résolution d'un problème de dénomination cher- che la simplification, l'ingénieur terminologique cherche plutôt à juger des imperfections théoriques, selon le concept de Shapere (1977), qui se manifestent entre autres, lorsque la théorie proposée se révèle incomplète relativement au domaine visé, ou ne constitue qu'une simplification. Les procédés de traitement des néonymes ont été largement commentés dans les travaux de terminologues comme Loïc Depecker, Teresa Cabré, Daniel Gouadec: les emprunts directs: emprunt intégral (importation de la forme et du sens sans modification signifi- cative), emprunt sémantique, emprunt aménagé (aménagement de la forme, et éventuellement du sens), les emprunts par traduction: calque (traduction litté- rale du terme étranger), calque transpositionnel (transposition non littérale), synthèse néologique (reconceptualisation) (voir Depecker 2001: 403), inversion syntaxique des éléments de la langue anglaise, etc. Parmi les imperfections théoriques qui sont notamment liés à l'étude d'un champ disciplinaire en diachronie mentionnons la synonymie. Ainsi, le phéno- mène de synonymie appelle celui de coexistence terminologique, que nous avons créé pour désigner le fait qu'un signifié identique est nommé par des déno- minations différentes selon les perspectives d'études et les périodes ou encore que des référents différents sont lexicalisés de manière similaire en un même moment donné. Les dénominations, bien que différentes, ont des sens apparen- tés mais non équivalents. Il s'agit donc d'un concept proche de celui de synony- mie propre à la sémantique et de terme associé employé en indexation1 mais différent en cela qu'il ajoute une dimension diachronique au phénomène de similitude sémique de même que l'idée de point de vue dénominatif divergent. Chansonnier et auteur-compositeur-interprète peuvent être considérés comme des phénomènes de coexistence terminologique. Ce concept désigne aussi le fait que des unités sont parfois en exclusion dans l'un de leurs sens mais sont synony- mes dans l'autre. Problèmes à résoudre dans le cadre de l'ingénierie lexicale Les différents points que nous avons traités plus tôt nous permettent de soule- ver les problèmes inhérents à l'étude du lexique d'une discipline en diachronie: L'ingénierie lexicale ou la description d'un objet entre l'invention et la découverte 205 (1) Evolution historique des signifiés, des définitions (2) Co-existence lexicale (3) Hétérogénéité des activités d'un vocabuliste: activité lexicale, termino- logique, mots concrets, sociaux. (4) Absence de dénominations pour décrire des phénomènes de l'activité ou de la discipline étudiée; (5) Etudes d'un objet multidisciplinaire: l'exemple de la chanson nécessite le recours à des archi-concepts. Analyser l'évolution historique d'une activité sociale permet de comprendre les lacunes de la description lexicographique du lexique en mettant en perspective l'étude philologique des formes et des significations. Mais outre le flou des significations que l'auteur évoque avec raison, c'est aussi l'absence de dénomi- nations de certains phénomènes qui devraient nous intéresser en tant qu'ingé- nieurs lexicaux. Les unités lexicales désignant des choses concrètes n'ont évi- demment pas la même fluctuation que les dénominations de faits sociaux, esthétiques et sont sûrement plus proches dans leur fonctionnement logico- sémantique des termes que des lexèmes. C'est en somme là un ensemble de problèmes auxquels nous sommes confrontés en étudiant un champ lexical ou sémantique en diachronie. Afin de résoudre les problèmes qui se présentent dans l'étude d'une acti- vité, d'un champ scientifique, d'une discipline, nous proposons la cartographie sémantique: il faut d'abord constituer un corpus représentatif des items lexi- caux à étudier. En somme il faut étudier le vocabulaire d'un champ discipli- naire au sein d'un corpus textuel important non pas tant pour réaliser à la manière de Tournier un lexicogramme, que de dégager un réseau lexical pour cerner les vides lexicaux. (1) Relever des imperfections théoriques par l'étude onomasiologique et sémasiologique, le repérage des coexistents lexicaux. (2) Procéder à un éventuel recyclage terminologique par la néonymie ou la néologie. Les premières étapes de l'étude concernent d'une part uploads/Philosophie/ citat-jean-nicolas-de-surmont.pdf
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- Publié le Jul 23, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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